Étude de la Guerre froide à travers le prisme culturel, ce livre traite d’un large spectre de thèmes parfois au détriment de l’unité de l’ensemble.

Production de synthèse d’un colloque qui s’est tenu en octobre 2005 à Paris, Culture et Guerre froide tente d’explorer un thème qui ces dernières années a connu un large regain d’intérêt au sein de la communauté historique   . L’ouverture progressive des archives soviétiques, la liberté désormais laissée aux chercheurs occidentaux d’y travailler ont permis d’éclairer la Guerre froide sous une perspective nouvelle. La place dévolue à la "culture" comme moteur de la compétition entre l’Est et l’Ouest n’a ainsi jamais été aussi importante. Des premières années de l’après Seconde guerre mondiale à la détente, l’étude des transferts culturels constitue un fil rouge pour la compréhension de la période.

Clairement, le présent ouvrage s’insinue dans une brèche déjà bien entamée. Compilation d’articles s’étirant sur toute la durée de la confrontation qui a rythmée la seconde moitié du XXe siècle, Culture et Guerre froide aborde une diversité de thèmes qui peut prêter à confusion. L’ambition est de percevoir dans les prises de positions culturelles l’écho de l’opposition entre les deux blocs et du raidissement des cadres idéologiques. La "culture" devient alors le lieu d’une véritable compétition entre l’Est et l’Ouest. Le livre soulève également d’autres problématiques comme la dichotomie qui se fait progressivement jour à l’Est entre "culture officiel" et "culture dissidente ou contre-culture", cette dernière s’intègrant dans un mouvement de contestation du régime en place. Dans certains pays, on assiste dans une optique similaire à la renaissance d’une "culture nationale" qui s’oppose progressivement aux modèles officiels inspirés d’URSS, le cas est illustré pour la Bulgarie par Svetla Moussakova   . Pourtant, le livre dirigé par J-F. Sirinelli et G-H. Soutou élude aussi très largement des questions comme le financement des programmes culturels à l’Ouest, à savoir dans quelle mesure ceux-ci étaient liés à un plan global de confrontation culturelle financer par la gouvernement américain   . Globalement, le livre n’évoque que très subrepticement le rôle et l’action des États-Unis, pourtant moteur de la confrontation culturelle à l’Ouest.

On perçoit rapidement les difficultés de composition de l’ouvrage, les contributions sont ainsi parfois inégales et la difficulté à en dégager une réflexion d’ensemble demeure évidente. Le livre s’articule autour d’un plan en trois parties qui apparaît quelque peu artificiel, le vecteur culturel est largement vu comme une dynamique constante amenant, après l’âpreté de l’opposition des premières années, au rapprochement des blocs puis à la désintégration de celui de l’Est. S’il est indéniable que les relations culturelles participent à façonner la Guerre froide et son dénouement, on peut malgré tout questionner le caractère linéaire de l’évolution. Plus encore, c’est l’absence de cadres temporels nettement définis dans l’articulation des différents articles suivant les parties qui accentue la confusion de l’ensemble. Le parti pris de traiter ponctuellement des cas particuliers, notamment à l’Est, paraît judicieux, mais des articles de synthèse, en dehors de la courte conclusion de Georges-Henri Soutou   aurait pu être intégrés. La seconde partie est probablement la plus critiquable tant on peut se demander si, à l’heure de la détente, le rapprochement met réellement en berne la compétition culturelle.

Pourtant, plusieurs contributions de l’ouvrage restent tout a fait remarquables, ainsi le premier article de Françoise Thom   qui situe parfaitement le débat en évoquant les premières années de la Guerre froide et le rôle joué par l’administration stalinienne dans la rapide désintégration de la coalition alliée et le début de la confrontation idéologique. De même, on peut signaler l’article de Cécile Vaissié   qui met clairement en lumière la désintégration progressive, dès les années 1970, du cadre idéologique crée au temps du stalinisme. La pénétration de la culture occidentale qui vient corrompre "l’homme soviétique" illustre parfaitement l’incapacité du nouveau pouvoir de Brejnev à gagner le combat pour les consciences en URSS même. 

Finalement, Culture et Guerre froide ouvre des pistes de réflexions intéressantes mais qui manquent peut-être d’une unité d’ensemble. L’ambition initiale, on peut le supposer, était d’offrir un panorama général pour stimuler des recherches spécifiques qui restent à mener. Cet objectif là est atteint. Il s’agit donc d’un livre à ne pas négliger pour l’étude du sujet, même si on le considérera plutôt comme un ouvrage d’appoint

 

Notre photo : couverture du magazine The Advengers numéro 4 (mars 1964).