Sur la notion de noir, une série d'articles sur les échanges entre cinéma et littérature à laquelle il manque une approche méthodologique définie.

Après un premier ouvrage en 2001 intitulé Fenêtres sur l'obscur. Littérature et cinéma du domaine anglo-saxon qui s’intéressait aux formes de l’imaginaire, la collection "Regards sur le fantastique" des Presses universitaires de Provence livre un nouveau volume consacré aux (dé)partages de la littérature et du cinéma ainsi qu’à leurs évolutions. Cette diachronie est abordée par l’étude du "noir". Dans un constant échange entre œuvres littéraires et adaptations cinématographiques, les articles semblent néanmoins rester irréductiblement hétérogènes ; le collectif souffre surtout d’une approche méthodologique quelque peu lacunaire.

La première partie du livre, constituée de quatre textes, est consacrée aux thèmes gothiques et néo-gothiques. Les deux premières études s’attachent en particulier à l’analyse des personnages du roman gothique et à l’évolution diachronique de la forme romanesque dans l’œuvre de Bram Stoker, le célèbre auteur de Dracula. Les deux autres articles comparent roman et adaptation cinématographique à partir de Pierre ou les ambiguïtés d’Herman Melville, publié en 1852, et adapté en 1999 avec Pola X de Léos Carax ; et de The Hauting of Hill House de Shirley Jackson publié en 1959 et adapté en 1963 par Robert Wise avec The Haunting   .

La seconde partie de l’ouvrage est constituée de deux textes s’intéressant au réalisateur Roman Polanski, réalisateur dont les "influences fantastiques" ne font pas l’ombre d’un doute tant sa filmographie a abordé ce thème ou ce genre. On lira ici avec intérêt quelques analyses de The Ninth Gate et The Tenant   .

La ville de Londres est l’objet des deux recherches suivantes qui forment la troisième partie de l’ouvrage. La capitale anglaise est étudiée en qualité de décor dans la "littérature de détection"   de la fin du XXe siècle et comme inspiration pour Frenzy d’Alfred Hitchcock, réalisé en 1972.

La quatrième partie propose une analyse de la "tendance noire" dans l’œuvre de David Lynch et dans celle de David Cronenberg. Les thèmes noirs sont ainsi définis comme des thèmes récurrents du cinéma de Lynch qui se les réapproprient pour en proposer une nouvelle lecture. Thérèse Guilbert montre que bien que Lynch conserve "les atmosphères confinées et vénéneuses, les femmes fatales, les éclairages contrastés et angoissants"   du film noir, le réalisateur dépasse la simple reprise de ces figures incontournables du genre pour créer chez le spectateur un sentiment de "vertige". Il en ressort "une noirceur matinée de fantastique", qui constitue l’originalité du cinéaste, qui dans sa façon d’aborder le genre du film noir nous permet à la fois de nous retrouver en terrain connu et de nous proposer quelque chose de foncièrement nouveau. Rappelons que cet entre-deux, à la fois reprise et renouvellement, constitue une des caractéristiques essentielles du phénomène générique au cinéma. Quant aux premiers films de Cronenberg, ils sont dominés par le sentiment de l’étrange, de l’insolite, de l’incongru si ce n’est de l’inquiétant, tandis que Spider (2002), inspiré du roman éponyme de Patrick McGrath publié en 1990, illustre bien la difficulté de transcrire, réécrire, adapter l’univers littéraire à l’écran.

Rassemblées dans une cinquième partie, les six études suivantes naviguent entre l’analyse d’œuvres littéraires et d’œuvres cinématographiques sur le thème de l’hybridité du genre policier, que ce soit dans le roman rétro-romain (la série d’enquête de Marcus Didius Falco dans l’œuvre de Lindsey Davis) ou le thriller politique (Hidden Agenda de Ken Loach). Les meilleures études, comme celles consacrées aux trois films Memento   , Gosford Park   et Chinatown   , y côtoient les plus communes. La thèse de l’article intitulé "Retour de la pastorale dans les films de gangsters des années 40" reste à mon sens à étayer. S’il est vrai que le film de gangsters favorise une vision idéalisée de la nature, c’est surtout dans sa peinture sans merci du décor urbain qui se révèle fatal pour les protagonistes principaux de ces œuvres. C’est d’avantage dans l’absence de ce paysage de campagne que le retour de la pastorale peut–être envisagé, comme une figure de contrechamp, un élément caché dont le désir surgit chez le spectateur au moment de la mort du gangster dans le caniveau, image récurrente de la fin de ces films. Le spectateur en vient alors à condamner la jungle urbaine et à préférer une vie simple et rurale.

La dernière partie de l’ouvrage aborde le cinéma d’horreur et le motif du détour avant d’étudier les réminiscences d’Alice au Pays des Merveilles dans le cinéma contemporain (Matrix   , Being John Malkovich   . Une rapide étude de la figure du majordome au cinéma et dans la littérature fait figure de conclusion tandis que l’annexe reproduit une riche entrevue avec David Cronenberg à l’occasion de la sortie du film Spider.

Dans l’ensemble, les analyses filmiques et littéraires sont riches et éclairantes sur le thème général. Certainement, on comprend mieux quelques-uns des échanges entre littérature et cinéma et les évolutions internes qui touchent chacune de ces formes d’expressions artistiques, mais il reste comme un goût d’insatisfaction. Le problème de l’ouvrage ne vient pas tant du format – difficile de reprocher à un collectif son hétérogénéité – que de l’absence d’une véritable réflexion et introduction méthodologiques. Une étude préalable déterminant quelques définitions et posant en termes clairs les présupposés et les aboutissants de cette ambition aurait été la bienvenue : hybridité, horizon d’attente, généricité, noir, postmodernité sont autant de notions problématiques aux présupposés épistémiques instables et peut-être dont l’instabilité même en fait la plus grande qualité.

Au final, l’ouvrage ouvre une importante réflexion sur les outils de l’analyse filmique et littéraire. Peut-on aborder de la même manière la notion de noir au cinéma et en littérature ? Si certains textes traitent avec réussite de ces deux formes d’expressions artistiques, c’est que la confrontation entre ces deux types de médias est bénéfique à leur appréhension.