La créature de "The Thing" (John Carpenter, 1982) devient le support d'une "matériaulogie" de l'image filmique.

Puissances monstrueuses / propositions esthétiques

Au commencement de l’ouvrage de Sophie Lécole Solnychkine, il y a d’abord une énigme esthétique, posée par la Créature extraterrestre protéiforme qui, dans le film The Thing (1982) de John Carpenter, décime les membres d’une base scientifique antarctique en les dupliquant, sans que l’on ne la voie jamais sous d’autres aspects que ceux qu’elle emprunte à ses victimes : que reste-il de nos certitudes sur la figure filmique lorsque celle-ci se donne à voir d’après ses qualités métamorphiques ? Mais encore : que nous apprend la Créature sur la nature même de la figure filmique dès lors qu’elle procède par trouées, par creux dans la représentation, en régimes d’instabilité de la forme ? La Chose de Carpenter, c’est donc en première instance un problème pour la représentation. Il s’agit, pour Sophie Lécole Solnychkine, d’en faire un point de départ et d’appréhender tout geste analytique depuis ce problème. Mais cette question s’étend bien au-delà du simple fait esthétique que constitue la Créature puisque, l’auteure l’annonce, celle-ci pourrait bien dire aussi quelque chose de notre propre espèce, cette espèce humaine que Jean-Louis Schefer qualifiait déjà de « mutante ».

D’emblée, l’exercice de l’analyse filmique est le centre nerveux d’une réflexion qui, toujours revient vers le dedans des images, pour mieux les excorier et ainsi parler depuis elles. Mais c’est également une proposition qui assume que les images procèdent toujours par excroissance, tels des corps étrangers. Véritables foyers de rencontre, elles forcent à un déplacement du regard qui nous permet de retracer des liens souterrains entre des objets qui a priori ne découlent pas d’une histoire plastique commune. Cela conduit l’auteure à mobiliser un outillage théorique capable de dire à la fois la nature de ce « monstre de cinéma » et la manière dont il fait coaguler et s’amalgamer tout un réseau d’images qu’il lie par la force de sa viscosité. C’est ainsi depuis l’aberration figurative dont naît la créature – laquelle « s’écoule dans le film par la somme de ses affleurements à l’image » (p.12) – qu’est mobilisée une approche matériaulogique du cinéma. De ce site théorique émerge alors un regard « déplacé » sur les images de cinéma, soucieux de rappeler que, si elles sont bien photoréalistes et procèdent d’un mimétisme immédiat, elles ont aussi une autre vocation : les images filmiques sont aussi le lieu d’une labilité des figures.

 

Disséquer la Créature : une approche matériaulogique de la figure cinématographique

Dès les premières pages de l’ouvrage s’épanouit une proposition d’ekphrasis d’une scène fameuse de The Thing, où la question de la figurativité du « corps » de la Chose s’expose de manière frontale. S’élabore alors un regard que l’on pourrait qualifier de chirurgical, que l’auteure mobilisera régulièrement pour décrire ce qui se joue dans le lieu même de l’image. La première description d’une des nombreuses apparences de la Créature dit déjà beaucoup de la terreur suscitée par le film de Carpenter : ramassis de chairs gluantes, « appendices de crustacés » (p.13), tête répliquée surgissant depuis les tréfonds modifiés du corps de Norris. La Créature, on le comprend très vite, n’est pas seulement un amas d’espèces et de matières organiques hétérogènes, « mais un opérateur heuristique qui nous conduira à envisager des formes d’appariement entre biologie et esthétique » (p.15).

En ce sens, Sophie Lécole Solnychkine affirme l’écart que signe son ouvrage avec les écrits de ses prédécesseurs anglo-saxons. Il ne s’agit plus de saisir les spécificités narratives et stylistiques de The Thing, ni d’égrener l’héritage possible de la novella de John W. Campbell (La Bête d’un autre monde) tout autant que de sa première adaptation par Nyby et Hawks (La Chose d’un autre monde, 1951), mais bien d’y revenir pour y trouver seulement des questions. C’est donc plutôt du côté de Lovecraft (Les Montagnes de la folie) que des rapports poétiques s’affirment, dépassant le simple fait généalogique. Ainsi, c’est à partir du métissage des deux espèces inventées par Lovecraft (les grand Anciens endormis dans la glace, et Shoggoth, entité pâteuse, servile et protéiforme, capable de reproduire en son sein des cellules exogènes) que s’actualise une première tentative de saisir ce qu’est la Chose depuis sa versatilité même et son caractère infigurable.

A partir des qualités de la Créature de Carpenter, et toujours avec une approche attentive au travail des images, Sophie Lécole Solnychkine déploie au fil de ses exemples ce qui pourrait être une proposition de définition d’une des nombreuses modalités d’apparition de la figure cinématographique. La Créature, nous dit-elle, « n’existe pas en tant que telle » (p. 50), et « en son apparaître, pose un certain nombre de problèmes esthétiques, dont la question du rapport entre forme et matière n’est pas le moindre » (p.51). Ce n’est donc pas à travers une même forme que se construit la continuité et l’unité de la figure mais bien à travers un même matériau (qui n’est pas un matériau filmique comme le sont le grain ou les effets de flou, mais un matériau inférant, qui se saisit là où les états de matière représentés à l’écran sont rendus sensibles). Par exemple des textures diverses unifiées par la couleur en une même matière permettent, comme l’indique l’auteure, de rendre continus les rapports entre la figure et l’espace dans lequel elle s’inscrit, ce principe se diffusant d’image en image, sur le mode de l’écoulement.

On comprend donc que le projet théorique de l’auteur ne tend pas seulement à tracer les contours d’une stimulante analyse filmique visant à articuler plastiquement les différents modes d’être de la Créature de The Thing. Si la Créature est le premier rouage théorique de l’ouvrage, c’est qu’elle fonde « l’atelier d’une réflexion sur la genèse des formes » (p. 51) en posant frontalement un problème à l’image filmique. C’est donc plus largement une théorie de la viscosité de la figure filmique que Sophie Lécole Solnychkine entend élaborer. De cette manière, elle porte la Créature jusqu’à l’écart figural qu’elle produit (la multiplicité de ses formes qui pourtant appartiennent à une même figure), faisant d’elle un « opérateur théorique » (p. 64) privilégié. Créature plasmatique (le terme est emprunté à Eisenstein) et expansive, qui ne l’est pas seulement par sa nature, puisqu’elle peut bien affleurer n’importe où au cœur des images ; « déteinte » figurative, selon les mots de l’auteur : il s’agit là d’une stimulante proposition visant à reformuler ce sur quoi tient le régime de ressemblance autant que l’idée de figure au (et de) cinéma.

Le renvoi ponctuel à certains auteurs – comme Eisenstein lorsqu’il compare les figures de Walt Disney à des « protoplasmes », Epstein (et son texte Le Cinéma du diable), ou encore, plus éloigné des questions filmiques, Didi-Huberman, cité pour un texte où il est question de la plasticité particulière des statues de cire – montre à quel point le travail de Sophie Lécole Solnychkine est traversé par des échos qu’elle transforme en outils pour façonner sa propre définition des puissances visqueuses de la figure cinématographique. De Didi-Huberman, notamment, elle reprendra l’idée de viscosité des matériaux (ce qui est visqueux corrompt la forme en empêchant sa fixation), introduisant l’idée que les figures, dont celles photoréalistes du cinéma, ne sont pas si fermement rattachées à la mimésis, et qu’il est ainsi possible de les saisir plutôt à partir de leur caractère malléable et instable.

 

Leçon(s) d’anatomie – Carpenter, Rembrandt : regards croisés

De ces apports extérieurs, on peut retenir une surprenante proposition iconologique qui consiste à rapprocher des segments en peinture et en cinéma de « leçons d’anatomie », thème cher à la peinture des Pays-Bas du XVIIe siècle (celle de Rembrandt en constitue l’exemple le plus fameux). Surprenante, d’abord, parce que cette effraction iconographique n’est pas du simple fait de Carpenter : Hawks et Nyby ont également usé du motif des hommes assemblés en cercle (p. 90). Ensuite, parce que cette étrange rémanence pose d’autres questions, notamment celle « de la logique de l’effet-retour » (p. 89), laquelle permet de croiser les regards portés tour à tour sur Rembrandt (Leçon d’anatomie du docteur Tulp, 1632) et les interprétations qu’en ont donné Hawks/Nyby puis Carpenter, afin de mieux questionner ce qui, dans ce dialogue, procède d’une « mimésis de la culture » (p. 89). C’est enfin l’occasion de penser la manière dont les œuvres dialoguent par l’imitation, remettant à jour la scène d’autopsie tout autant que le motif qui s’y figure (celui de la main du docteur Tulp), repris lui aussi dans les deux films cités.

Il s’agit donc dans un premier temps de saisir les spécificités de la peinture de Rembrandt et de comprendre comment s’inscrit le remodelage opéré par The Thing (notamment parce que ces enjeux se développent en cinéma, c’est-à-dire selon des possibilités propres à l’art cinématographique). Un motif permet ainsi de lier les œuvres filmiques à l’œuvre picturale : celui de la main ouverte. Svetlana Alpers est alors convoquée en ce qu’elle offre un éclairage important sur la question de la figuration des mains dans l’œuvre de Rembrandt comme manifestation du toucher. Elle permet à l’auteure d’ouvrir l’idée d’une « continuation carnée » (p. 95) de la Créature de The Thing, ce que l’idée du toucher en voyant, véritable enjeu du motif de la main (Didi-Huberman, Svetlana Alpers), permet d’étayer. Ce motif, lui aussi « gluant », suinte d’œuvre en œuvre (de Rembrandt sont également cités La leçon d’anatomie du Docteur Deyman, et Le lit à la française) et permet à l’analyse de faire se rejoindre la manière picturale de Rembrandt et la théorie matériaulogique qui s’invente au fil des analyses.

Sophie Lécole Solnychkine part ainsi de Carpenter pour raviver des présences enfouies chez Rembrandt : par rétrospection émerge l’idée qu’il y aurait chez Rembrandt une forme préfigurée de la question esthétique que pose le film de Carpenter (p. 89). C’est donc encore une fois par une description du travail des images et de leurs inventions figuratives – les images étant toujours le support premier des réflexions de l’auteure – que le travail des formes est mis au jour, et nous rappelle encore que les images regorgent de questions esthétiques, comme autant de liaisons possibles qu’il appartient au regard attentif d’actualiser.

 

Rugosité de peinture, matériau cinématographique

A partir, cette fois-ci, de la manière de Rembrandt caractérisée par la recherche d’effets de matière, de texture rugueuse vers lesquels le Maître se tournera à la fin de son œuvre, Sophie Lécole Solnychkine nous fait revenir vers l’une des questions centrales de son ouvrage : la réflexion matériaulogique. C’est donc ainsi un même enjeu que l’on retrouve chez Rembrandt et Carpenter : celui d’une redistribution des frontières ontologiques entre les choses (« distribuer les frontières ontologiques entre les choses, discriminer les êtres demande un effort sensible » p. 99) qui est en même temps une véritable mise en péril de la mimésis.

La proposition matériaulogique touche ainsi à de nombreux aspects du film de Carpenter. Si elle qualifiait dans un premier temps les modes d’être de la Chose, et la manière dont elle faisait figure par viscosité de plan en plan, elle dit maintenant depuis le détour opéré avec Rembrandt la manière dont « se diluent dans la viscosité du matériau non seulement les frontières entre les objets, mais aussi, plus essentiellement, toute possibilité d’identification des êtres » (p. 99). On passe alors à une proposition nous invitant à « indistinguer la figure et le site qui lui ferait office de milieu » (p.101). Sophie Lécole Solnychkine fait alors se rejoindre la manière dont la figure cinématographique contamine plastiquement le film et la question ontologique qu’elle pose.

La Créature agit donc d’après le mode du pli : elle parvient à faire figure, alors même que sa forme ne se donne jamais tout à la fois et repose au contraire sur la somme de ses apparitions à l’image. Elle se déploie ainsi esthétiquement au sein de l’espace filmique jusqu’à le transformer lui-même en monstre. Ce faisant, elle induit également une remise en question des automatismes sur lesquels tient notre regard. La Créature engage en effet une logique de mutation en continu de sa forme, et jette un doute durable sur la nature des figures filmiques, ce qui amène Sophie Lécole Solnychkine à renoncer momentanément à la notion de figure. Le regard matériaulogique pour lequel opte alors l’auteure nous permet ainsi de renouveler les méthodes d’analyse communément utilisées lorsqu’il s’agit de penser la figure cinématographique.

Il s’agit dès lors de poser ce regard sur tout l’univers filmique afin de comprendre comment s’y activent « des procédures esthétiques de contamination, qui étendent ou augmentent la figure de la Créature jusqu’à l’ordre représenté du monde » (p. 104). De ce point de vue il apparaît que le vocable « figure », avec tout le socle théorique qui lui est rattaché, ne convient plus pour dire la manière dont la Créature travaille les images. La Créature en effet contamine le film (même si elle ne contamine pas à proprement parler ses proies) en suscitant une inquiétude figurale permanente (comme lorsque couleurs et textures sont continuées, p. 73).

Il s’agissait donc, dans un premier temps de l’ouvrage, de mettre en exergue la manière dont la figure se liait à l’image. Rétive à se laisser définir selon une forme stable, elle préférait plutôt le mode de l’épanchement, fonctionnant comme une rumeur plastique. Or, dans un second temps, le travail chromatique laisse place à celui du matériau, terme que l’auteur préfère à celui de matière. A travers cette notion, Sophie Lécole Solnychkine nous invite à agrandir le périmètre de la figure, pour finalement l’étendre jusqu’aux limites du monde filmique. Sa proposition se fait dès lors plus radicale.

Le travail chromatique ne s’arrête pas à confondre la figure et le fond hors duquel elle devrait émerger. Il abandonne toute idée de figure pour étendre ses puissances jusqu’aux effets optiques que provoque la neige, omniprésente dans The Thing. Cela amène Sophie Lécole Solnychkine à user du terme « photokératite » pour dire ce qui se joue dans les images du film (le blanc éclatant de la neige provoque une fatigue optique, qui modifie nos manières de percevoir les couleurs). Ainsi le film préfèrera le fondu au blanc plutôt que celui au noir, pourtant plus usité. Et ce fondu, matière blanche et poudreuse, partira de l’espace antarctique, omniprésent dans le film, pour se pondérer entre les images et « finalement contaminer la collure, le pli des images » (p. 105). Ce matériau blanc continuera ainsi à interroger la plasticité particulière que revêt la figure humaine dans The Thing. Puissance à la fois figurante et opacifiante, capable de se parer de couleurs électriques et monstrueuses, elle permet de maintenir l’évidence selon laquelle la Créature agit bien selon un effet de viscosité sur tout l’espace filmique.

 

Cinéma et biologie : un dialogue en images

Le cinéma est capable, selon Sophie Lécole Solnychkine, de fonctionner comme une chambre de fiction génétique (p.127). L’image filmique deviendrait ainsi « le creuset biologique où les phénomènes ordinaires deviennent monstrueux » (p. 127). En effet la dernière partie de l’ouvrage semble inviter le lecteur à travailler depuis des lieux (science, biologie/art) dont les liens apparaissent de prime abord peu naturels, ou du moins peu usités en théorie du cinéma. Il s’agirait donc in fine d’explorer avec The Thing, mais aussi avec Blutgletscher (Marvin Kren, 2013), la manière dont certains films nous permettent d’explorer la rencontre entre diverses formes de connaissances. Se juxtaposent par exemple, dans le film autrichien convoqué par l’auteure, une imagerie médicale de pointe et une lithographie allemande du XXe siècle. Avec un tel exemple, on comprend la volonté qui anime l’essai de raviver au contact de The Thing et de Blutgletscher de foisonnants croisements entre la biologie et l’esthétique, jusqu’à en faire « potentiellement, la direction d’une esthétique de la biologie – ou d’une biologie de l’esthétique » (p. 129).

On peut rappeler avec l’auteure que de telles propositions ont déjà été travaillées (avec Etienne Souriau, notamment, ou encore Muybridge et Marey au XIXe siècle). Or ces deux films ne permettent pas uniquement de revenir sur les accointances entre savoir scientifique et images en mouvement. L’auteure repère ainsi une spécificité de ces deux films : à travers leur trame narrative et formelle, ils nous permettraient d’interroger notre « intégrité ontogénétique humaine » (p. 131). De fait, le terme « métaplasme », que Donna Haraway utilise pour désigner le remodelage réciproque de l’humain et du chien, peut être déplacé dans le champ des images. Dans ces dernières pages d’analyse, Sophie Lécole Solnychkine nous rappelle ainsi une chose essentielle : le cinéma constitue bien un monde dans lequel il m’est possible à moi, spectateur, de croiser ou d’échanger mon regard, mes régimes de perception (à l’occasion de certaines propositions spatiales, auditives) avec ceux d’entités animales ou inhumaines. Ces inventions perceptives, qualifiées par l’auteur « d’images opérées » (p. 132), visent donc à redistribuer les catégories d’accès au sensible auxquelles nous sommes pourtant fermement soumis lorsque nous faisons nos expériences terrestres.

De ces mutations figuratives visant à actualiser des possibilités de visions inconnues pour l’homme, on peut retenir deux exemples, l’un dans The Thing, l’autre dans Blutgletscher. Dans le film autrichien, une séquence interroge ainsi frontalement « les métamorphoses interspécifiques » (p. 140). Au détour d’une séquence quelque chose comme une perception-insecte va rencontrer une ouïe-chien. A la faveur d’un champ-contrechamp, le spectateur pourra ainsi ponctuellement faire l’expérience d’une capacité sensitive animale autrement plus subtile que la sienne. Dans le film de Carpenter, le partage biologique auquel sont soumis les êtres se retrouve certes bouleversé lors d’un plan montrant patte de chien et bras d’homme émergeant depuis une même matière (par des effets de cadrage, de textures pileuse et carnée, d’éclairage visant à provoquer un effet de mélange figuratif). Mais le film ne s’arrête pas là. Cette mutation simultanée de deux figures en une même mutation matériaulogique semble là aussi inciter à questionner la possibilité d’un devenir-animal, ou plutôt d’un devenir-chien.

Or The Thing va explorer ce devenir-animal à l’occasion d’une séquence mettant en scène ce que Sophie Lécole Solnychkine nomme un « regard-chien » (p. 144). Celui-ci ouvre l’idée d’une « catégorie générique regroupant des plans cinématographiques dans lesquels l’instance regardante soit s’affirme comme celle d’un canidé, soit porte le doute sur la nature ontologique du regard qui balaie le champ cinématographique à cet instant précis » (p. 144). La caméra entremêle ainsi différentes instances de vision (humaine, animale, inhumaine), et l’étrangeté de cette instance perceptive hybride est comme redoublée par la fluidité qui anime l’appareil cinématographique (la caméra semble ne pas s’accommoder des obstacles ponctuant sa trajectoire). Ce regard à la mobilité virtuose croise, par la force des possibilités techniques du cinéma, vision inhumaine et vision chien, et porte ainsi déjà en lui l’hypothèse d’une présence extraterrestre.

Ce qui s’exprime finalement, à partir des modalités figuratives qui germent de la fiction biologique que propose The Thing, depuis la théorie matériaulogique que l’auteure mobilise, en passant par toutes les occurrences esthétiques de la viscosité des figures, jusqu’à l’appariement possible entre la biotechnologie et les images que les fictions cinématographiques sont capables de produire, c’est, comme le dit si bien Sophie Lécole Solnychkine, « la soif de l’humain pour une invention figurative », laquelle toujours « questionne la position qu’il occupe dans le monde » (p. 149). L’essai de Sophie Lécole Solnychkine nous rappelle combien toute invention esthétique du cinéma est susceptible d’ouvrir vers une possibilité d’augmenter notre regard, et dans un même temps, de renouveler infiniment les expériences que nous faisons du monde.