Qui sont les fameux « bobos » ?
[mercredi 16 mars 2016 - 14:30]
Société
Couverture ouvrage
Rester bourgeois : une sociologie de la ville gentrifiée
Éditeur : La Découverte
288 pages
Tentative de développer une définition unificatrice du concept à succès de « bobos » par une enquête sociologique. 

Derrière le « phénomène bobo » se cache une réalité sociologique qu’Anaïs Collet s’attache à décrypter dans un ouvrage paru en février 2015 aux éditions La Découverte. Dans Rester bourgeois, cette jeune maître de conférences en sociologie se pose la question suivante : au-delà d’un certain « rapport aux lieux » ou en tout cas un ancrage singulier dans l’espace urbain, qu’est-ce qui est commun à ceux que le langage ordinaire désigne sous le nom, non dénué parfois de mépris, de « bourgeois-bohêmes » ? Selon l’auteure, c’est l’appartenance à un même groupe social situé quelque part entre la bourgeoisie possédante et les franges basses de la classe moyenne. L’objet de son ouvrage est d’en proposer une définition unificatrice qui soit capable de tenir compte de sa diversité. Même si la méthodologie, alliant approche pragmatique et grille de lecture structuraliste, est parfois acrobatique, ses résultats et les fils d’analyse qu’elle en tire convainquent aisément le lecteur.  

Anaïs Collet fait coïncider le « phénomène bobo » avec l’installation dans les années 1970 de jeunes gens issus des « nouvelles classes moyennes » dans les vieux quartiers populaires de centre-ville ou dans les anciens faubourgs ouvriers. Ceux qu’elle préfère appeler « gentrifieurs » convertissent progressivement d’anciennes zones rebuts en espaces désirables. De façon à restituer la généalogie et les parcours de ces habitants, la sociologue propose de procéder en croisant les résultats de deux terrains d’enquête situés sur les Pentes de la Croix-Rousse à Lyon et sur le Bas-Montreuil en proche banlieue parisienne. Si les profils des pionniers et de leurs descendants semblent assez variés d’un contexte à l’autre, ils partagent en tout cas une disposition singulière à faire de leur logement et de sa localisation une base de conversion d’un relatif important capital culturel en moyens de reproduction voire d’ascension sociale. 

 

Bobos gentrifieurs à Lyon et Paris

D’un côté, les Pentes de la Croix-Rousse se situent à proximité immédiate de l’hypercentre d’une grande ville de province longtemps démocrate-chrétienne, se caractérisent par un maillage serré de rues étroites loties d’anciennes maisons d’artisans et d’ouvriers qui donnent au quartier sa cohérence architecturale. De l’autre côté, le Bas-Montreuil, longtemps emblématique de la « banlieue rouge » de Paris, présente une morphologie urbaine plus hétéroclite, faite d’édifices de facture moyenne. Elle traîne par ailleurs depuis des décennies les stigmates associés aux quartiers de grands ensembles des communes de l’Est parisien. Pourtant, dans les deux cas c’est avec les mêmes mots que les transformations qui y ont lieu sont souvent décrites. Le fait que ces quartiers soient progressivement devenus les espaces de prédilection des gentrifieurs ne signifie pas pour autant que la gentrification s’y soit déroulée de la même façon.

À Lyon, les Pentes de la Croix-Rousse sont dans les années 1970 un quartier vieillissant d’artisans du textile en déclin. S’y installent alors des jeunes gens venus y vivre un mode de vie « alternatif » en rupture avec les valeurs et les schémas de réussite qui dominent alors la société des Trente Glorieuses. Ce sont souvent des personnes en rupture avec leur milieu social d’origine qui cherchent dans la foulée des mouvements soixante-huitards à expérimenter de nouvelles relations sociales, fondées sur le lien communautaire, et l’activisme politique, culturel et associatif. La faiblesse des loyers permet par ailleurs de répondre aux contraintes économiques d’habitants caractérisés par des revenus souvent précaires.

À Montreuil, la présence significative de gentrifieurs est plus récente, mais le processus y connait un rythme beaucoup plus soutenu. Leur installation renvoie à des trajectoires résidentielles davantage subies, souvent le fait de professionnels de la culture qui fuient la pression immobilière de Paris intra-muros. La gentrification s’y fait généralement dans la douleur pour ces nouveaux habitants, pour lesquels le franchissement du périphérique correspond également à la perte d’une centralité et d’une intensité urbaines très convoitées. Comme à Lyon, ils vont pourtant progressivement participer à changer l’image des lieux et à déplacer ce qu’Anaïs Collet appelle « les frontières de la ville désirable ». Si les Pentes de la Croix-Rousse se pensent désormais comme un « quartier village » à l’ambiance « populaire », le Bas-Montreuil devient un faubourg quasi-parisien, auquel les nouveaux habitants lui trouvent ici ou là des allures de bourgade de province.

 

Les « nouvelles classes moyennes » des années 1970 et 1980 et leurs héritiers

Choisi ou subi, ce qui est commun aux Pentes de la Croix-Rousse et au Bas-Montreuil, c’est que le remplacement résidentiel qui y a lieu serait le fait d’individus partageant une appartenance à un même groupe social : celui des « nouvelles classes moyennes » ou « petite bourgeoisie nouvelle » décrites par de nombreux sociologues durant les années 1970. L’auteure en livre ici une définition pragmatique, fondée à la fois sur la convergence des trajectoires résidentielles, mais également sur le relevé de certaines caractéristiques sociologiques communes : « comparables mais différents, les habitants qui s'installent au fil du temps dans les Pentes de la Croix-Rousse et dans le Bas-Montreuil font donc apparaître certaines variations mais aussi certaines continuités dans cette région de l'espace social située à la frontière entre classes moyennes et classes supérieures, caractérisée par un déséquilibre entre capital culturel et capital économique et par des valeurs plutôt progressistes »1.

La généalogie de ce groupe, croisée aux différentes étapes de la gentrification de ces quartiers, révèle une évolution dans sa composition socio-professionnelle. Si les premiers gentrifieurs des Pentes de la Croix-Rousse – les « pionniers » – sont avant tout des militants en rupture de ban social, caractéristiques de ce que Monique Dagnaud appelait la « classe d’alternative » (1981), ceux qui suivent présentent des profils contrastés qui traduisent des différences notables du point de vue du rapport au travail et à l’emploi, mais aussi des valeurs et des engagements. Ces divergences s’expliquent surtout par la manière dont ces derniers s’approprient et pérennisent l’héritage transmis par les pionniers, lequel se fonde sur deux dispositions qui caractérisent leur rapport aux choses : une forte critique et réflexivité par rapport à la société dominante ainsi qu’un emboîtement des registres politique, collectif et privé de l’engagement (Bacqué et Vermeersch).

Ces dispositions répondent à une injonction forte de la génération soixante-huitarde, celle du « devoir de plaisir » qui pousse à se réaliser à travers toutes les sphères de sa vie sociale et à accorder sa vie professionnelle à ses convictions politiques et philosophiques. À Lyon, cela produit des gentrifieurs caractérisés par une prévalence des cadres de la fonction publique et de l’économie sociale et solidaire. Les uns, en ascension sociale, sont avant tout mus par la volonté de concilier vie professionnelle et épanouissement personnel ; les autres, enfants des premiers gentrifieurs, cherchent à faire des valeurs de la critique sociale et écologique de leurs aînés le cœur de leur activité professionnelle, notamment dans les secteurs du lobbying environnemental ou des droits de l’homme. Pour eux, l’étanchéité entre vie professionnelle et privée est moins recherchée, d’autant que cette imbrication est souvent le moteur des stratégies de réussite personnelle. Si pour leurs parents, l’engagement consistait à faire disparaître les problèmes auxquels la société était confrontée, pour leurs descendants, celui-ci va de pair avec une volonté de le capitaliser en emploi pérenne.  Selon Anaïs Collet, « en découlent (…) peut-être ces "contradictions" souvent reprochées aux "bobos", entre des objectifs (des valeurs proches de celles de leurs parents) et, pour y parvenir, des pratiques guidées par une rationalité en finalité » (p.99).

Dans le Bas-Montreuil, les gentrifieurs « ressemblent moins que les jeunes Croix-Roussiens aux "nouvelles couches moyennes" des années 1970-1980, mais ils y font inévitablement penser par leur place relative dans la société » (p.99). Ils appartiennent aux « professions culturelles », avec souvent un emploi façonné à leur mesure. Si leur projection dans la vie peut sembler douloureuse, à cause de la précarité structurelle et la « mise en mobilité généralisée » (Castel) qui caractérisent leurs emplois et statuts professionnels, ils ressentent malgré tout une grande satisfaction dans l’exercice de leur travail. Ces caractéristiques n’impliquent pas tout à fait la même signification selon l’origine sociale de ces nouveaux habitants. Ceux d’origine modeste cherchent à prolonger une trajectoire ascendante en sortant des positions moyennes d’exécution et en prenant des risques pour atteindre des positions plus valorisées socialement et plus rémunératrices (p.106). Les personnes issues de la bourgeoisie parisienne sont dotées au départ d’un capital culturel et social beaucoup plus étendu. Leur démarche tient davantage de la « vocation artistique » que de la recherche d’une ascension à tout prix. Dans les faits, ils sont souvent dans des trajectoires de déclassement social au sein duquel l’affiliation à la figure de l’artiste permet de conserver un certain prestige symbolique. Pour ces professionnels de la culture, le rapport au politique tranche nettement avec celui entretenu par les nouveaux habitants des Pentes : « Lucides sur les mécanismes de reproduction des inégalités, pessimistes quant au pouvoir de changement des collectifs, baignant dans un univers professionnel plutôt individualiste, ce ne sont pas des militants. (…) Ils préfèrent la notion de "citoyenneté" à celle d'engagement : elle renvoie à des comportements individuels et à un contenu moral assez mal défini, qui autorise diverses interprétations » (p.116). La façon dont ces systèmes de valeurs et ces rapports au collectif s’expriment dans l’espace local n’est pas anecdotique ; elle est au contraire significative des façons de s’approprier et de transformer les lieux et de donner sa coloration au processus de gentrification.

 

« Retour au local » et « ville idéale » : réaménagements urbains

Dans les Pentes de la Croix-Rousse, la mobilisation contre la destruction d’immeubles anciens à la fin des années 1970 est fondatrice dans le sentiment d’une appartenance commune des nouveaux habitants. Son succès face aux édiles locaux acte le début d’une conversion des ressources et positions de pouvoir au niveau local vers des carrières politiques et professionnelles. « [Le] virage dans les politiques urbaines de la rénovation vers la réhabilitation relève ainsi à la fois d'un "processus culturel d'ensemble" qui transmue en "patrimoine" ce qui s'appelait jusqu'alors "taudis, habitat insalubre, verrue", mais aussi d'une logique économique qui fait de la réhabilitation un nouvel axe de développement pour le secteur du bâtiment, ainsi que d'une logique politique de "retour au local". » (p.46). Il dénote ainsi l’influence croissante des nouvelles classes moyennes dans la prescription de ce que doit être la « ville idéale », faite de revalorisation des centres, de luttes pour la qualité de vie, mais également d’une valorisation romantique de la « mixité sociale » heureuse, fondée ici sur la négation de la dimension conflictuelle des rapports entre groupes sociaux dominants et dominés.

L’aspiration du « droit à la ville » caractéristique des luttes urbaines des années 1970 est alors édulcorée au profit d’une capitalisation politique et économique de l’esthétique du « quartier-village ». Celle-ci ouvre de nouvelles opportunités d’investissement pour les promoteurs immobiliers, lesquelles expliquent la hausse significative des loyers dans les Pentes à la fin des années 1980. La survalorisation des anciens quartiers ouvriers des centres-villes s’accompagne alors d’une dévalorisation des quartiers périphériques, décrits alors comme « pathogènes » et enclins à favoriser des phénomènes d’exclusion sociale.

La conversion des anciens logements décrépis en biens immobiliers recherchés permet de faire du quartier des Pentes le support de la reproduction sociale et une rampe de lancement pour ceux qui s’y installent. Le passé militant du quartier devient alors l’objet d’une certaine patrimonialisation qui participe à sa valorisation marchande. Dans le Bas-Montreuil, « les usines désaffectées échappent, pendant un temps, à l'univers des biens immobiliers commensurables » (p.145). De ce fait, l’investissement immobilier y est plus périlleux et nécessite des dispositions sociales particulières à surmonter l’incertitude. Ceux qui franchissent le pas de l’acquisition convertissent, par un travail conséquent sur les lieux, ces biens singuliers en biens standards sur le marché immobilier. « Les gentrifieurs convertisseurs, en plus d'être des producteurs de biens immobiliers désirables et des "activateurs" de ce marché, sont donc également des agents du reclassement administratif des terrains. Les règles d'urbanisme, qui ont pendant un temps freiné les transactions et les transformations du bâti, ont également joué un rôle de filtre, en sélectionnant les acquéreurs aptes à obtenir des dérogations ou disposés à être dans l'illégalité » (p.149). Ils contribuent ainsi à exclure du marché local les ménages les moins aisés, ainsi que les locataires. La faiblesse du rapport à l’engagement collectif au sein de cette population bas-montreuilloise explique par ailleurs l’émergence d’un groupe de gentrifieurs spéculateurs, attachés à faire de leur position résidentielle le moteur de leur ascension économique. On retrouve là l’opposition décrite plus haut entre les deux groupes de professionnels de la culture. Si les artistes « par vocation » ont fait le deuil du confort bourgeois et de l’aspiration à l’ascension sociale, ceux d’origine plus modeste succomberaient plus facilement à la tentation du profit. Comme à Lyon, le travail sur l’image du quartier va puiser dans une histoire idéalisée de la ville, laquelle se distingue ici par la négation de son passé communiste au profit d’une valorisation décalée de son histoire pré-industrielle, faite de maraichages et de studios de cinéma.

 

La cohabitation des différents milieux sociaux, entre romantisme et réalisme

Les Pentes de la Croix-Rousse et du Bas-Montreuil intègrent progressivement un système d’espaces urbains offrant des variations autour d’un même type : « plus ou moins cosmopolites, touristiques, étudiants, bourgeois, gays, familiaux ou artistes  selon leurs propriétés morphologiques et les groupes sociaux qui y donnent le ton » (pp.61-62). « Au milieu des années 2000, plusieurs de mes enquêtés croix-roussiens connaissaient ainsi le Bas-Montreuil, y avaient des amis ou y avaient eux-mêmes travaillé, et certains tendaient à y voir le même village cosmopolite et pacifique qu'à la Croix-Rousse » (p.62). Ce qui définit aussi les gentrifieurs, c’est leur rapport à l’altérité, notamment en ce qu’elle concerne les anciens habitants. Ainsi, « dans les Pentes de la Croix-Rousse, les "nouveaux" fantasmaient les anciens habitants "en ouvriers, initiateurs de luttes certes pervertis, tombés dans l'inaction mais, passé de canut oblige, qu'il serait facile de réveiller" et ils se mettaient au service de ce passé canut imaginé » (p.226). Dans le Bas-Montreuil, les derniers arrivés se mobilisent dans des associations autour de la même antienne, celle d’« une exaltation du populaire qui contourne les voisins, le travail et la conflictualité sociale et va puiser son matériau dans des formes moins stigmatisées de la vie ouvrière » (p.226).

Si les gentrifieurs apprécient la rencontre de l’altérité sociale, laquelle participe aux ambiances de brassage recherchées, la plupart ont une perception lucide des différences de position sociale et de conditions de vie qui existent entre les habitants, ce qui fait qu’ils ne se font aucune illusion sur la nature de leur cohabitation. Leur conscience de la domination qu’ils exercent dans l’espace social locale les conduit à assumer la distance qui les sépare des anciens habitants au nom d’une certaine fatalité sociologique. Anaïs Collet rappelle néanmoins, que concernant le rapport aux valeurs, les difficultés de cohabitation ne concernent pas uniquement gentrifieurs et gentrifiés, mais s’expriment aussi au sein des gentrifieurs eux-mêmes. Dans le Bas-Montreuil par exemple, les artistes passés par des cursus universitaires à forte coloration sciences humaines et sociales sont souvent choqués par la façon dont ceux issus de formations spécifiques méprisent voire ignorent les habitants qui appartiennent à d’autres milieux sociaux. Ils leur reprochent également de verser dans des stratégies scolaires pour éviter le collège du secteur et nourrir un entre-soi habituellement l’apanage des classes moyennes supérieures. 

 

Un groupe sociologique hétérogène

Les gentrifieurs forment ainsi un groupe hétérogène dont la réputation de travailleurs intellectuels salariés de l’Etat devient caduque. Clairement, ils n’appartiennent pas à la grande bourgeoisie possédante, ni même au groupe des cadres bien rémunérés à l’aise avec la mondialisation, dans la mesure où l’accès à ces groupes demeure conditionné à la possession d’un capital social hérité ou forgé dans les grandes écoles. Ce qui les distingue, au-delà des variations de revenus, c’est leur capital culturel, lequel leur permet d’occuper des positions dominantes au sein de l’espace social local, souvent par des capacités propres de prescription sociale ou esthétique, ou a minima par la proximité entretenue avec ces prescripteurs (élus, professionnels de l’urbain, journalistes, artistes).

De ce point de vue, Anaïs Collet les fait rapprocher de la bourgeoisie au sens ancien du terme, celle des villes médiévales où ceux-ci constituaient un groupe de travailleurs libres qui se constituaient en pouvoir local et administraient la ville (p.248). « Les gentrifieurs ne forment donc pas un groupe social homogène stable depuis les années 1970 ; mais ils révèlent les continuités et les recompositions à l'œuvre dans l'espace social de la "petite bourgeoisie nouvelle" et des "nouvelles couches moyennes salariées" identifiées dans les années 1970 » (p.249). Les recompositions renvoient du côté du travail à l’effritement de l’emploi public et au développement important des professions de l’information, des arts et des spectacles, ainsi que des ingénieurs et cadres de l’expertise. Du côté des valeurs,  « ils confirment les diagnostics faits ailleurs : effacement de la "critique sociale", diffusion et absorption de la "critique artiste" par les institutions qu'elle visait et montée en puissance de la "critique écologique" ; disparition de la promotion de rapports sociaux alternatifs ; professionnalisation du militantisme associatif » (p.250). La reprise de ces thèmes dans le débat public est un vecteur de diffusion d’autant plus important des processus de gentrification, lesquels correspondent également à l’aspiration à la mobilité des descendants des nouvelles classes moyennes. Bouger, s’ancrer, habiter devient alors une façon de monnayer ailleurs que sur le marché du travail un capital culturel qui s’y est dévalorisé (p.256), mais également comme une nouvelle façon d’envisager des trajectoires de réussite qui se mesurent à l’étendue des réseaux d’interconnaissances. 

 

Quel est la place des gentrifieurs à l'échelle internationale?

L’inscription des gentrifieurs dans ces réseaux rappelle la limite d’une approche à l’échelle du quartier pour appréhender l’ampleur des phénomènes de gentrification. La question de la connexion des quartiers gentrifiés par la forte mobilité de leurs habitants mériterait, par exemple, de faire l’objet d’analyses plus approfondies quant à l’émergence d’un « paysage de la ville gentrifiée », non pas seulement à l’échelle française ou ouest-européenne, mais à l’échelle mondiale. Cela permettrait peut-être de mieux situer le groupe social des gentrifieurs parmi les autres composantes nomades de la société urbaine, que l’on pense aux migrants internationaux ou à certaines élites économiques, lesquelles participent de façon assez analogue à aménager les villes comme les points d’ancrage de ce qu’Alain Tarrius nomme la « mondialisation par le bas ». Ce travail de mise en perspective permettrait de mieux apprécier les enjeux des « luttes des places » qui peuvent se livrer dans les espaces métropolitains, lesquelles dépassent de plus en plus les cadres d’analyse des sociétés nationales.  Ce changement de focale permettrait en outre, par un retour à l’échelle du quartier, de disposer d’éléments de compréhension stimulants sur la course vers les nouveaux fronts de conquête de la frange la plus mobile de ce groupe social, comme nous laisserait penser l’engouement pour Berlin dans les années 1990 ou pour les métropoles périphériques de nos jours. À l’échelle des gentrifieurs eux-mêmes, nous aurions par l’analyse de ces dispositions singulières à la mobilité internationale, des clés de lecture sans doute encore plus riches pour saisir les stratifications qu’évoque Anaïs Collet à l’intérieur de ce groupe social..

 



rédacteur : Ludovic LEPELTIER-KUTASI
Illustration : CC Ana_Rey

Notes :
1 - p.80
Titre du livre : Rester bourgeois : une sociologie de la ville gentrifiée
Auteur : Collet Anaïs
Éditeur : La Découverte
Date de publication : 10/03/16
N° ISBN : 9782707175656