David Vasse propose une analyse inédite et très précise des courants qui traversent le cinéma d’auteur en France depuis la fin des années 1980.

Un nouvel âge ?

Avec ce livre, Le nouvel âge du cinéma d’auteur français, David Vasse   touche à un domaine qui du fait de sa proximité temporelle n’a quasiment pas été traité dans sa globalité. Or, le renouvellement générationnel qu’a connu le cinéma français depuis bientôt 20 ans mérite amplement que l’on sorte du temps de la chronique journalistique pour se poser la question de l’existence ou non d’une singularité du "jeune" cinéma d’auteur en France. Une production de premiers films très au-dessus des autres cinématographies européennes, l’émergence de figures aussi emblématiques que Claire Denis ou Arnaud Desplechin, l’apparition dans le courant des années 1990 de nouvelles structures de formation (Femis, Le Fresnoy), d’accompagnement et de diffusion : voilà en effet autant de phénomènes indissociables d’une incontestable vitalité artistique. Mais, si comme l'écrit l'auteur : "Le renouveau peut désormais venir de partout, de tous horizons et de tous supports", il n'en est donc que plus légitime d'interroger en profondeur les composantes d'un tel "renouveau".

Conçu sur le modèle propre à la collection "50 questions" de la maison d'édition Klincksieck, Le nouvel âge du cinéma d’auteur français se présente comme un essai en 5 parties traitant chacune sous la forme d’une petite dizaine de questions un aspect considéré comme constitutif du cinéma français contemporain : le rapport au passé (Chapitre 1), la mise en scène du langage et des corps (Chapitres 2 et 3), la question du réalisme social et politique (Chapitre 4), la place des technologies numériques (Chapitre 5). Très fin connaisseur du champ qu’il s’est donné à étudier, David Vasse adopte dans ce livre une méthode originale d’appréhension des œuvres, à mi-chemin entre le travail universitaire et la critique cinématographique. Rigoureux sans être verbeux, théorique sans renoncer à la critique et au jugement, Le nouvel âge du cinéma d’auteur français séduit tout d’abord par la précision et la clarté de ses analyses. Ainsi, dans la première partie David Vasse fait preuve d’une grande acuité historique dans les rapprochements qu’il opère entre les différents courants et les différents cinéastes qu'il aborde. Dans la mesure qu’il donne de l’influence de la Nouvelle Vague sur la jeune génération se lit une bonne part des enjeux esthétiques qui travaillent Arnaud Desplechin, Olivier Assayas ou bien encore Pascale Ferran : "L’appellation déposée "jeune cinéma français" destinée à qualifier la majorité des films réalisés depuis 1990 par des cinéastes trentenaires et quadragénaires dit bien, à défaut d’être totalement pertinente, de quel sang bon nombre d’entre eux allaient accepter de se nourrir. De sang neuf et "mauvais", chaud et impur. À ce titre, la Nouvelle Vague représente toujours ce mouvement d’articulation de l’amour du cinéma d’hier et de l’impossibilité de le refaire. Sa spontanéité réside dans l’exploit de convertir ce dernier sentiment négatif en énergie créatrice sans toutefois le masquer complètement."  

Malheureusement, au-delà de la pertinence de cette reconnaissance d’une filiation artistique au sein du cinéma français, l’analyse de David Vasse ne repose bien souvent que sur une approche strictement thématique des films, ne mesurant leurs qualités qu’au regard de leurs intentions. Et si un tel parti pris fonctionne assez bien avec des cinéastes dont l’œuvre est suffisamment dense pour supporter de n’être abordée que sous un angle restrictif (ainsi les pages 210 à 213 sur l’utilisation de la vidéo HD par Eric Rohmer dans L’Anglaise et le Duc sont passionnantes), il n’en est rien quand il s’agit d’auteurs dont le sens de la mise en scène est plus sujet à caution   . Passant alors bien souvent à côté de l'essentiel, l'auteur enferme peu à peu son ouvrage dans une démarche répétitive qui consiste à établir des thèmes et des sous-thèmes, et à ranger dans des cases un certain nombre de films et de réalisateurs sans chercher à en extraire une quelconque synthèse. Une telle impasse discursive découle d’une somme de postulats énoncés - ou repris - par Vasse dès le début du livre qui tendent à poser comme un fait établi que le cinéma français est le meilleur du monde, et partant de là qu'il n'y a pas à discuter le talent de ses "auteurs".


Vive la France !

L'ouvrage commence ainsi : "Les quinze dernières années du cinéma français ont incontestablement été marquées par une diversité de styles et de regards sur le monde sans commune mesure avec les décennies précédentes. Ainsi formulé, ce constat ne semble pourtant guère exceptionnel à l'endroit d'une cinématographie depuis longtemps réputée comme les l'une des plus riches du monde."   . Un peu plus loin, Vasse persiste dans ce registre unanimiste en s'appuyant sur cette étonnante phrase de Jean-Michel Frodon : "Le biotope du cinéma français est, donc, le meilleur du monde. Pourquoi ? Parce que c'est celui où cohabitent, même de manière conflictuelle et dangereuse, le plus grand nombre d'espèces de films."   . Dans un autre domaine, celui de l'évolution des techniques, on retrouve un même enthousiasme à propos du développement du numérique qui aurait "considérablement modifié le rapport à la création et à la production, au point d'avoir favorisé l'invention d'un nouveau régime de fictions"   .

Pourquoi pas ? Prendre le parti de son époque et de ses contemporains n’aurait rien de répréhensible si tout cela ne débouchait pas sur une confusion entre la posture d’auteur et la stature de cinéaste. Confusion qui limite grandement la portée de l'analyse et induit un certain effet de nivellement en mettant sur le même plan des œuvres qui n'ont pas grand chose en commun du point de vue qualitatif. Ainsi, par trop de fidélité à la doxa auteuriste la plus rudimentaire, Vasse tombe dans les pires travers du snobisme critique qui consiste, par exemple, à assassiner Jean-Pierre Jeunet (et les années 1980 en général) au nom d'une conception éthique du cinéma   sans jamais se poser la question de savoir s'il n'y a pas plus de rigueur formelle et de complexité dans la re-mise en scène de notre quotidienneté chez l'auteur d'Amélie Poulain que dans la vision simpliste (pour ne pas dire douteuse) qu'offre Jean-Claude Brisseau des rapports maître/élève dans Noce Blanche ou dans la pauvreté formelle d'un film de Catherine Breillat. De même, est-il nécessaire de réduire dans le chapitre qu'il consacre au cinéma numérique le métier de chef opérateur en France au seul travail de Caroline Champetier   alors que tant d'autres directeurs de la photographie, ignorés de la presse, mériteraient tout autant son attention ? En épousant les termes d’une mythologie critique dépassée, David Vasse passe à  côté de son sujet. À savoir : de quelle matière est fait le cinéma français d'aujourd'hui ? Comment et pourquoi il nous parle ?  


Un cinéma au second degré

Toutefois, l'absence d'un parti pris original guidé par une véritable ambition de synthèse esthétique n'empêche pas ce livre - par la précision de ses analyses - de dessiner un portrait en creux des dominantes du cinéma français contemporain. Il ressort en effet du recensement thématique proposé tout au long de l’ouvrage par David Vasse que ce qui caractérise une bonne part de la production hexagonale de ces dernières années est bien l'origine théorique de son élaboration. Qu'il s'agisse de la comédie d'influence lacanienne, sous-genre prospère depuis bientôt 15 ans, ou du film social à portée métaphysique, ce qui semble manquer au cinéma français c'est un rapport sensible aux idées. Loin des démiurges américains espérant toucher au cœur de l'expérience humaine par l'immédiateté du processus d’identification cinématographique (Terence Malick, Steven Spielberg, P. T. Anderson ne craignent pas de se confronter cinématographiquement à des questions de morale "élémentaires"), nombre de cinéastes français n'osent plus parler du monde qui les entoure ou des fantasmes qui les habitent sans s'abriter derrière une forme d'expression artistique au second degré qui les protègent de leur propre sensibilité. À l'image finalement du livre de David Vasse, dont on peut regretter que le sérieux indiscutable ne soit jamais porté par le projet plus ample d'embrasser un point de vue réellement personnel sur le cinéma contemporain.


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