Le deuxième roman de Leye Adenle est un palpitant thriller politique. L’enjeu en est la ville de Lagos, dont il dévoile avec une grande habileté la meurtrière machinerie.

Un thriller au féminin

Le deuxième roman de Leye Adenle a tout d’une bonne suite. D’une part, il reprend ce qui faisait le succès du roman précédent, Lagos Lady, paru pour la première fois en 2015. L’éditeur français ne s’était pas trompé en mettant en avant dans le titre choisi le personnage féminin : Amaka, avocate qui défend la cause des femmes, fournissait en effet toute l’énergie du premier opus. C’est à nouveau elle que le lecteur suit principalement dans ce deuxième roman. Et en plus de son caractère affirmé qui la fait aller au-devant du danger et refuser parfois l’aide des autres – surtout si ce sont des hommes –, ce sont ses méthodes fondées sur la ruse et la construction de stratégiques machinations qui séduisent les amateurs d’intrigues policières. D’autre part, Feu pour feu est une bonne suite parce qu’il est encore plus spectaculaire que le récit de 2015. L’enjeu n’est rien moins que la gouvernance de la ville de Lagos, et le lecteur se voit projeter vers des sphères plus hautes encore de la société nigériane. Les courses-poursuites qui jalonnent l’enquête d’Amaka n’en sont que plus périlleuses. Le récit profite de l’écriture efficace, nerveuse et souvent ironique de Leye Adenle, qui accentue particulièrement dans ce roman la dimension cinématographique de son travail narratif. Les chapitres sont souvent très brefs, ils nous font rapidement passer d’un personnage à l’autre en déplaçant sans cesse le danger qui plane en permanence dans tout le roman, que l’on peine à lâcher avant de l’avoir fini.

Un polar urbain

Le jet privé du favori à l’élection pour le poste de gouverneur de Lagos s’écrase sur sa propre maison, une luxueuse villa des quartiers chics. Au même moment, Amaka se fait voler toutes ses affaires en tentant vainement d’empêcher un lynchage dans un marché populaire. Elle perd tout, y compris des preuves incriminant son pire ennemi, Chief Ojo. Quand ce dernier se voit propulsé candidat à l’élection pour remplacer le défunt, Amaka va tout tenter pour l’empêcher d’atteindre ce poste qui lui assurerait une immunité pour les violences de genre dont il est coupable. Le roman bascule alors vers le thriller, et plus particulièrement le thriller politique.

Il conserve les traits généraux du polar en Afrique. En faisant de Lagos non seulement le cadre de l’action, mais aussi l’enjeu principal pour lequel s’opposent les personnages, il continue d’insister sur ce que Pim Higginson appelle « l’irrévocable modernité de la ville africaine ». Sur sa complexité aussi, et sur les frontières qui s’y tracent. Entre les quartiers cossus que le crash aérien qui ouvre le roman a conduit à fermer et les allées du marché populaire, le roman montre des frontières hermétiques que la violence du roman et le caractère saccadé du rythme du texte ne font que souligner. À Lagos, plusieurs mondes aux règles bien strictes coexistent et, quand ils se rencontrent, de violentes frictions en résultent. De l’univers des hommes politiques où la moindre disgrâce est fatale à l’impénétrable confrérie des bouchers du marché, en passant, bien sûr, par les forces spéciales de la police, c’est tout un univers de la cruauté qu’il nous est donné de parcourir.

Machines, machineries, machinations

Et la politique, dans cet univers, repose sur l’idée de machine. Machineries, machinations, engrenages, tout un ensemble de dispositifs est nécessaire pour donner l’illusion de la démocratie. Ce que résume l’un des personnages qui explique l’absolue – et absurde – nécessité de truquer les élections : « Ils vont forcément faire quelque chose, donc nous aussi nous devons faire quelque chose, de telle sorte qu’au final, leur ojoro et nos petites combines à nous s’annuleront réciproquement, et c’est le véritable suffrage du peuple qui décidera. C’est comme ça que fonctionne la démocratie. » Mise en abyme où les stratagèmes criminels des personnages du polar reflètent les dysfonctionnements d’un système politique.

Mais il y a des victimes, qui tombent secrètement dans les rouages. Et la fonction du roman policier est de révéler la perte de ces « vies précaires », ces « vies qui ne comptent pas, celles des citoyens soumis à l’injonction d’acceptation d’un ordre mondial humanitaire inique et destructeur », selon les termes d’Hervé Tchumkam, qui emprunte ces notions à Judith Butler. Et il s’agit surtout de vies de citoyennes qui sont sacrifiées dans l’anonymat, des femmes qui d’ailleurs bien souvent dans le roman doivent adopter des noms d’emprunt. Dévoiler cependant ne suffit pas, il faut aussi agir contre, y compris en utilisant les mêmes méthodes, à outrance – ce que montre la fin du roman, qu’on ne dévoilera pas ici pour ne pas gâcher le très grand plaisir de sa lecture.