Hellfest 16.06.2017, chaleur et poussière au pays du metal
[lundi 03 juillet 2017 - 00:00]

Cette année, les organisateurs du Hellfest se sont un peu calmés sur le decorum, ont amélioré les conditions de circulation du public à l'abord des scènes, et ont concocté une programmation de haut niveau, tant dans la qualité que la diversité, qui a dans l'ensemble tenu toutes ses promesses. Tenue sous l'imperturbable cagnard de la fin juin, cette édition nous a fait très belle impression. Voici une chronique des meilleurs concerts auxquels nous ayons assistés lors de la première journée, celle du vendredi.

Ce jour-là, l'accueil s'effectue avec les Californiens de Noothgrush, un groupe qui passe rarement par nos contrées et qui incarne de façon assez archétypale un genre musical particulier : le sludge. Cette forme de metal "sale" et dissonante, au tempo lourd, baignée de fuzz et de distorsions, descend en droite lignée du blues (via l'étape-clé des premiers Black Sabbath), dont elle exacerbe l'aspect pessimiste et déchéant, tout en en conservant le groove imparable. L'originalité de Noothgrush est d'avoir creusé ce sillon depuis vingt ans au soleil de Californie, en dehors donc de la région d'origine et berceau culturel de ce style, à savoir la Louisiane, terreau de formations réputées telles que Eyehategod, Crowbar, Down, Acid Bath ou Weedeater. Même si on est loin de l'univers fangeux des bayous, le "contrat de genre" est ici parfaitement exécuté : énormes riffs guitare-basse, lyrics nihilistes et rythmiques massives sont de la partie, avec en outre un vrai souci d'équilibre dynamique (le groupe varie fréquemment les plans et les tempos). Un authentique feeling rock'n'roll, malsain et décadent, se dégage de ce live inspiré.

 

Peu de temps après, ce sont à nouveau des Américains qui foulent la même scène de la Valley, à savoir le quintette SubRosa, originaire de Salt Lake City. Le groupe présente une orchestration originale, comprenant deux violons en plus des traditionnels basse-guitare-batterie. Naviguant entre le doom et le post-hardcore, SubRosa a imposé son univers majestueux et mélancolique dans le monde des musiques actuelles à la faveur de sa grandiose sortie de 2013, l'album More Constant than the Gods. Ce dernier avant d'ailleurs fourni la totalité de la setlist de leur dernier passage remarqué au Hellfest en 2014 (dont est tirée la vidéo ci-dessous). Fidèle à sa volonté de défendre sur scène le disque du moment, le groupe emmené par Rebecca Vernon ne jouera en 2017 que des morceaux tirés de leur dernier opus, le concept-album For This We Fought the Battle of Ages, inspiré par le roman d'anticipation dystopique Nous autres de Ievguéni Zamiatine (1920). Trois morceaux en fait, étant donnée la brièveté du set (40 minutes) et la longueur desdits morceaux, comprise entre 10 et 15 minutes pour chacun. Si l'on n'a donc pas le plaisir d'entendre le classique instantané "The Usher", issu du précédent album, le groupe donne un concert d'une grande intensité, à la fois épique et introspectif, porté par le chant habité de Rebecca Vernon (dans un style à la limite de la justesse qui pourra rappeler celui de Lori S. pour Acid King) ainsi que par le jeu profond et structurant d'Andy Patterson à la batterie. Sans atteindre la densité émotionnelle de leur concert de 2014 sur la même scène, les membres de SubRosa livrent tout de même un beau live, dans lequel s'affirme et se polit leur style d'héritiers de Neurosis.

 

On remarque que jusqu'à présent on passe un Hellfest avec quasiment autant de femmes que d'hommes sur scène, ce qui n'est pas commun. Mais cela ne va pas durer, car désormais et pour le reste de la journée de vendredi, les instrumentistes seront tous masculins (à la seule exception de Liz Buckingham, une des guitaristes d'Electric Wizard). Ce qui ne change pas, en revanche, c'est l'inspiration nord-américaine de ce début de festival, puisque le prochain groupe à fouler la scène de la Valley vient de New York. Il s'agit d'une formation incontournable issue de la vague de rock-metal alternatif qui a déferlé sur le monde au début des années 1990 (avec notamment les Rage Against the Machine, Faith No More et autres Killing Joke) : Helmet. Peut-être un peu méconnu aujourd'hui en comparaison de sa gloire passée, le groupe a pu constater que le public du Hellfest lui conservait ses faveurs. Seul rescapé de la grande période créatrice du groupe (1990-1997, entre les albums Strap It On et Aftertaste, avec Meantime en point d'orgue), le fondateur et frontman Page Hamilton mène toujours la danse, avec son inimitable chant parlé/aboyé. Sans fioriture, la formule d'Helmet va directement à l'essentiel : chaque morceau débute par deux couplets tranchants, puis s'achève par un passage instrumental souvent brillant et dissonant à souhait. Les hymnes ("Wilma's Rainbow", "In the Meantime", "Unsung", "Milquetoast") s'enchaînent, entrecoupés de chansons moins essentielles, tirées d'une période (les années 2000) un peu plus FM dans le parcours du groupe. Néanmoins, avec ses rythmes syncopés, ses riffs acérés et sa basse proéminente, c'est un petit pan de l'histoire du rock metal qui se rejoue devant nous, reflet d'une époque où le heavy et le hard perdaient du terrain, notamment au profit du grunge et du néo-metal. Souvent désigné comme un des précurseurs de ce dernier genre, Helmet entretient d'ailleurs cette filiation en interprétrant sur scène "Just Another Victim", le morceau composé avec le groupe de hip-hop House of Pain pour la B.O. collective du film de Stephen Hopkins Judgment Night (1993). L'effort est salué par le public, même s'il n'est pas donné à tout le monde d'être rappeur, et que Page Hamilton ne remplace pas avantageusement au micro Everlast, le MC de House of Pain. Cela ne gâte toutefois en rien un concert bluesy et groovy à souhait, à l'énergie palpable et communicative.

 

Un autre rendez-vous dans l'histoire des musiques extrêmes du début des années 1990 aux Etats-Unis nous attendait sur la Main Stage 1, avec le show de Ministry, pionniers et figures radicales de l'indus metal, auteurs notamment du classique album Psalm 69 (1992) qui, pour le plus grand bonheur de l'audience, fournit une bonne moitié des morceaux de la setlist. Sur scène, le son claque, la ryhtmique est martiale et monolithique, on retrouve immédiatement l'atmosphère noire et brutale du groupe, même si ce dernier ne joue plus derrière un grillage comme ce fut le cas lors de précédentes tournées. Le chanteur/guitariste et fondateur du groupe, Al Jourgensen, tient la forme, les guitares sont déchaînées, notamment celle de Sin Quirin, remplaçant du défunt soliste Mike Scaccia, qui délivre une prestation gorgée de feeling au sein d'un combo qui ne met pourtant pas spécialement en avant la lead guitar dans le mixage. Des vidéos passent en permanence en arrière-plan, y compris l'excellent clip réalisé par Peter Christopherson pour le "tube" sur l'addiction à l'héroïne, Just One Fix (feat. l'écrivain William Burroughs). La plupart des autres morceaux affichent par ce moyen visuel leur contenu politique explicite, peu surprenant dans le contexte de l'élection de Donald Trump à la magistrature suprême, de la part d'un groupe qui a consacré pas moins de trois albums, dans les années 2000, à la lutte contre l'Amérique de Bush. Notoirement irrégulier en concert, Ministry livre donc au Hellfest un live efficace et très prenant, en format "machine de guerre".

 

Changement radical de dynamique avec le concert suivant, celui des Anglais d'Electric Wizard, groupe précurseur et grandement influent à l'intérieur de ce mouvement stoner-doom qui innerve les musiques actuelles depuis (au moins) une vingtaine d'années. Riffs saturés en format mur de guitares, basse lourde et dissonante, atmopshère sombre, planante et psychédélique : comme tous les grands groupes, Electric Wizard a un son à lui, inimitable et immédiatement identifiable. Sur scène, visuellement, le groupe cultive le style shoegaze et se préoccupe peu de scénographie, si l'on excepte les quelques étranges films ésotériques SM projetés en arrière-plan des musiciens. Mais cela se révèle parfaitement accordé à l'ambiance et au thème des morceaux, lesquels bénéficient par ailleurs d'un son monstrueux, qui restitue pleinement la puissance des harmoniques et la complexité des (longues) compositions du groupe. Il y a des moments comme cela dans le milieu de la musique live, où tous les éléments semblent être parfaitement accordés et à leur place, afin de délivrer aux auditeurs une expérience d'une grande "pureté" (malgré la tessiture sale et grésillante typique du groupe). Ainsi, à travers une poignée de classiques incontournables comme "Return Trip", "Funeralopolis" ou "Chosen Few", le concert revisite surtout la grande période d'Electric Wizard (1997-2007, entre les disques Come My Fanatics et Withcult Today, via le chef d'oeuvre Dopethrone), et dégage à sa manière propre un sentiment constant de perfection. Même si le jeu de batterie un peu raide de Simon Poole souffre un peu de la comparaison avec celui de son précédesseur Mark Greening, on tient là, sans hésiter, une des prestations les plus hypnotiques et scotchantes de ce Hellfest 2017.

 

Ce vendredi 16 juin, on a aussi vu, et apprécié, une programmation black metal relevée sous le châpiteau Temple. Entre le black-death efficace des Suédois de Valkyrja (qui faisait penser au Watain première manière) et le true black ultra-violent de leurs compatriotes de Marduk (sans doute une des formations les plus extrêmes de la scène), un ovni est passé dans l'après-midi, avec le live déjanté des Norvégiens de Dodheimsgard. Aménageant une grande place aux compositions avant-gardistes et déstructurées de leur opus magnum (ironiquement) intitulé 666 International, le groupe présente sur scène une attitude pour le moins décalée vis-à-vis des standards du genre. Entre les mimiques Ozzy Osbournesques de leur chanteur-guitariste, les changements déstabilisants de tempo et de direction musicale qui parsèment les morceaux, et les extraordinaires breaks au synthé assurés par... personne (ils passent sur bande), c'est peu dire que l'intérêt (voire la stupéfaction) demeure à un niveau élevé durant les cinquante minutes de ce show atypique qui fait voler en éclats certaines conventions du black metal (habits et corpse paints de toutes les couleurs), tout en sublimant les autres (cf. le solo en tremolo picking à la fin du morceau "Traces of Reality"). Avec un programme aussi audacieux, Dodheimsgard n'a certes pas rempli le châpiteau Temple au point de le faire déborder. Mais c'est aussi tout l'intérêt du Hellfest que de fournir des grandes scènes à des formations aussi pointues et underground.

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rédacteurs : Antoine GAUDIN, Critique à Nonfiction.fr ; François OUALIA
Illustration : ouest-france.fr