Dans ce tome 2, les auteurs insistent sur une guerre de plus en plus rationnelle, qui se pense, se finance, mais aussi s’inspire d’autres modèles.

« Appliquée à la guerre, la notion d’âge classique désigne une époque où les conflits armés tendent à se soumettre aux raisons de la technique, du territoire et de l’État. Ces rationalités ne sont pas nouvelles, mais les pratiques et les techniques de la guerre s’organisent pour les optimiser, voire les systématiser. Ce processus est d’autant plus remarquable qu’il se développe à l’échelle inédite du monde, intégrant de nouveaux espaces tels que l’Amérique dans le réseau des échanges et des conflits. L’âge classique de la guerre est donc l’âge de la raison mondialisée »   . Pour l’historien Hervé Drévillon, la période s’étalant du XVe au XIXe siècle marque plutôt l’aboutissement de processus à l’œuvre depuis plusieurs siècles qu’une rupture. Les éditions Passés Composés confirment l’essai du Tome 1 des Mondes en guerre avec une étude pleinement mondiale. Hervé Drévillon qui coordonne à la fois les quatre tomes et celui-ci se retrouve ici sur sa période de prédilection, il n’en propose pas moins une vision à l’échelle mondiale et de réelles problématiques transversales, dont certaines ont déjà été étayées dans l’Histoire militaire de la France qu’il a dirigée l’an passé avec Olivier Wieviorka aux éditions Perrin. En douze parties, subdivisées en 33 chapitres, les auteurs parviennent à proposer une véritable histoire mondiale de la guerre.

 

La massification de la guerre

Les auteurs font d’abord ressortir des éléments déjà bien connus, parmi lesquels le lecteur retrouve le lien entre la guerre et l’affirmation de l’État moderne, tout en montrant les contradictions caractérisant ce dernier. Le fait que la guerre représentât peu à peu 75 à 90% du budget des États obligea ces derniers à recourir à l’impôt, l’emprunt ou diverses formes de financement, puis à mettre en place la conscription comme l’avait fait Gustave Ier Vasa en Suède, dès le XVIe siècle. Cela aboutit à la création d’armées permanentes, dont les soldats découvrant la vie en caserne se distinguaient du reste de la population par leur équipement. Le soldat devint dès lors un volontaire ou un citoyen répondant à régime d’obligation. Si cela conduit à une certaine professionnalisation des armées, le processus ne fut pas linéaire et généralisé, comme au Japon où le Bushido (la voie du guerrier) se formalisa au XVIIe siècle, mais revêtit alors davantage une éthique sociale qu’une culture professionnelle. C’est d’ailleurs à travers ce dernier exemple, et plus précisément celui des 47 ronins en 1701, que les auteurs établissent un lien entre la mort et la culture de l’honneur.

 

La diversification de la guerre

La guerre concerna des territoires désormais mieux maîtrisés par les États qu’il convenait d’attaquer ou de défendre. Avec la marine et les moyens modernes, la guerre put aussi être exportée de plus en plus loin. Il s’agissait de l’une des transformations les plus importantes de cette période. La guerre sur mer s’étendait alors à l’échelle planétaire et non plus aux seules eaux côtières. La guerre maritime reposait sur trois éléments fondamentaux : des hommes compétents, des navires adaptés et des arsenaux puissants, ce qui impliquait un coût conséquent illustré par le navire de guerre devant allier capacité nautique et puissance de feu.

Le profil du soldat changea également. La vertu du chevalier laissa place à l’amoralité du mercenaire. Ce dernier  terme permit aussi de dénigrer des troupes s’opposant aux armées de milice ou de conscription. La guerre de Trente Ans avec les entrepreneurs de guerre que furent Wallenstein et Bernard de Saxe-Weimar marqua l’apogée de cette pratique. Malgré l’image contraire aux vertus chevaleresques prêtées à l’homme de guerre, ces pratiques répondaient à un besoin ponctuel et vital des États.

Au-delà de ces aspects, l’âge classique marqua d’abord et avant tout la consolidation des armées permanentes et la professionnalisation des soldats, qu’une partie des auteurs avaient déjà brillamment analysées dans L’histoire militaire de la France en 2018.

 

Un art de la guerre diffusé

Un des points les plus intéressants de ce travail demeure incontestablement la dimension mondiale accordée aux problématiques militaires et l’accent mis sur le rôle joué par l’imprimerie quant à la diffusion de ces idées. Il existe un lien fort entre la révolution militaire et celle de l’imprimé. Dès les guerres de l’Italie, par l’écrit, les belligérants utilisèrent la propagande, des témoignages, parfois fictifs, et des traités d’art de la guerre. Pour les auteurs, cette place de l’imprimé explique pourquoi la révolution militaire asiatique paraît moins aboutie que son équivalente européenne, même si la Chine fait figure d’exception puisque l’imprimerie y était antérieure à Gutenberg. Pour autant, elle n’avait pas participé à l’émergence d’un espace de discussion et d’élaboration de théories militaires et la pensée stratégique chinoise restait dominée par des travaux anciens comme L’Art de la guerre de Sun Tzu. En Europe, l’écrit permettait de diffuser des informations et surtout de se mettre en avant comme lors de la guerre de Trente Ans par le biais des gazettes. Avec le romantisme, la littérature fit de la guerre une de ses thématiques centrales dont Guerre et Paix de Tolstoï constitue l’un des exemples les plus aboutis.

Les guerres impériales témoignèrent d’une maîtrise avancée des armes à feu par les Européens. Les sociétés affrontant les Européens durent se l’approprier rapidement. Si l’Allemagne et l’Italie du Nord apparaissaient comme un modèle quant à la maîtrise des armées à feu, les Provinces-Unies et l’Angleterre demeuraient la référence pour la construction de vaisseaux de guerre. Cela n’empêcha pas les pays observant ces pratiques de les adapter comme la Chine ou l’Inde, voire de les abandonner tel le Japon au XVIIe siècle, après les avoir utilisées dès le XVe siècle.

 

 

Mondes en guerre présente une vision globale du phénomène guerrier. Si l’Europe y occupe une place majeure, on ne peut que saluer l’effort louable des auteurs d’avoir été cherché des exemples sur l’ensemble du globe et d’y avoir élargi leurs problématiques, sans avoir peur d’y trouver des pratiques différentes. On ne saurait enfin terminer sans souligner la dimension « beau livre » de cette collection. La qualité d’impression permet de se réapproprier l’essence de tableaux classiques que nous avions perdue avec la version numérique. La présentation sur une double-page du célèbre Massacre de la Saint-Barthélemy de François Dubois s’avère des plus bénéfiques. Les cartes, d’une grande clarté, montrent l’ampleur de certaines guerres que l’on a eu tendance à minimiser comme les guerres indiennes aux États-Unis   . Les illustrations venues d’autres continents offrent également une ouverture sur leurs pratiques guerrières à l’image de la reproduction du suicide d’Oishi Yoshio en 1703, meneur des 47 ronins. Alliant la rigueur scientifique et la qualité du récit, Mondes en guerre apparaît incontestablement comme l’une des publications majeures de l’année 2019, constat qui devrait être confirmé par l’arrivée prochaine des tomes 3 et 4.