L’ouvrage de C. Troubé offre une mise au point utile sur ce drame silencieux qu’est la faim dans le monde.

Mieux comprendre la faim dans le monde pour mieux la combattre, tel est l’objet de ce petit livre. Le lien entre faim, responsabilité humaine, et volonté politique en constitue le fil conducteur. La thèse est simple, et connue : les famines d’aujourd’hui sont moins la conséquence des aléas naturels que de l’action des hommes. Sur un sujet d’actualité, qui préoccupe et intéresse tous les citoyens, l’auteur livre un ouvrage de synthèse qui cerne avec clarté les causes et les enjeux de la question, en s’appuyant sur des données récentes. Rédacteur en chef du magazine La Vie et membre du Conseil d’administration d’Action Contre la Faim (ACF), C. Troubé illustre son propos par des exemples concrets, tirés de l’expérience de l’ONG, pour analyser les mécanismes de ces “nouvelles famines”. L’ouvrage, réalisé avec le soutien d’ACF et préfacé par son président d’honneur, Jean-Christophe Rufin, s’inscrit dans le sillon ouvert par la géographe Sylvie Brunel, ancienne directrice d’ACF et auteur de l’ouvrage de référence sur la question, Famines et politique (Presses de Sciences-Po, 2002). 


“Les nouveaux visages de la faim”

L’apport principal de l’ouvrage de C. Troubé est certainement dans le bilan qu’il dresse de la situation mondiale et des engagements de la communauté internationale. C’est l’objet du premier chapitre. A mi-chemin des "Objectifs du Millénaire", l’auteur fait le point et s’interroge : réduirons-nous de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde d’ici 2015 ? Le regard est critique, tant sur les engagements de la communauté internationale que sur les chiffres souvent avancés sur la question. La faim reste la première cause de mortalité dans le monde ; un habitant sur sept de la planète ne mange pas à sa faim, et deux milliards sont atteints par la “faim cachée”, c’est-à-dire par des carences en micronutriments.  Avec ce grand paradoxe : ironie du sort, ceux qui paient le plus lourd tribut sont des paysans.
Encore faudrait-il préciser ce que recouvre le mot “faim”. L’auteur distingue la famine, la forme spectaculaire de la faim, et la malnutrition, situation chronique, ordinaire. Un bref rappel historique retrace l’évolution de cette hantise ancienne, des récits mythologiques aux famines du XXe siècle, avec ce changement majeur : les famines sont aujourd’hui avant tout le produit de crises politiques et économiques. Ainsi la crise du Biafra en 1969 : premier cas d’une famine liée à la géopolitique, médiatisée, instrumentalisée par le pouvoir.


Comprendre pour agir

L’auteur démêle ensuite la complexité des facteurs en jeu dans la "spirale de la faim". Il dévoile les logiques – économiques, politiques, sociales – à l’œuvre et insiste à juste titre sur les jeux d’acteurs et les jeux d’échelle, de l’horizon mondial à la nécessaire prise en compte du contexte local. Cette mise au point lui permet de revenir sur un certain nombre d’idées reçues. L’auteur tord notamment le cou à un néo-malthusianisme ambiant (“si les gens ont faim, c’est que nous sommes trop nombreux”) ou autres discours catastrophistes, qu’il évite soigneusement. 
Le cadre conceptuel étant posé, l’auteur s’attache à décrire le panorama mondial de la faim. Il souligne à juste titre que la carte de la sous-alimentation, la seule carte de l’ouvrage, coïncide avec celle de la pauvreté et des conflits (le lecteur, et encore plus le géographe, aurait aimé voir ces cartes…). Suivent quelques études de cas, qui donnent chair au propos et constituent de rapides mises au point utiles au lecteur sur un certain nombre de situations d’actualité. Le Darfour, le Niger, mais aussi des exemples moins médiatisés ou moins spectaculaires, comme la Birmanie – où le pouvoir central utilise contre des populations minoritaires à l’extrême Nord-Ouest du pays l’arme redoutable de la faim - ou encore le Népal. Troisième pays le plus pauvre d’Asie, au pied de l’Himalaya, ce petit pays de vingt-cinq millions d’habitants a connu une guerre civile de dix ans, et une pauvreté endémique, terreau de la malnutrition. L’aide alimentaire y tient à bout de bras une population où presque une personne sur deux est sous-alimentée. "Chronique de la faim ordinaire…".
L’auteur réaffirme en conclusion la nécessité de faire de cette question une question politique. Il avance plusieurs propositions comme la mise en place d’un système équitable dans les relations économiques internationales, le renforcement de l’aide publique au développement, le soutien aux petits paysans ou aux initiatives de "solidarité citoyenne", telles que le microcrédit ou le commerce équitable.


Au total, l’ouvrage est bienvenu pour une première approche de la question. C’est une  synthèse claire, accessible, agréable à lire, et on apprécie la présence de documents et d’encadrés, utiles pour un public non averti. On regrette toutefois quelques passages confus (notamment sur les distinctions conceptuelles entre famine, sous-alimentation, malnutrition) ou redondants, quelques formules accrocheuses et dans l’air du temps, mais qui n’apportent rien à l’analyse (“des famines postmodernes”, l’expression n’étant à aucun moment justifiée par l’auteur). Si tous les aspects de la question sont évoqués, l’ouvrage n’apporte pas d’analyse nouvelle sur un sujet jamais épuisé, et déjà brillamment traité par Sylvie Brunel. On aurait enfin aimé une bibliographie pour orienter les lecteurs désireux d’approfondir la question. Il permet néanmoins de réactualiser certaines données, à mi-parcours des "Objectifs du Millénaire".