Un catalogue du peintre Lovis Corinth, édité à l'occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

"Tout est éphémère et bien des choses sont tombées en enfer", observe Lovis Corinth dans son autobiographie. Tombée – de ce côté-ci du Rhin, à tout le moins – dans cette sorte d’enfer temporel qu’est l’oubli, l’œuvre de ce peintre allemand aussi considérable que méconnu vient d’en ressortir à la faveur de la grande exposition   récemment (du 1er avril au 22 juin) proposée par le musée d’Orsay – exposition dont le présent catalogue porte trace.

Né en 1858 en Prusse-Orientale, Lovis Corinth fréquenta l’école des Beaux-Arts de Königsberg avant de prolonger sa formation à Munich puis à Paris, où il étudia notamment sous la direction de Bouguereau. S’étant, après un court retour à Königsberg, établi dans la capitale bavaroise en octobre 1891, Corinth participe à la fondation de la Sécession de Munich au printemps 1892 – Sécession avec laquelle il rompt un an plus tard. Fertile en scandales et en turbulences, cette période se partage entre manigances carriéristes, expériences picturales et libations carabinées. Le tournant du siècle marque également un tournant dans son existence : en octobre 1901, Corinth s’installe à Berlin et, son fort tempérament aidant, ne tarde pas à devenir une figure éminente de la vie culturelle locale. Ayant fondé une école de peinture pour dames, il s’enamoure d’une jeune fille de bonne famille, Charlotte Berend, qui va devenir sa femme – le 26 mars 1903 –, sa muse et son modèle préféré. Devenu membre de la Sécession de Berlin et soutenu par l’éditeur et marchand d’art Paul Cassirer, il poursuit une ascension régulière – sa carrière atteignant son sommet autour de 1910. En décembre 1911, il est victime d’une grave attaque cérébrale, entraînant une paralysie temporaire du côté gauche de son corps. De cette épreuve, qu’il surmonte peu à peu, sa peinture sortira renforcée et "humanisée", les tableaux d’inspiration religieuse ou mythologique étant abandonnés au profit exclusif des paysages, portraits et autres scènes de la vie quotidienne. En 1913 a lieu la plus grande exposition organisée (par Cassirer) du vivant de Corinth. Durant cette année particulièrement riche, il participe à de nombreuses autres expositions et réalise une cinquantaine de tableaux. L’annonce de la guerre lui inspire de douteuses envolées nationaliste, suivies, quatre ans plus tard, par un sérieux examen de conscience… A partir de là, séjournant de plus en plus souvent à Urfeld, au sud de Munich, Lovis Corinth prend ses distances avec la société berlinoise et travaille avec acharnement (quelque 150 tableaux sont créés durant cette période) à trouver un style strictement personnel, au-delà des limites de l’impressionnisme et de l’expressionnisme – qui furent les deux pôles majeurs de son œuvre. Le 7 mai 1925, il signe son ultime autoportrait. Ayant contracté une pneumonie à Amsterdam, il meurt le 17 juillet 1925, quatre jours avant son soixante-huitième anniversaire.

Découpé en séquences thématiques, fidèles à l’agencement de l’exposition, le catalogue édité par le musée d’Orsay permet, au gré de nombreuses reproductions, de prendre l’entière mesure d’une œuvre foncièrement ambivalente, sans cesse tiraillée entre académisme et modernisme, convention(s) et invention(s). De cet ensemble hétérogène se détachent nettement les travaux graphiques (en filigrane desquels apparaît l’influence prépondérante de son maître Rembrandt) ainsi que les tableaux de nus – qu’ils soient plutôt sensuels (continuant Rubens ou Courbet) ou plutôt sanglants (préfigurant Bacon). C’est de toute évidence dans ce rapport au corps que la peinture de Corinth atteint à sa puissance expressive maximale. Dans le texte passionnant qui ouvre l’ensemble critique, Klaus Theweleit ainsi écrit très justement : "Que cherche l’artiste à force d’exubérance ou de frénésie libidino-picturale ? Ce qu’il cherche en peignant avec tant de frénésie, c’est le corps : le corps dans l’histoire de l’art ; le corps humain, objet de tant de souffrances (de préférence, mais pas seulement, au travers du corps du Crucifié) ; et le corps des amants, le corps de chair de l’amour physique. C’est en peintre obsédé par tout ce qui est charnel que Corinth se forme."