R. Franck préfère à l’analyse formelle classique une approche de l’économie fondée sur l’observation, pour viser une meilleure compréhension des modèles théoriques.

Autour des années 2000, un collectif d’étudiants avait provoqué un vif débat eu sein du monde des économistes français en contestant la pédagogie et les méthodes de la science économique   . Le dernier livre de Robert Frank, The Economic Naturalist apporte des éléments intéressants dans ce dialogue de sourds entre les tenants du formalisme traditionnel et les étudiants contestataires.


Observer et décrire

Ayant lui-même constaté que les étudiants américains retenaient peu de choses des cours d’introduction à l’économie   , Robert Frank compare ces cours aux enseignements de langues étrangères où l’on enseigne le plus-que-parfait du subjonctif avant d’enseigner les quelques phrases nécessaires pour se débrouiller dans un pays étranger. Plutôt que d’assommer ses étudiants de graphes et d’équations, il préfère donc se concentrer sur la compréhension des principales intuitions et des principaux concepts économiques et s’appuie pour cela systématiquement sur des exemples issus de l’observation de la vie quotidienne. Chaque étudiant doit ensuite lui-même rédiger un court essai et répondre à une question. Ce sont ces essais qui constituent l’essentiel de son dernier livre : The Economic Naturalist : in search for every-day life explanations. Deux choses essentiellement ressortent de cette lecture. D’une part, cette multitude de petits exemples concrets permet réellement de mieux comprendre les principaux concepts de la science économique, même lorsqu’on les manipule régulièrement. D’autre part, et c’est sans doute l’argument principal en faveur de ce livre, on éprouve un réel plaisir à s’étonner ainsi devant un monde qui nous est pourtant si familier.


Les mécanismes économiques des faits quotidiens

Quelques exemples permettront sans doute d’éveiller votre curiosité. Un étudiant a, par exemple, remarqué une tendance chez les retraités américains à déménager dans de grandes maisons alors même que les enfants ont quitté le domicile familial. Comment trouver une explication économique à ce phénomène ? L’hypothèse retenue par l’auteur consiste à dire qu’avec le vieillissement de la population et l’apparition des familles recomposées, un même enfant a aujourd’hui souvent plusieurs grands parents en vie. Dès lors ces derniers se livrent une concurrence pour accueillir les petits enfants et celui qui aura la plus grande maison aura de fortes chances de les accueillir plus souvent. Une autre interrogation : pourquoi les compagnies aériennes tarifient-elles les places achetées à la dernière minute plus cher que celles réservées à l’avance, alors que les théâtres pratiquent la politique opposée ? Frank propose cette hypothèse : les compagnies d’aviation comme les théâtres veulent éviter de laisser des places vides, mais leur clientèle n’est pas la même. Les compagnies aériennes prévoient que ce sont les clients les plus riches (les entreprises) qui auront tendance à réserver à la dernière minute. Pour s’assurer de remplir leurs avions elles ont donc intérêt à inciter ces clients à réserver plus tôt. En revanche, les théâtres savent que les plus fortunés de leurs clients ne sont pas prêts à faire la queue le jour du spectacle et préfèrent réserver. Les théâtres ont donc intérêt à vendre les dernières places à moindre prix.


On peut ensuite discuter de la pertinence de la pédagogie de Robert Frank. Il nous semble qu’elle présente au moins deux avantages par rapport à l’approche formaliste   . Premièrement, elle développe et met en valeur la curiosité scientifique, la capacité d’observation et l’intuition des étudiants. Deuxièmement, elle met directement l’étudiant au contact d’une diversité de théories et d’explications possibles du réel, lui permettant ainsi de mieux comprendre le statut de chaque théorie quand l’approche formaliste privilégie l’étude approfondie d’une théorie particulière sans donner aux étudiants l’autonomie nécessaire pour en juger la pertinence. Son site web et ses chroniques régulières permettent de s’en faire une idée préalable.