Le Blanc : des mots immaculés
[vendredi 28 mars 2008 - 11:00]
Arts visuels
Couverture ouvrage
Le Blanc. Dictionnaire des couleurs
Éditeur : CNRS
360 pages
Après le bleu, le rouge, le rose et le noir, Annie Mollard-Desfour analyse comment le vocabulaire associé au blanc véhicule ses représentations.

D’emblée, l’objet - livre tel que nous l’avons entre les mains pose les enjeux de son contenu : la couverture de l’ouvrage est d’un blanc immaculé. Sur ce fond uni se détache le titre, écrit en bleu brillant, une couleur qui peut apparaître comme une nuance du blanc dans sa connotation de froide propreté.

Le Blanc, dictionnaire de la couleur, Mots et expressions d’aujourd’hui, se veut un outil pour accompagner les études récentes qui s’attachent à analyser les systèmes de représentations symboliques liés aux couleurs. L’approche est ici lexicographique : à travers un travail de définition de termes, il s’agit de montrer comment le vocabulaire des couleurs véhicule ces représentations, tout autant que les couleurs proprement dites dans le domaine visuel. L’auteur, Annie Mollard-Desfour, est linguiste-lexicographe au CNRS et s’est spécialisée dans le lexique de la couleur. Elle a déjà publié quatre dictionnaires semblables : Le Bleu (1998), Le Rouge (2000), Le Rose (2002) et Le Noir (2005).

Le livre s’ouvre sur une préface de l’explorateur Jean-Louis Étienne, qui raconte en quelques phrases sobres comment le blanc est devenu pour lui, de couleur du néant qu’il était, une matière riche et multiple. L’introduction interroge tout d’abord le statut de couleur longtemps refusé au blanc. Le blanc se comprend d’abord dans un système d’opposition : il offre un contraire au noir, et dans le cas d’un système ternaire, au noir et au rouge. Entre le noir et le blanc, s’étend la zone indéterminée des gris, dont les variations sont infinies. Une nouvelle opposition se fait jour : le blanc (associé au noir et aux gris) s’oppose aux couleurs. C’est le cas par exemple dans les techniques d’enregistrements (photographie et cinéma) mais cette opposition prend aussi un sens symbolique, qui est précisé dans la suite de l’ouvrage. Le blanc apparaît comme un refuge de pureté face aux couleurs, qui renvoient à la profusion de la vie, et par là à la chair. C’est l’histoire de Colombine, qui, séduite par le truculent Arlequin, abandonne le pâle Pierrot.

Dans un deuxième temps sont développées les grandes symboliques du blanc. Les études menées montrent que toutes les couleurs ou presque ont à la fois des connotations positives et négatives : l’ambivalence est constante, et se marque très bien dans le lexique. Dans le cas du blanc, ces conceptions s’articulent d’abord dans la façon dont on lit cette couleur par rapport aux autres. La symbolique rejoint la physique lorsque le blanc est assimilé à la lumière. Il prend alors de nombreuses connotations positives parmi lesquels la pureté, la propreté, et même la beauté du teint dans le cas de certaines justifications racistes. Le blanc de la lumière est un plein, il est le résultat de l’addition de toutes les nuances du spectre lumineux. Pourtant le blanc peut aussi apparaître comme un vide, une absence de couleur, et ce manque se décline alors selon une gamme nuancée qui va du positif au négatif. Le blanc évoque parfois un absolu sans souillure, alors la blancheur peut faire l’objet d’une quête éperdue, comme le montre bien la partie consacrée aux lessives par exemple. Le blanc comme non couleur renvoie aussi à la neutralité : on a alors le neutre inoffensif du tir à blanc, le neutre au statut ambigu du bulletin blanc, ou le blanc, l’ange qui passe dans une conversation qui s’effiloche. Le blanc du trop vide, du manque douloureux, est celui de la page blanche, qui appelle son opposé, afin que les choses soient tangibles, écrites noir sur blanc. Le blanc enfin évoque l’absence de vie, c’est la couleur du linceul, alors qu’il disait un sexe encore indéterminé dans la layette du nourrisson. L’incarnation de la couleur blanche dans toutes ses contradictions est sûrement Moby Dick, qu’Annie Mollard-Desfour évoque rapidement à la fin de son introduction. Ce cachalot albinos remet en question nos représentations symboliques : il  devrait être bon, puisqu’il est blanc ; or il ne fait que mener un équipage à sa quasi-complète destruction. Moby Dick, en se dérobant sans cesse, devient une absence encombrante qui emplit tout le roman d’Hermann Melville : à l’image de sa couleur, il est présence et absence, mort et espoir de transcendance.

Vient ensuite une définition exhaustive du terme "blanc". Celui-ci provient du germanique "blank", qui évoque un blanc brillant, proche de l’argenté, le blanc des armes métalliques. Ce terme a remplacé les latins "candidus" et "albus". On lira un dictionnaire des dérivés des termes du blanc "de Albe à White", et enfin les "variations sur le blanc, de Alaska à Zen", qui définissent le champ lexical de la blancheur. Il apparaît alors clairement que le blanc, loin d’être le champ monotone que l’on croyait, est le lieu d’innombrables nuances. Les citations illustrant les définitions sont, conformément au parti-pris de l’auteur, toutes issues de textes du 20ème siècle. Les sources sont de tous ordres, et vont de Proust à Cosmopolitain, en passant par Céline, le Nouvel Observateur, C. Brétecher ou encore des publicités et extraits d’ouvrages ménagers. A. Hampaté Bâ et quelques exemples francophones figurent aussi, à titre d’ouverture. Au milieu de l’ouvrage, se trouve un dossier iconographique qui met en rapport une image et une citation, illustrant ainsi de façon implicite les différentes dimensions du blanc. Les prédilections de l’auteur (on y trouve des reproductions d’œuvres contemporaines, mais aussi une photographie des chevaliers de la Tintaine, ainsi qu’une figurine destinée à orner les pièces montées de mariage par exemple) s’affichent ici sans que l’unité du propos ni sa progression ne soit toujours très clairs.

L’intérêt de ce livre, comme de tous ceux de la série est de montrer à quel point le langage contemporain véhicule des conceptions culturelles implicites. Par rapport aux ouvrages de synthèse sur ces questions, une approche lexicographique présente l’avantage de passer en revue de façon exhaustive les différents domaines où le blanc se charge de sens : médecine, arts, cosmétiques, religion, arts ménagers, alchimie... Nous aurions parfois aimé trouver des développements plus transversaux sur les implications culturelles du blanc. L’introduction par exemple, passionnante à plus d’un titre, paraît  parfois un petit peu fastidieuse dans sa forme d’énumération descriptive. Cependant, ce livre ne se donne pas comme un ouvrage de synthèse, mais bien comme le résultat d’un travail lexicographique en synchronie, portant sur la langue contemporaine. Dans cette perspective, Le Blanc est un travail universitaire d’une très grande qualité, qui ne laissera pas le profane de marbre. L’exhaustivité terminologique permet de déployer toute la richesse du symbolisme de la couleur envisagée : les mots du blanc se répondent et font système pour construire une définition nuancée de cette couleur. La sécheresse de la présentation par entrées successives est compensée par un certain plaisir de la lecture, comme celui que procure l’explication de certaines expressions, notamment celles dont le mot blanc a disparu, les rendant ainsi difficilement compréhensibles (avoir les foies [blancs] signifiant pâlir de peur), ou bien la découverte de mots rares ou argotiques comme nivéen ou blanchouillard.


--
crédit photo : majamel/flickr.com



rédacteur : Marie FRETIGNY, Critique à nonfiction.fr
Titre du livre : Le Blanc. Dictionnaire des couleurs
Auteur : Annie Mollard-Desfour
Éditeur : CNRS