Dans le nouveau podcast histoire en séries, Pierre Denmat présente et analyse les grands thèmes de la série sud africaine "Generations". Elle permet mieux appréhender la vie après l'apartheid.

Présentation de l'intervenant : 

Agrégé de géographie, professeur d’histoire-géographie en classes européennes au lycée Paul Langevin de Suresnes, et professeur de géographie en CPGE littéraire au lycée Victor Hugo de Paris. Doctorant en géographie à l’université Paris Nanterre, sous la direction de Sonia Lehman-Frisch et de Philippe Gervais-Lambony. Recherches qui portent sur l’enseignement de la géographie à partir des séries télévisées à travers une analyse croisée entre New York et Johannesburg. Très engagé dans des projets de pédagogie innovante et coopérative : directeur d’ouvrage au Livrescolaire.fr (manuel de géographie de terminale), animateur de formations dans l’académie de Versailles, programme de coopération européenne Europeana (lauréat pour la France en 2019), partenariat pédagogique avec plusieurs lycées à Johannesburg. Je suis aussi membre du jury du Capes externe d’histoire-géographie.

Pierre Denmat, 2018, « Lagos, immensité et urbanité d’une ville d’Afrique subsaharienne fantasmée dans les séries télévisées », Urbanités.

Liens vers le podcast : 

Déroulement du podcast : 

Sortie en 1994 sur la chaîne de télévision publique SABC 1. 7 millions de téléspectateurs en moyenne. Generations est l’un de plus gros succès de la télévision sud-africaine.

Date clé : fin de l’apartheid, nouvelle ère politique en Afrique du Sud.

Série qui présente la classe moyenne noire, qui parle anglais. Elle apparaît comme représentative de l’émergence du pays.

 

  1. Étudier les séries sud-africaines à l’aune de la géographie… et de l’histoire !

Décentrer le regard : l’Afrique produit aussi des séries (Nigéria et Afrique du Sud notamment).

Genre qui s’est fortement développé en Afrique du Sud depuis les années 1990. Les chaînes publiques, comme SABC, ont développé les séries anglophones, ce qui renouvelle le genre. Ces séries s’adressent donc à un certain type de public en Afrique du Sud, la population sud-africaine n’étant pas toute anglophone.

On note une nette transformation du paysage des séries sud-africaines depuis les années 1990. Les séries, durant l’apartheid, se limitaient à mettre en scène des acteurs blancs. Depuis les années 1990, les acteurs sont aussi noirs et les séries mettent en scène des familles noires. Elles symbolisent ainsi la nation arc-en-ciel.

On note également un déplacement des espaces filmés. Pour Johannesburg, les séries des années 1990 se concentraient essentiellement dans le centre de Johannesburg qui était, durant l’apartheid, un espace réservé aux populations blanches. Depuis la fin de l’apartheid, les séries sont de plus en plus tournées dans d’autres quartiers de Johannesburg : à Sandton, le nouveau CBD au nord, mais aussi dans les townships : principalement Soweto et Alexandra.

 

  1. Generations : une série qui consacre les espoirs de l’émergence en Afrique du Sud

Generations est une série diffusée sur une chaîne publique. C’est un point très important à prendre en compte en Afrique du Sud car, si les chaînes privées sont nombreuses, elles sont loin d’être accessibles à tous.

Cette série est une soap opera, plus de 1000 épisodes ont été diffusés entre 1994 et 2014. Elle met en scène le monde de la publicité, en montrant notamment des populations noires qui réussissent dans ce domaine. Cette réussite sociale symbolise les espoirs nourris par la fin de l’apartheid pour la population noire qui représente plus de 90 % de la population sud-africaine. Toutefois, il faut noter la présence également d’acteurs blancs et indiens, ce qui témoigne des espoirs de constituer une nation arc-en-ciel à la fin de l’apartheid.

L’emplacement de la série est emblématique : Auckland Park, un quartier situé au nord du centre-ville de Johannesburg. Très résidentiel, il est marqué par une certaine mixité de la population mais par de nombreuses maisons individuelles, sécurisées, qui font rêver les populations noires qui sont restées cantonnées dans les townships jusqu’à la fin de l’apartheid. Auckland Park est un quartier de classe moyenne, moins aisé que les quartiers plus au nord, notamment Hyde Park ou Parktown. Filmer des populations noires dans un tel quartier est ainsi une façon de montrer aux téléspectateurs l’ensemble des possibles qui s’ouvrent à eux depuis l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela.

La suite de la série, Generations the legacy, qui a rencontré un succès beaucoup moins important est toutefois très intéressante sur les plans géographique et sociologique. En effet le générique montre à lui seul la richesse à laquelle certaines populations ont pu accéder en Afrique du Sud dans le cadre de l’intégration à la mondialisation et de l’émergence du pays. Ainsi, ce générique met en scène des voitures de luxe, des hommes et femmes d’affaires (noir.e.s) et des bâtiments modernes emblématiques de l’architecture du nouveau quartier d’affaires du nord de la métropole de Johannesburg : Sandton.

 

  1. Une série qui témoigne aujourd’hui des difficultés de l’Afrique du Sud : une nation post-émergence ?

Durant les vingt ans de production, la série a évolué avec la situation économique du pays. Si les espoirs, et les réussites, ont été nourris jusqu’en 2008, il faut noter une évolution de la série ensuite. 2008 marque l’entrée de l’Afrique du Sud dans une crise majeure dont elle ne s’est toujours pas relevée aujourd’hui. La croissance est atone et l’émergence semble être un processus à l’arrêt depuis maintenant plus de 10 ans.

Generations marque cette évolution en ne s’intéressant plus qu’aux quartiers réservés aux classes moyennes de Johannesburg mais en faisant apparaître le township d’Alexandra, situé à l’extrême nord de la métropole, à proximité du quartier d’affaires de Sandton.

 

Les townships n’apparaissent que peu dans les séries sud-africaines. On peut noter à ce titre la précurseur Yizo-Yizo diffusé sur SABC 1 entre 1999 et 2004 et tournée dans le township de Daveyton, à l’est de la ville. Plus récemment, Rhythm city, une série à succès diffusée sur la chaîne privée e.TV, depuis 2007 fait apparaître Soweto.

Cette apparition des townships dans les séries peut interprétée de deux manières. On peut penser que les producteurs de séries ont décidé de faire apparaître des espaces qui font partie du quotidien des téléspectateurs et de nombreux sud-africains alors qu’ils ont longtemps été délaissés et occultés. On peut aussi formuler l’hypothèse que leur mise en scène est une façon de montrer qu’ils existent toujours, bien que l’espoir en 1994 était qu’ils disparaissent et que l’ensemble des populations noires accèdent à un habitat plus qualitatif. Rappelons toutefois qu’aujourd’hui, les townships sont des quartiers habités par une petite classe moyenne noire, notamment Soweto, les plus pauvres résidant dans des habitats informels à proximité des townships.

Dès lors se pose la question de savoir si l’Afrique du Sud représentée dans la série Generations n’est pas une Afrique du Sud qui passe de l’émergence à l’ère post-émergente. Cette post-émergence de l’Afrique du Sud est une hypothèse que Philippe Gervais-Lambony a formulée depuis quelques années face au constat que le pays était en panne de croissance et que les inégalités persistaient.