Deux témoignages majeurs sur la violence de la Seconde guerre mondiale, dont les auteurs étaient évoqués par Primo Levi comme des frères en écriture et en montagne.

Le front russe est évoqué en général à travers le regard des principaux belligérants – russes et allemands –, puis des survivants des massacres. La guerre des Italiens sur le front russe est l’objet d’un intérêt renouvelé depuis la parution du Cheval rouge d’Eugenio Corti. Les témoignages de Nuto Revelli et de Mario Rigoni Stern, deux auteurs importants de la littérature italienne, permettent de déplacer le regard. Trois ouvrages permettent d'aborder la question: ceux de Nuto Revelli publiés aux éditions de la Rue d'Ulm et aux Cahiers de l'hôtel de Galliffet, puis celui de Mario Rigo Stern aux Belles Lettres. Ces témoignages portent un regard sur la guerre en tant que combattants de deuxième ligne ; ils livrent aussi une analyse sur les démobilisations des petites gens envoyées sur le front russe et sur l’engagement antifasciste à la fin de la guerre.

Des Italiens en Russie

Benvenuto Revelli, dit Nuto Revelli, est né en 1919 dans le Piémont et décédé en 2004. Vendeur devenu écrivain, il s’engage comme officier en 1942, avant d’être envoyé dans la Division Tridenta sur le front russe. Très connu au-delà des Alpes, il a publié de nombreux ouvrages et, pendant plusieurs décennies, a collecté les souvenirs de ses camarades de combat, que ce soit sur le front russe ou au sein de la Résistance.

Mario Rigoni Stern est né en 1921. Géomètre, il est lui aussi incorporé dans la Division Tridenta où il combat dans les mêmes zones que Revelli sans appartenir au même bataillon. Rigoni Stern appartient au groupe des tireurs d’élite des chasseurs alpins envoyés dans ce bataillon.

Des scènes analogues sont rapportées dans les témoignages des deux hommes. Ils expliquent comment ils ont été envoyés sur le front de l’Est. Rigoni Stern précise pourquoi et comment il est fait prisonnier par les Allemands alors que Rivelli raconte comment il a été démobilisé et a rejoint les partisans à son retour en Italie.

Rigoni Stern, dans de courts textes proches de la nouvelle mais qui formen in fine un bel ensemble et un récit unifié, raconte l’attente des combattants, la désorganisation des troupes de l’Axe, le début de la retraite, l’errance des soldats italiens qui ne comprennent pas pourquoi ils se battent, puis pourquoi ils fuient, et enfin les contacts avec la population russe. Dans ses deux dernières nouvelles, Rigoni Stern raconte sa guerre comme une expérience indicible, la dédiant à Primo Levi, et analyse son retour en Russie soviétique, comme une forme de pèlerinage dans lequel il revient sur son vécu, sur ses camarades de combats et sur sa fierté d’avoir refusé à partir de 1943 de servir l’Allemagne et la République de Salo. Il a proposé une réflexion sur cet acte dans son livre Le courage de dire non. Le sergent Rigoni Stern refuse de suivre les Allemands et préfère être enfermé dans un camp, avec les Soviétiques prisonniers. Le livre de Rigoni Stern s’ouvre sur une citation de La Guerre des pauvres de Nuto Revelli.

La Guerre des pauvres et Les Deux guerres de Revelli sont à lire en parallèle. Ils couvrent pour le début les mêmes événements et en particulier l’errance dans la campagne russe. Revelli diffère de Rigoni Stern dans l’engagement dans la deuxième partie de la guerre. Il a dit non d’une manière différente dont il en explique la nature en détail dans les ouvrages aujourd’hui traduits.

Mémoires d’un partisan

Le « non » de Revelli passe par le combat avec les partisans du groupe socialiste fédéraliste Giustizia e liberta. Lorsqu’il réussit à rentrer en Italie, il rejoint la Résistance à Cuneo. Il découvre alors qui est le socialiste italien Carlo Roselli, fondateur du mouvement, son passage par l’Espagne républicaine et son assassinat par les fascistes français à la demande de Mussolini en 1937. Son groupe se déplace à travers les Alpes.

Les deux livres, La Guerre des pauvres et Les Deux guerres soulignent l’influence et le nombre grandissants des maquisards. Le passage au maquis est progressif. L'auteur rend compte des actions quotidiennes allant de la récupération individuelle à l’action armée. Les éliminations physiques des fascistes de plus en plus régulières, comme cet ancien responsable de la fédération fasciste de boxe devenu tortionnaire « abattu comme un chien », le 7 décembre 1943. Les échos des exécutions reviennent fréquemment. Le groupe multiplie les embuscades contre les troupes nazies.

Avec le temps, leur organisation se militarise et se spécialise. Les actions répondent de plus en plus à une logique guerrière en coordination avec les autres groupes de partisans. L’entente des Résistants repose aussi sur la fraternité des armes et sur la confiance entre les hommes. L’ouvrage fourmille d’anecdotes éclairantes sur la réalité de la Résistance. Si les livraisons d’armes par les parachutages alliés et les récupérations aident considérablement cette résistance, l'entrainement et l'expérience lui font cruellement défaut. L’ancien soldat constate amèrement les risques et les dangers que cela représente.

Enfin, ce témoignage rappelle le climat de terreur dans lequel vivent les populations face à l’occupant, les nazis et les fascistes italiens procèdant régulièrement à des exécutions sommaires. Les Deux guerres de Revelli souligne aussi la prégnance de l’antifascisme dans l’Italie libérée. Les partisans dans la région de Cuneo empêchent tout ancien cadre du régime mussolinien de passer par la ville. Lorsque le parti fasciste, le Mouvement social italien tente de faire une réunion publique dans la ville, les anciens partisans attendent avec des fusils.

Deux témoignages éclairants pour que les « jeunes sachent », comme l’écrit Revelli.