Repenser le rôle de la culture dans la société, voici qui est fondamental. Une des meilleures publications en politique culturelle depuis des années.

Cet ouvrage est probablement une des meilleures publications parues sur la politique culturelle et sur la place de la culture dans la société depuis plusieurs années. Il rassemble une quinzaine d’articles d’acteurs, de juristes, d’économistes, de sociologues et de philosophes invités dans le cadre d’un cycle de conférences organisé par le Conseil Général de Loire-Atlantique en partenariat avec l’Observatoire des Politiques culturelles tout au long de l’année 2007. Il convient de saluer cette initiative tant elle répond à une nécessité de réflexion collective et plurielle sur une question qui suscite de nombreux débats car, tout en étant constitutive de l’identité politique et historique française, elle est intrinsèquement liée à une conception du devenir de notre démocratie. L’intérêt du livre est de croiser des analyses complémentaires qui donnent des clés de compréhension sur le sujet en dépassant les propos convenus et politiquement corrects sur les finalités et les modalités de la politique culturelle dans un environnement en forte mutation. Sa richesse devrait permettre aux acteurs culturels, aux décideurs publics et à toutes les personnes intéressées par le sujet d’approfondir leur réflexion et d’explorer des pistes d’action. Plusieurs articles mettent le doigt sur des enjeux majeurs, en objectivant les problématiques et en proposant des orientations de réformes. Ainsi, les sujets liés à l’avenir du modèle culturel français, les notions de service public de la culture, de démocratisation culturelle,  d’évaluation, de diversité et de décentralisation sont analysées avec acuité.


Adapter le modèle français aux évolutions du monde

La crise du modèle culturel français est un thème récurrent trop souvent traité de manière manichéenne. La question n’est pas celle de sa disparition mais celle de son évolution. Trop préoccupé par une politique d’offre artistique d’excellence, il doit s’ouvrir à la diversité de la population et des territoires, ainsi qu’aux mutations des pratiques sociales et culturelles. René Rizzardo pose avec rigueur et nuance, sans complaisance, la question de ses limites et de sa nécessaire adaptation. Il plaide pour une un conception ouverte et transversale de la politique culturelle, pour une remise en question des "concepts et discours dominants et notamment celui de "l'instrumentalisation de l’art par le social"". On ne peut que se féliciter d’une telle clairvoyance politique : "comme si l’art, ou plutôt les artistes devaient être protégés du monde extérieur et surtout devaient s’exonérer de missions autres que celles qu’ils se donnent". L’auteur souhaite un débat lucide et pragmatique, reposant la question du rôle des acteurs et des institutions, pour redonner du sens à notre politique publique de la culture.

Dans un article lumineux, Olivier Donnat analyse avec finesse ce grand sujet politique qu’est la "démocratisation de la culture", en évitant les simplifications trop souvent accumulées sur ce sujet. Il appelle de ses vœux une nouvelle exigence de démocratisation car "une des conditions – nécessaire quoique insuffisante - à la refondation de la politique culturelle réside dans notre capacité à renouveler la question du public". Il estime que cet enjeu majeur impose la conjugaison de plusieurs outils et modalités d’action : éducation artistique, marketing mais également un service public culturel à domicile, pour tenir compte de l’accroissement des pratiques culturelles domestiques liées aux évolutions technologiques. Il note qu’un tel objectif supposera un rééquilibrage des moyens, qui aura pour conséquence de réduire les "marges artistiques" des acteurs culturels. Ainsi, un réel courage politique sera nécessaire pour l’atteindre.

L’excellent article de Philippe Teillet et d’Emmanuel Négrier analyse la "territorialisation" des politiques culturelles, résultante de l’érosion de l’approche jacobine de l’action publique en France. "Territorialiser, c’est donner un sens politique à l’espace" : il s’agit de construire un projet public en tenant compte des spécificités d’un territoire. La montée en puissance des collectivités territoriales, principaux financeurs de la culture dans notre pays a accru ce phénomène, même si le magistère intellectuel du ministère de la Culture s’exerce encore fortement et standardise les modèles d’intervention publique. Les deux auteurs préconisent un effort d’analyse et de diagnostic territorial afin de tenir compte des richesses et de l’identité du territoire.


Diversité, différences culturelles et nouvel humanisme

Le concept de diversité culturelle a connu une fortune considérable ces dernières années au point de  devenir une véritable incantation au contenu flou. Serge Regourd dénonce l’abandon d’une volonté politique d’exclure la culture du champs de compétence de l’OMC au profit du concept de diversité culturelle, qui a pour effet de menacer ce secteur de libéralisation. Françoise Benhamou décrypte les malentendus suscités par les concepts d’exception et de diversité culturelle, le passage de l’un à l’autre ayant engendré un "glissement sémantique [qui] s’est accompagné d’un véritable glissement de la politique culturelle". La diversité nécessite à la fois une réflexion économique, sociologique et politique. F. Benhamou rejoint d’autres analystes quand elle dit qu’ "une politique de soutien à certaines formes culturelles est vouée à l’échec si elle ne s’accompagne pas de soutien à la production d’information et de formation, car le problème des biens culturels réside davantage dans la diffusion que dans la production".

La crise du modèle républicain invite à une réflexion renouvelée sur la question des différences culturelles et leur prise en compte dans l’espace public. Michel Wievorka estime que les identités culturelles "relèvent tout à la fois du dedans et du dehors de notre société et s’inscrivent dans des réseaux transnationaux tout en ayant un fort ancrage local et national". La crispation républicaine constitue pour lui une impasse. Il préconise une conciliation des valeurs universelles avec les particularismes, seule attitude politique capable de nous faire éviter les écueils du communautarisme et de l’universalisme abstrait.

L’ouvrage se clôt pour deux entretiens éclairants, l’un avec Alain Touraine, l’autre avec Edgar Morin, qui permettent de mieux cerner le contexte global d’évolution de nos sociétés contemporaines. Le premier insiste sur "le passage d’un monde structuré par des catégories sociales à des catégories de pensée et d’action essentiellement culturelles". Son analyse rejoint celle de Michel Wievorka : constatant la fermeture de la France à la diversité culturelle, il lui semble urgent de combiner un principe d’universalisme avec un principe de reconnaissance des identités pour atteindre à un "vivre ensemble avec nos différences". Diagnostiquant un malaise général dans le monde contemporain lié à la délégitimation de l’idée de progrès et aux incertitudes du monde, Edgar Morin plaide pour sa fameuse "politique de civilisation" qui consiste en une "revitalisation de l’humanisme" pour créer une "terre-patrie […] reconnaître le côté matriciel de la terre dont nous sommes issus et créer l’autorité régulatrice et légitimée qui peut nous sauver et qui n’existe pas pour l’instant".