La haute juridiction a demandé au moins une demi-douzaine de modifications au gouvernement, notamment un délai pour l’entrée en vigueur du texte et, pour les pirates avérés, une suspension moins longue de leur abonnement à Internet.

Loi anti-piratage : le Conseil d’État amende le projet du gouvernement

La potion de la loi anti-piratage devrait être un peu moins amère que prévu pour l’internaute. Le Conseil d’État a en effet demandé au gouvernement d’adoucir son projet de loi sur une demi-douzaine de points.

Première difficulté soulevée par les juges du Palais-Royal : l’aspect "gradué" de la riposte. La philosophie du dispositif était d’envoyer d’abord au pirate présumé des avertissements (courrier électronique, suivi, éventuellement, de l’envoi d’une lettre recommandée), puis, en cas de récidive, de le sanctionner en suspendant son accès Internet pendant un an. Le problème est que cette gradation n’apparaissait pas explicitement dans les versions initiales du texte rédigé par le gouvernement. Autrement dit, on pouvait théoriquement passer directement à la sanction, sans forcément avoir envoyé d’avertissement préalable. Interrogé, le ministère de la Culture répond que l’aspect gradué était évident : "C’est depuis l’origine au coeur de la démarche et du discours du gouvernement : infliger des sanctions non précédées d’avertissement méconnaîtrait totalement cette volonté." "Cela ira mieux en le disant", a répondu en substance le Conseil d’État, qui aurait demandé à ce que la gradation soit explicite. Autrement dit, qu’un avertissement soit envoyé avant toute sanction.


Gendarme indépendant

Autre problème : les possibilités de recours de l’internaute. L’avertissement et la sanction seront pris par une autorité administrative indépendante, baptisée "Hadopi" (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet).Dans le projet du gouvernement, le recours se fait devant le tribunal administratif. Mais le Conseil d’État préférerait, lui, que cela se fasse devant l’autorité judiciaire.

Par ailleurs, le texte prévoit que le pirate pourra réduire la durée de suspension de son abonnement s’il conclut une transaction avec l’Hadopi. Dans les versions précédentes du texte élaborées par le gouvernement, il était proposé une suspension de "un ou six mois". Ici, le Conseil d’État aurait demandé à ce que la suspension soit ramenée à une durée maximale de trois mois.

En outre, la version initiale prévoyait une entrée en vigueur immédiate du texte. Mais les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) réclamaient un délai d’application afin de mettre à niveau leurs systèmes d’information. Cette demande a donc été reprise par l’Arcep, l’autorité de régulation des télécoms, puis par le Conseil d’État. "Last but not least", le projet gouvernemental se proposait de donner à l’Hadopi le pouvoir d’ordonner des mesures de type filtrage : "L’Hadopi, saisie par les ayants droit, peut ordonner toute mesure propre à faire cesser ou prévenir une atteinte au droit d’auteur ou droit voisin, occasionnée par le contenu d’un service en ligne", stipule un article de la loi. Le Conseil d’État aurait demandé qu’un tel pouvoir reste entre les mains de la justice, et qu’il ne soit pas transféré à l’Hadopi. Apparemment, le gouvernement envisagerait de maintenir cet article, mais en suivant la demande de la haute juridiction, c’est-à-dire en laissant ce pouvoir au juge. On saura, ce mercredi, lors de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, si le gouvernement a pris en compte les réserves du Conseil d’État.

Interrogé, le ministère refuse de communiquer la position du Conseil d’État. "Les échanges avec le Conseil d’État sont couverts par le secret des délibérations", avance le cabinet de la ministre. Cela n’a pas empêché le même ministère de publier jeudi dernier un communiqué triomphal, se "félicitant" de l’avis "favorable" rendu par le Conseil d’État. Autrement dit, la Rue de Valois demande à être crue sur parole...


* Article de Jamal Henni, paru dans Les Échos du mardi 17.06.2008, p.32