Un livre pratique qui souffre cependant de n'être pas actualisé.

L’histoire de l’Europe est un champ d’études qui connaît un développement important depuis quelques années. La construction européenne est, par ailleurs, un processus inachevé qui laisse encore de nombreuses questions en suspend. Dans son ouvrage, Marie-Thérèse Bitsch relève le défi de présenter simplement l’histoire d’une Europe communautaire souvent accusée de technocratisme et d’opacité et présentée comme excessivement compliquée.

L’idée d’Europe n’est pas nouvelle. Dans un chapitre introductif, l’auteur revient sur ses différentes expressions au XIXe siècle, depuis le concert des nations jusqu’au printemps des peuples. Les années d’entre-deux-guerres voient germer des associations de militants et des projets de construction, à l’instar du plan Briand de 1929. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, certains résistants développent également une pensée européenne, qui sera reprise dès la deuxième moitié des années 1940. Un des questionnements du livre est précisément d’analyser les formes de continuité et de ruptures entre ces différentes expériences et la construction européenne.

La Libération constitue un moment fondamental dans la construction européenne. L’Europe n’est alors plus "rêvée" mais devient "nécessaire" Plusieurs institutions naissent dans le contexte de la Guerre froide, favorisées par les Américains. Pour organiser la distribution des subsides du plan Marshal, en 1948 est créée l’OECE, tandis qu’une alliance militaire, l’Union occidentale, regroupe la France, la Grande-Bretagne et les pays du Benelux. Cette même année se tient la conférence de La Haye, qui débouche sur la création du Conseil de l’Europe, en 1949. En mai 1950, Robert Schumann lance l’idée d’une organisation du charbon et de l’acier commune à la France et à l’Allemagne de l’Ouest, qui aboutira à la création de la CECA, en 1951. Deux ans plus tard, deux autres initiatives, la communauté européenne de Défense (CED) et la Communauté politique européenne (CPE) sont quant à elles vouées à l’échec.

M-T. Bitsch s’avance prudemment dans cette forêt de sigles et dans ce maquis institutionnel, en donnant une description précise de leur genèse et de leur fonctionnement. Surtout, elle s’attache expliquer le rôle des acteurs. Les institutions européennes n’apparaissent jamais figées, pour elles-mêmes mais elles dépendent des hommes qui les animent et des rapports de force. Ceux-ci se cristallisent notamment en 1954, lors de la "querelle de la CED", à laquelle l’auteur accorde plusieurs pages.

L’année 1955 est celle de la "relance de Messine", qui amènera les Six États membres de la CECA à signer les traités de Rome, par lesquels sont créés la Communauté économique européenne et Euratom. Dès lors, la construction européenne sera avant tout communautaire. Les étapes de la construction européenne seront presque toutes déterminées par la CEE. Les années 1950 et 1960 sont celles de la mise en œuvre et de l’organisation du marché commun. Bitsch insiste, là encore, sur le poids des hommes face aux institutions. Ainsi, la seule opposition du général de Gaulle à une Europe plus fédérale et à l’adhésion du Royaume-Uni suffit à bloquer durablement la construction européenne.

L’arrivée au pouvoir de Georges Pompidou, qui propose la tenue d’une conférence à La Haye, à la fin de l’année 1969, permet une deuxième relance autour du triptyque "achèvement, approfondissement, élargissement". Il s’agit d’élaborer le règlement financier de la politique agricole commune, de renforcer la coopération, dans les domaines de la sécurité et de la monnaie notamment, et de relancer les négociations avec quatre candidats à l’adhésion (Angleterre, Irlande, Danemark et Norvège). La deuxième partie de l’ouvrage est donc encadrée par deux relances. Elle se conclut sur le traité de l’adhésion de trois nouveaux pays, qui fait passer l’Europe des Six à l’Europe des Neuf.

La dernière phase, de 1973 à nos jours est celle des "élargissements" et des "approfondissements". La Communauté européenne s’attèle à plusieurs chantiers d’envergure, qu’elle gère simultanément. À ce moment le traitement chronologique fait place à un exposé thématique. Il s’agit, en effet, au cours de ces trois décennies, à la fois de renforcer la coopération dans les domaines de la défense et de la monnaie, de créer des partenariats avec les pays du Sud, d’étudier les demandes d’adhésion de nouveaux membres.

La composition nouvelle de la Communauté et le changement sur la scène internationale obligent, de plus en plus, à réfléchir sur une modification des institutions et à un renforcement de la coopération entre les États dans le domaine politique. Le traité de Maastricht de 1992 constitue la première modification du traité de Rome. Il prévoit, à terme, la constitution d’une Union économique et monétaire (UEM) et institutionnalise la coopération en matière de politique étrangère et dans les domaines de la police et de la justice.

La difficulté pour Marie-Thérèse Bitsch était de se lancer dans l’histoire d’une construction qui n’est pas achevée. Elle livre ici les dernières modifications de l’Union européenne, sur le plan institutionnel, avec la signature des traités d’Amsterdam et de Nice et l’entrée de dix nouveaux pays en 2004 ; dans le domaine monétaire, avec l’entrée en vigueur de l’euro ; en matière de politique étrangère, en intégrant la mise en place de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), le conflit kosovar et les conséquences des attentats du 11 septembre 2001. La lecture du livre est enthousiasmante puisqu’il rattache les derniers rebondissements de la construction européenne à son histoire.

Le principal regret qu’on peut nourrir, c’est que la nouvelle édition n’a pas été augmentée. Dans ce domaine où les événements s’enchaînent, même les livres les plus récents sont rapidement dépassés par l’actualité. En juillet 2004, Marie-Thérèse Bitsch concluait sur la signature du traité constitutionnel. On aurait aimé un appendice dans lequel l’auteur serait revenue sur l’échec de la ratification et sur les problèmes multiples que pose aujourd’hui une Europe à vingt-cinq. C’est là finalement un des intérêts de l’Europe : déjà un objet historique à part entière et un enjeu majeur pour la politique à venir.