Spécialiste incontesté de ce conflit exceptionnel, l'historien Olivier Wieviorka revient sur la Seconde Guerre mondiale en adoptant une approche globale.

La Seconde Guerre mondiale constitue par bien des aspects le point nodal du XXe siècle. Ce sont d’abord les aspects militaires, en raison des stratégies mises en œuvre et des grandes batailles qui jalonnent le conflit en Europe et en Asie. La volonté de détruire l’adversaire combinée aux moyens mis en œuvre sur terre, mer et dans les airs expliquent l’importance de l’économie et de la logistique. Le conflit bouleverse enfin par ses conséquences funestes sur les populations qui deviennent des cibles à anéantir et un moyen d’agir pour faire basculer le rapport de force.

La Seconde Guerre mondiale est au cœur du programme de Terminale, notamment pour le front européen, puis le génocide des Juifs et des Tsiganes. De nombreux aspects du conflit sont aussi abordés dans le cadre du programme de HGGSP et peuvent servir d’inspiration pour le Grand Oral.

Professeur d’histoire contemporaine à l’ENS Paris-Saclay, Olivier Wieviorka est le meilleur spécialiste francophone de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale et, en particulier, de celle de la résistance. Après une Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2023), il vient juste de publier, avec Cyriac Allard, Le Débarquement : son histoire par l'infographie (Seuil, 2024).

 

Nonfiction.fr : Vous signez, aux éditions Perrin, une synthèse particulièrement dense sur la Seconde Guerre mondiale. Comment est né ce projet et y avez-vous vu une suite logique à vos travaux sur le Débarquement ou la Résistance ?

Olivier Wieviorka : En fait, le projet m’a été suggéré par mon éditeur. J’avais bien sûr pensé un jour écrire une histoire de la Seconde Guerre mondiale, mais j’hésitais à me lancer dans l’aventure. Nicolas Gras-Payen a su me convaincre en me disant : « il faut que tu mettes le toit ». Il suggérait qu’après avoir longtemps travaillé sur ce conflit, il était temps d’en proposer une synthèse. J’ai donc relevé ce défi.

Robert Frank et Alya Aglan ont dirigé une synthèse collective qui s’étend de 1937 à 1947 pour aborder la Seconde Guerre mondiale. Quelles dates retenez-vous pour comprendre l’ensemble des fronts ?

Les historiens aiment à se distinguer en proposant des chronologies hétérodoxes. Toutes les propositions se défendent, et l’on peut aussi bien affirmer que la Seconde Guerre mondiale débute en 1937 (guerre du Japon contre la Chine) qu’en 1931 (annexion de la Mandchourie) voire en 1919 (traité de Versailles).

De même pour la fin, car on aurait pu aussi bien choisir 1948 (création de l'État d’Israël) que 1949 (formation de l’OTAN, division de l’Allemagne, victoire de Mao).

Pour ma part, je pense que si l’on se penche sur ce conflit en soulignant son caractère mondial, il faut retenir la date de 1941, date à laquelle la planète s’embrase en raison de l’entrée en lice des États-Unis et de l’Union soviétique.

Loin d’être une histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale seulement, votre livre souligne tout le poids de l’économie et de la logistique — que nous, Européens, redécouvrons malheureusement avec la guerre en Ukraine. En quoi ces deux facteurs sont-ils prégnants dans ce conflit ?

L’économie et la logistique ont joué un rôle décisif pendant la Seconde Guerre mondiale. À partir du moment où elle se métamorphose en conflit de longue durée, ces deux paramètres pèsent d’un poids essentiel. Il faut non seulement fournir aux soldats le matériel et les munitions nécessaires, mais les acheminer sur les théâtres d’opération, tout en veillant également à nourrir, vêtir et chauffer l’arrière. Or, ces paramètres n’ont pas toujours été pris en compte par les Allemands ou les Japonais. Cet aveuglement explique notamment les déboires rencontrés par la Wehrmacht en Russie. À l’inverse, les Américains veillent au grain, ce qui explique en grande partie leur victoire, malgré quelques ratés, en Normandie par exemple.

Pour autant, vous ne versez pas dans le déterminisme. Vous soulignez à plusieurs reprises les aléas qui affectent les batailles mais également les nombreuses erreurs de perception entre adversaires. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Les aléas abondent : les Allemands bénéficient d’un temps insolemment beau au printemps 1940, les Français ne repèrent pas la gigantesque colonne de 250 km qui se forme avant l’offensive du 10 mai et qu’ils auraient pu bombarder ; l'amiral François Darlan, inopinément présent à Alger en novembre 1942, négocie le ralliement de l’Empire aux Alliés, ce que ni Giraud ni de Gaulle n'auraient été en mesure de faire alors.

Pour les erreurs de perception : les radaristes qui détectent la présence des avions japonais volant vers Pearl Harbor ne sont pas crus ; Hitler est persuadé que l’Union soviétique va s’effondrer au premier coup de boutoir, et son état-major croit que le débarquement en Normandie n’est qu’une opération de diversion jusqu’à la fin de juillet 1944 !

La mémoire du conflit revient en filigrane au cours de votre propos. Les mythes et légendes sont-ils constitutifs de notre souvenir de la Seconde Guerre mondiale ?

Oui, légendes et mythes abondent, ce qui montre peut-être que la propagande a imposé sa loi bien après que les canons se sont tus. Beaucoup croient encore que le maréchal allemand Erwin Rommel est un stratège de premier ordre, que le Japon a capitulé en raison des deux raids atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (alors que l’offensive de l’Armée rouge en Mandchourie a joué un rôle déterminant), que le général Hiver explique l’arrêt devant Moscou…

Nous percevons donc ce conflit au travers de certaines légendes qui subsistent mais qui – fort heureusement – s’effondrent parfois :  plus personne ne croit qu’une Wehrmacht propre a coexisté aux côtés d’une SS barbare depuis que travaux et expositions ont révélé les crimes commis par l’armée régulière.

Vous n’hésitez pas à formuler des hypothèses contre-factuelles sur l’efficacité de telle ou telle stratégie pour les belligérants. Savez-vous si vos travaux sont repris dans les écoles militaires ?

Je l’ignore, mais je sais que mon livre sur le Débarquement est fortement recommandé à l’École de Guerre, ce dont je me réjouis. Militaires et historiens ont tout à gagner d’une fréquentation réciproque.

El-Alamein, Kharkov, Koursk, Okinawa... La Seconde Guerre mondiale reste aussi marquante par ses grandes batailles. Quelle bataille représente selon vous un condensé de cette guerre ?

Aucune bataille ne résume à elle seule la Seconde Guerre mondiale. On pourrait citer Koursk, qui met en scène un engagement mécanisé (la plus grande bataille de chars de l’histoire), mais tout aussi bien Stalingrad où les vertus individuelles ont largement primé sur une guerre mécanique régie par les chars et les avions. Chaque bataille emblématique a son contre-type, de sorte qu’il est vraiment difficile de résumer ce conflit dantesque par un type unique d’engagement.