Le savant Rachi de Troyes, rabbin et vigneron, relit les livres prophétiques à la lumière de la bénédiction divine.

S’il est d’usage de considérer la Bible hébraïque selon la composition ternaire suggérée dans le célèbre acronyme Tanakh (Torah-Nevi’im-Ketouvim), le rabbin Rachi de Troyes a rédigé au cours du XIe siècle deux grands commentaires, du Talmud et de la Bible, dont l'aura sera telle que Luther les utilisera pour sa propre traduction de la Bible. Le quatrième volume de l'oeuvre de Rabbi Shlomo ben Itsh’aki (de son vrai nom), éditée par les éditions du Cerf sous le titre de Bible de Rachi, achève les commentaires du savant de Troyes concernant les livres dits prophétiques, qui étaient déjà l'objet des deuxième et troisième volumes   . S’y rencontrent les commentaires de deux des trois grands Prophètes (Jérémie et Ezéchiel) ainsi que ceux des douze petits Prophètes (appelés ainsi parce que les livres qu’ils ont écrits sont plus courts que ceux des grands Prophètes). Gilbert Werndorfer, spécialiste du judaïsme, a assuré la traduction du texte de Rachi   en tentant d’adapter au plus près du texte biblique le commentaire de l’exégète.

Interprétations croisées et multiples de la Bible

Ce qui s’impose à la lecture du commentaire biblique de Rachi, c’est la manière singulière dont il parvient à conjuguer des annotations purement linguistiques (il propose de nombreuses traductions de mots en vieux français) et des éclairages puisant à la tradition exégétique juive et rabbinique (recours très courant au Targoum de Yonathan par exemple). De cette dynamique attentive à la fois à la dimension lexicale du texte biblique et aux thématiques portées par l’Ecriture naît la possibilité pour le lecteur d’accéder à différents niveaux de sens (le sens littéral, le sens allusif, le sens allégorique et le sens mystique), comme si la Torah et son étude assuraient constamment le passage du monde terrestre au monde divin et vice versa. De ce point de vue, ne soyons pas surpris de trouver dans les commentaires du savant troyen des explicitations concernant la vie quotidienne. Ainsi peut-on lire en Jr 50, 18 : « et soyez comme des béliers à la tête du troupeau » et le commentaire de Rachi selon lequel « il est d’usage que les boucs marchent devant le troupeau, à la tête des chèvres. » ; d’autres annotations, plus inattendues, peuvent référer à la physiologie masculine, telle l’explicitation de l’expression « forts en chair » dans la péricope suivante d’Ezéchiel (16, 6) : « Tu t’es prostituée aux enfants de l’Egypte, tes voisins, forts en chair », cette dernière expression étant à comprendre dans le sens de « Ayant un gros organe mâle ».

Lire la Bible et éclairer la vie humaine

Car il s’agit bien pour le penseur d’éclairer la relation entre Dieu et l’homme en dessinant les contours d’une anthropologie religieuse au cœur de laquelle la vie humaine et terrestre ne prend sens qu’à la lumière des bénédictions accordées par le Tout-puissant. Que les livres prophétiques alternent oracles de jugement et promesses de salut illustre précisément pour Rachi la nécessaire et salvatrice présence de Dieu dans la vie humaine. Le livre d’Osée se plaît ainsi à développer un symbolisme conjugal, autrement dit la métaphore d’un lien d’amour unissant Yahvé et Israël, épouse souvent infidèle   . Et Rachi d’expliciter en permanence, dans son commentaire, le thème de la prostitution, comme pour mieux éclairer le prophétisme à la lumière d’une Alliance (berit en hébreu) toujours renouvelée entre Dieu et les hommes. On y trouve donc une dizaine d’annotations directement liées à ce thème de l’infidélité et de l’idolâtrie. Certaines expressions bibliques, très poétiques, font ainsi l’objet d’une explicitation : « Ephraïm se repaît de vent », peut-on lire en Osée 12, 2 ; et l’exégète de préciser que « les mots du vent (mots futiles) » réfèrent à « l’idolâtrie ».

Le verger de la connaissance

Que le motif de l’amour conjugal traverse l’ensemble des livres prophétiques à la manière d’un leitmotiv permet de mettre en évidence la dimension interprétative et constamment renouvelée du texte biblique, ce que l’on a coutume d’appeler, dans la tradition juive, le verger de la connaissance. Nul doute que Rachi, vigneron de son état, devait trouver dans l’image du devenir hébreu, associée à l’arbre qui croît, la parfaite traduction de sa vision interprétative de la Bible.