Une mise en lumière d'une nouvelle discipline, la psychologie de l'optimisme.

La période actuelle est à la morosité, voire à la déprime. Sondages et enquêtes nous assènent que le moral des Français est à un niveau historiquement bas. Nous ne serions pas les seuls, puisque Européens et Américains partagent cet état d’esprit. Un ouvrage consacré à la force de caractère, à l’optimisme et au bonheur est donc tout à fait bienvenu. On le doit à Jean Cottraux, l’un des "papes" français de la thérapie cognitive (méthode centrée sur les comportements problématiques et les schémas cognitifs négatifs). Le psychiatre défend ici une approche récente en psychologie, qui repose sur un renversement idéologique assez révolutionnaire : pour shématiser, la réparation du traumatisme est remplacée par l’expression du potentiel. La psychologie positive ne nie pas le "côté obscur de la vie et de la personnalité", explique Jean Cottraux. Elle propose simplement un recentrage sur ce qui est positif chez l’homme.


Une psychologie de l'optimisme

L’objectif de la discipline est ambitieux : mettre en lumière les forces, les qualités et croyances positives qui nous animent, pour comprendre leur fonctionnement et favoriser leur développement. Le travail de deux psychologues américains, Martin Seligman et Christopher Peterson, en est la parfaite illustration. Après avoir proposé un modèle explicatif de la dépression, ils ont renversé leur perspective scientifique pour développer une psychologie de l’optimisme ! Ce sujet est d’ailleurs l’une des thématiques favorites de la psychologie positive, qui essaie de percer les secrets des individus intrinsèquement optimistes. Trois éléments structurent cette disposition : l’attente de résultats positifs, l’intérêt pour la vie, l’orientation pour le futur. Partiellement héréditaire (environ 40%, d’après des études), elle laisse une large place aux possibilités de développement individuel : "Il existe une prédisposition, mais qui ne va se réaliser pleinement qu’en fonction de l’interaction avec l’environnement." Gènes, éducation, expériences de vie, relations sociales : tous, par leur action conjuguée, jouent un rôle dans l’optimisme, mais aussi le bien-être et le sentiment de bonheur. Et les bénéfices ne concernent pas seulement le ressenti subjectif. La longévité et la santé seraient aussi en jeu. Par exemple, les systèmes immunitaire et cardio-vasculaire semblent fonctionner plus efficacement chez les individus optimistes.


Les valeurs du bonheur

Les représentants de la psychologie positive multiplient études et réflexions sur la personnalité, la qualité de vie, les expériences positives, le développement personnel, le sentiment de bonheur. Un vaste chantier, mais un chantier récent : les questions restent beaucoup plus nombreuses que leurs réponses. Parmi ces différents thèmes, Jean Cottraux privilégie dans son livre la force de caractère. Celle-ci s’appuie sur des valeurs, c’est-à-dire des "croyances stables selon lesquelles certains buts dans la vie sont préférables à d’autres". Des travaux scientifiques menés dans une cinquantaine de pays indiquent que les valeurs relèvent des mêmes domaines, de façon assez universelle : recherche de pouvoir ; accomplissement personnel ; hédonisme ; recherche de défis et de nouveauté ; autonomie ; bienveillance ; sens de la tradition. Ces valeurs renvoient principalement à deux modalités de fonctionnement : ouverture au changement vs conservatisme, et narcissisme vs compassion. Chaque individu se situe donc sur un continuum, marqué par les valeurs qui le caractérisent : plutôt les valeurs altruistes, ou individualistes, etc. Par cette approche centrée sur les valeurs et le caractère, la psychologie positive tente de mieux cerner la question de la force psychologique. Quels sont les points forts du caractère qui poussent à l’échec ou à la réussite ? Peuvent-ils être au service du développement personnel ou des relations sociales ?

Christopher Peterson, de l’université du Michigan, a ainsi mis au point un questionnaire des valeurs en action, permettant de mesurer les forces de caractère. 240 questions visent à déterminer la signature du caractère, faite des cinq valeurs les plus fortes chez l’individu. L’intérêt est d’identifier ses points forts pour les utiliser et les renforcer. 350 000 personnes de 200 nationalités auraient déjà rempli le questionnaire, disponible sur Internet. D’après des évaluations, les valeurs les plus couramment mises en avant sont la gentillesse, l’équité, l’authenticité, la gratitude et l’ouverture d’esprit.

L’un des aspects les plus intéressants du livre concerne la dimension thérapeutique : celle-ci n’est pas réservée aux difficultés psychiques, et peut être une ressource utile à l’épanouissement des forces du caractère. La thérapie cognitive "de bien-être" a une fonction préventive, alors que la dépression devient le mal psychique du siècle. De manière moins ambitieuse, la thérapie peut aider à valoriser la part de pensées positives, et à affaiblir les schémas cognitifs (des modèles de comportement et systèmes de croyance) qui posent problème et perturbent la vie ; par exemple, le sentiment de se sacrifier en permanence pour les autres.


Une étude sur la psychologie du bien-être inachevée

Malgré ses qualités – la principale étant la mise en lumière d’une nouvelle discipline –, le livre déçoit dans sa tentative de dresser un portrait complet et nuancé de la psychologie positive. Le discours est par moments trop encombré de références religieuses, philosophiques, historiques et littéraires qui diluent la présentation des recherches au lieu de la renforcer. Autre aspect qui brouille le propos, le livre se termine sous la forme d’un guide de développement personnel. Or il reste à découvrir bien des choses sur la psychologie du bien-être et de bonheur avant de développer conseils et méthodes de coaching. Le bonheur, par exemple, reste très mystérieux. Il donne lieu à des conclusions pour le moins excessives, dont un exemple est rapporté dans un dossier de l’excellent Philosophie magazine. Dans un article sur la mesure du bonheur, le journaliste Charles Pépin explique le point de vue de l’économiste Richard Layard, développé dans son livre Le prix du bonheur. Le chercheur s’appuie notamment sur des clichés d’imagerie cérébrale pour arriver à cette conclusion, résumée ainsi par le journaliste : "Puisque le scanner signale la même activité dans la partie préfrontale du cerveau droit lorsque les hommes éprouvent une satisfaction, c’est qu’ils ont une même idée du bonheur !"  Les neurosciences donnent parfois lieu à des raccourcis surprenants…

La psychologie positive ne permet pas d’obtenir toutes les réponses aux questionnements et aux doutes sur l’épanouissement personnel. Les voies du bonheur restent impénétrables, mais cette jeune discipline remplit son but : positionner la focale sur ce qui va bien, du côté psychique et affectif, et livrer quelques pistes pour modifier son comportement, ses attitudes, ses perceptions, dans le sens d’une vie plus harmonieuse. Ainsi, des études révèlent que les personnes les plus heureuses sont engagées dans le présent, plutôt que tournées vers le futur et les objectifs à atteindre. À méditer, ou à tenter…


À voir également :

- Dossier "Le bonheur sur mesure", Philosophie magazine, n°14, octobre 2007
- Article "Why it’s so hard to be happy", de Michael Wiederman, Mind, fev/mars 2007


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Crédit photo : Su-chan / flickr.com