Dijon 2018 – Quand la théodicée traverse un délire de filles
[jeudi 31 mai 2018 - 08:30]

Un temps viendra peut-être où les femmes auront gagné la guerre des sexes. Elles auront achevé leur conquête des divers pouvoirs. Les hommes seront jetés dans une errance insignifiante ou infantile. Ils ne compteront plus, sinon pour un décorum viril. Dans ces temps futurs, cinq comédiennes viendront sur la scène interroger le sens de l'histoire. Le théâtre, jadis affaire d'hommes, faisait incarner les personnages féminins par de jeunes garçons. Inversement, elles prendront en charge elles-mêmes les rôles masculins. Et comme jadis cet usage ne dérangera personne.

C'est en ce sens très particulier, mais en prétendant naïvement avoir laissé la dite guerre des sexes au rencart, que Céline Champinot fait non seulement du théâtre contemporain, mais encore du théâtre d'anticipation. La compagnie ne laisse à l'homme que la Régie générale et la construction du décor. 

Mais puisqu'il n'y a plus ni homme ni père à interroger sur l'énigme de notre monde en déroute, et qu'il ne semble pas non plus qu'il y ait ni femme ni mère, car elles arrivent aux commandes un peu tard, reste à mettre Dieu sur le grill. C'est l'objet de cette pièce, où cinq comédiennes déguisées, mi-enfants mi-clowns, racontent à leur façon des bouts d'Ancien Testament. Pour découvrir, à terme, qu'il n'y a pas de dieu, ou bien qu'il est mort, pas plus qu'il n'y a de pères, puisque personne ne maîtrise réellement aucune des problématiques du monde contemporain, tout droit sorties de l'ancien – la colonisation, la conquête spatiale, l'intelligence artificielle, le transhumanisme, l'écologie, l'économie mondiale, la géopolitique, les religions, et le n'importe quoi de violences et d'absurdités qui en résultent.

 

 

Reste, semble-t-il, à se dégenrer en pleine puissance. Mais on ne voit pas trop ce que cela signifie, car s'il est vrai que l'essentialisme n'est pas défendable, les genres demeurent des pôles sur lesquels chacun d'entre nous détermine avec plus ou moins de flottements sa sexuation. On ne se dégenre pas, mais on peut au moins délirer les genres, et cela a chance, en effet, de faire passer un bon moment au public. Au départ, ce sont des scouts traversés de thèmes bibliques, de romans de science-fiction, et de journaux télévisés ; plus tard ce sont des figurines moulées en plastique pour jouer au petit soldat : wonder woman, un croisé, un gendarme playmobil..., puis des danseuses de la pluie sous des K-way, etc.

Les comédiennes jouent dans un rythme sans frein, elles font souvent sourire et rire, et conquièrent la sympathie du public, dans un final très réussi. L'intrigue est peu intelligible, le message est obscur. Il faut se laisser porter par ce délire de filles, sous peine d'être rapidement agacé par ce « carnaval apocalyptique », ou de sombrer dans l'ennui. C'est un spectacle quitte ou double, « chanson de geste futuriste », selon la note de la metteure en scène, « pour un Dieu éternellement absent, par des frères chevaliers incertains et violents ».

Malgré tout, une telle agitation finit par émouvoir, lorsqu'elle se révèle comme le symptôme fébrile et délirant, mais signifiant, d'une détresse profonde et voilée. L'avenir est funeste. L'humanité, sur la planète, est menacée, et la jeune génération s'interroge sur le sens de faire à son tour des enfants. Cependant, cet humour, porté au n-ième degré, cache si bien ce symptôme, que le trouble qu'en pourrait retirer le public s'en trouve comme évité.

 


La Bible, vaste entreprise de colonisation d'une planète habitable, création le 26 mai 2018 au Théâtre Dijon Bourgogne. Texte et mise en scène de Céline Champinot. Groupe LA gALERIE (Maëva Husband, Elise Marie, Sabine Moindrot, Claire Rappin, Adrienne Winling)

Crédits photographiques : Céline Champinot

Le site du festival Théâtre en Mai, direction Benoît Lambert, CDN Théâtre Dijon Bourgogne.

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rédacteur : Régis BARDON