Comment expliquer de façon ludique le fonctionnement et la place du Conseil constitutionnel dans notre démocratie ? Une bande dessinée relève le défi.

Au travers de leurs allées et venues dans les couloirs du Conseil constitutionnel, l'historienne Marie Bardiaux-Vaïente et la dessinatrice Gally proposent aux lecteurs, de manière assez ludique et passionnée, de partir à la découverte des origines de cette institution historique. Elles ont opté pour un jeu de couleurs et de noir et blanc à chaque renvoi dans le passé.

On découvre ainsi les premiers pas de la Ve République avec l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958, approuvée par une large majorité de Français, par référendum. Garants de la conformité des lois, à cette époque, seuls le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat pouvaient saisir le Conseil constitutionnel.

Au cœur du système juridictionnel

C’est avec une très grande précision que Marie Bardiaux-Vaïente décrit la place de chaque juridiction et leur rôle dans le système judiciaire pour les distinguer du Conseil constitutionnel. Ces explications sont toujours accompagnées de schémas clairs et détaillés, compte tenu de la complexité du système judiciaire pour un profane. À titre d’exemple, une pyramide sur une pleine page décrit le principe de la hiérarchie des normes et présente la Constitution comme la norme suprême dont le Conseil constitutionnel est le garant. Les indications de Marie-Bardieux-Vaïente prennent la forme d’une ode au Conseil constitutionnel. À grand renfort de gestuelles, les deux complices poursuivent leurs parcours et recherches dans les allées de la bibliothèque de la rue Montpensier afin de démontrer l’utilité de cette institution historique.

Des décisions majeures sont mises en avant, comme la décision « Liberté d’association » du 16 juillet 1971, déclarée inconstitutionnelle. Le Conseil considère qu’il n’y a pas d’autorisation préalable à requérir pour la création d’une association. Apparait alors pour la première fois, dans le cadre de cette décision, le bloc de constitutionnalité, composé de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, du Préambule de la Constitution de 1946 (et plus tard de la Charte de l’environnement de 2004).

Autre innovation majeure illustrée en noir et blanc, à l’aide d’un parchemin en couleur : la révision constitutionnelle proposée en 1974 par le président de la République Valéry Giscard d’Estaing, permettant d’élargir la saisine du Conseil constitutionnel à un groupe de 60 députés ou 60 sénateurs.

Il faut enfin mentionner, même si ce n’est pas la seule, la décision du 15 janvier 1975 annoncée avec une certaine solennité, puisque Marie Bardieux-Vaïente opte pour un tailleur classique rayé afin de mettre en avant la figure historique que représente Simone Veil, dont la loi sur l’IVG a été déclarée conforme à la Constitution. Et c’est à cette occasion que le Conseil des Sages a rappelé qu’il n’opérait pas de vérification de conventionnalité des lois, c’est-à-dire qu’il contrôle leur conformité à la Constitution et non aux traités internationaux.

Rapprochement avec les citoyens : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

La QPC est présentée comme l’une des avancées majeures du Conseil constitutionnel et occupe une part importante dans les développements de ce roman graphique. Son origine est très brièvement abordée par les deux autrices. Seuls les férus de l’histoire des institutions publiques le savent mais c’est à Robert Badinter, alors président du Conseil constitutionnel, que revient l’origine de la QPC. En 1989, il propose une révision constitutionnelle pour introduire une exception d’inconstitutionnalité dont l’objectif était de permettre aux justiciables de faire constater la violation de leurs droits fondamentaux, mais la loi ne fut jamais adoptée. Il a fallu attendre 2008 pour que la QPC soit acceptée et entre en vigueur en mars 2010.

L’actuel président du Conseil constitutionnel, M. Laurent Fabius, qui erre dans les couloirs de la Haute juridiction tout au long du récit, précise les conditions de cette avancée institutionnelle. Tout justiciable qui considère qu’une loi est contraire à la Constitution peut saisir une juridiction judiciaire ou administrative. Le Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, se prononce si les conditions de recevabilité sont réunies et peut décider d’abroger la loi litigieuse. On apprend que la QPC occupe 80 % du travail du Conseil et que Laurent Fabius a notamment mis en place un portail dédié à cette question, à destination des citoyens, à l’occasion des 10 ans de la QPC.

La QPC s’est imposée dans toutes les sphères de la société : en 2010, sur le régime de garde à vue, ce sont les libertés fondamentales de l’individu qui sont visées. Le Conseil constitutionnel a jugé que la garde à vue de droit commun violait les articles 9 et 16 de la DDHC de 1789. Il appartenait donc au Parlement de voter la nouvelle loi déposée par le ministre de la Justice qui a été définitivement adoptée en 2011. En 2018, à travers la QPC lancée par l’agriculteur Cédric Herrou, le Conseil constitutionnel a investi le champ du droit des étrangers, en consacrant pour la première fois un principe de fraternité à valeur constitutionnelle.

Étendue du contrôle au fil du temps

En 2020, en confirmant la validité de la loi « Egalim » visant à améliorer l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, le Conseil des Sages a de manière inédite étendu son contrôle de la loi « par rapport aux effets qu’elle produit à l’étranger ». Il a ainsi confirmé son intérêt pour les questions environnementales, qui ont été insérées dans la Constitution par l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité en 2005.

Mais ce n’est pas tout : cocktails à la main, affalées sur des chaises longues face au port de Marseille, les deux complices discutent de la mobilité du Conseil des Sages qui se délocalise trois à quatre fois par an dans une ville en région pour se rapprocher des citoyens et montrer qu’il n’est pas déconnecté de la société.

Enfin, comme le décrivent minutieusement et scrupuleusement les deux autrices, le Conseil constitutionnel est également tous les cinq ans le garant de la régularité des élections présidentielles.

Ce n’est pas un exercice aisé que de se plonger au cœur du système constitutionnel français et d’expliquer avec précision mais humour la complexité des différentes interventions de cette institution historique. C’est sans doute la curiosité insatiable de Marie Bardiaux-Vaïente pour la Constitution, cherchant à convaincre Gally de son rôle dans l’équilibre institutionnel tout au long du récit, qui rend la lecture de ce roman graphique si divertissante et éducative à la fois. À l’heure où le Conseil constitutionnel est remis en question au gré de certains intérêts politiques, il est bon de rappeler qu’il répond sur le droit et non sur le sujet posé, que celui-ci porte sur l’IVG ou sur le droit des étrangers.