Athénée – Le retour de Ferdinand
[lundi 08 janvier 2018 - 09:30]

Au lever de rideau, on aperçoit un acteur et une chaise au milieu d'une cage de scène vide. Rien ne laisse présager que cela suffira pour nous introduire dans un monde foisonnant, sans limites d'espace, ni de temps. Et pourtant, toute la force du comédien est là : seul sur un plateau vide, Philippe Caubère nous entraîne à la rencontre de toute une galerie de personnages, à plusieurs époques et dans des lieux aussi différents qu'un camping naturiste ou un champ de betteraves.

 

Trois contes

Les trois contes qui composent Adieu Ferdinand ! sont l'occasion de découvrir ou de redécouvrir Ferdinand Faure, alter ego de l'acteur, dans de nouvelles aventures. Le premier conte fait état des difficultés d'une vie de couple. Marié avec Clémence, Ferdinand prend conscience qu'il ne suffit pas d'avoir passé un accord de non exclusivité avec son épouse pour satisfaire en toute quiétude son désir pour une autre femme. Dans le deuxième conte, nous suivons le couple en vacances dans un camping naturiste. Le troisième et dernier conte est l'occasion d'un voyage en Belgique, à la rencontre d'un ami de Ferdinand et de sa terrible famille.

Le terme de « conte » est des plus justes, tant Caubère est conteur. Il ne rend toutefois pas assez justice au talent d'acteur de l'interprète. En effet, Caubère ne se contente pas de raconter des histoires : il les incarne. Il nous donne à voir et à entendre les personnages et les lieux qu'ils occupent ou traversent, jusqu'au moindre élément de décor, qu'il s'agisse d'un robinet ou d'une télévision. Un changement d'intonation ou un accent, un geste parfois, suffisent pour faire entrer en scène tel ou tel personnage et surtout pour les différencier les uns des autres. Il en va de même de l'espace. Un bras tendu, un pied à peine levé, et nous sommes en voiture. Un geste de la main et une page de Pléiade s'envole. Une tête qui se tourne et des champs s'étendent à l'infini devant nous.

 

     

 

Fascination et malaise

Aucune confusion dans cet ensemble : quelle que soit la complexité des situations, le nombre de personnages et les divers changements spatio-temporels, l'acteur parvient à nous guider avec clarté dans les méandres de ses histoires. On pense à Shakespeare et au prologue de Henri V, dans lequel le chœur invite les spectateurs à participer pleinement à la représentation. Caubère est semblable à ce chœur : seul, il peuple la scène de mille personnages.

L'acteur se montre complice avec son public. Voir surgir l'acteur derrière le personnage, ou les frontières se brouiller entre eux, accroît le plaisir de la représentation, sans nuire à l'histoire. Les remarques que Caubère se permet parfois n'interrompent pas la représentation, mais témoignent de sa connivence avec les spectateurs, dont certains le suivent depuis très longtemps. Certes, plusieurs références semblent réservées aux happy few. Voir surgir Ariane Mnouchkine est sans doute d'autant plus drôle qu'on connaît le Théâtre du Soleil. Des allusions sont faites à d'autres épisodes de la vie de Ferdinand et « comprenne qui pourra », comme l'acteur le dit lui-même. Cependant, les situations restent compréhensibles et efficaces, même si l'on n'est pas un spectateur de la première heure.

 

         

 

Au cours des deux soirées, Caubère met nos affects à l'épreuve et fait naître des émotions contrastées. Ainsi, les deux spectacles sont très drôles, mais la nature du rire peut changer d'un épisode à un autre, voire d'un instant à un autre. On glisse presque sans s'en apercevoir de francs et grands éclats à un rire jaune, laissant un arrière-goût amer. La peine de Clémence nous touche, mais le malaise de Ferdinand, confronté aux interventions (mentales) de son épouse au moment de consommer son adultère, est cocasse. La découverte du camping naturiste, parfois très prosaïque, à la limite du mauvais goût, est aussi empreinte de poésie proustienne. C'est surtout lors de la deuxième soirée que l'équilibre est le plus fragile. Caubère se tient avec subtilité sur une étroite ligne de crête. S'il ne sombre jamais tout à fait, les précipices les plus glauques nous guettent dans la demeure familiale où sévissent les Pétrieux.

 

Le titre donné à l'ensemble des deux soirées laisse craindre la conclusion de la vaste épopée dans laquelle l'acteur nous entraîne depuis si longtemps. Mais le temps des adieux est-il vraiment venu pour Ferdinand Faure ? Nous ne pouvons que souhaiter le contraire, car se rendre au théâtre pour un spectacle de Philippe Caubère est toujours une expérience détonnante, que l'on soit déjà familier de son univers et des personnages qui le peuplent ou qu'on les découvre seulement, que l'on ait déjà connaissance de la merveilleuse fantaisie de l'interprète ou qu'on en ignore encore tout.

 

 

Adieu Ferdinand !, trois contes en deux soirées jouées en alternance. Première soirée : Clémence (La Baleine & Le Camp naturiste). Seconde soirée : Le Casino de Namur (Les Pétrieux). Spectacles écrits, mis en scène et joués par Philippe Caubère après avoir été improvisés trente-quatre ans plus tôt devant la caméra de Pascal Caubère et les regards de Clémence Massart et Véronique Coquet (qui en assure aujourd'hui le soufflage).

Du 2 décembre 2017 au 14 janvier 2018 à l'Athénée – Théâtre Louis-Jouvet, puis en tournée.

Crédits photographiques : Michèle Laurent.

Notre page THÉÂTRE



rédacteur : Caroline MOUNIER-VEHIER
Illustration : Michèle Laurent