Relance de la médiation culturelle ?
[jeudi 10 mars 2016 - 10:00]
Arts visuels
Couverture ouvrage
La Médiation Culturelle : cinquième roue du carrosse ?
Éditeur : L'Harmattan
272 pages
Les médiateurs culturels ne jouissent pas souvent d’une grande considération, alors que leur fonction culturelle est décisive.

Entre 1980 et 2016, nombres d’ouvrages, de discours, de proclamations ont tenté de définir la médiation culturelle, et de participer à la codification de la profession en question qui ne se contente plus d’être une fonction (sociale), comme le sont philosophiquement les médiations.

 

La médiation culturelle a grandi en multipliant les personnes concernées, en résolvant certains problèmes, en organisant sa visibilité et sa mise en œuvre, en déployant des interrogations vis-à-vis d’elle-même, parmi lesquelles celles d’Elisabeth Caillet sont, dans le milieu, les plus célèbres. Ce dont on a moins tenu compte en revanche, c’est du savoir accumulé au long des années par les médiatrices/eurs, qui n’a pas toujours été recueilli, qui n’a pas fait l’objet d’une écoute adéquate, et qui est resté le plus souvent dans l’ombre, pour le plus grand dommage des institutions culturelles, notamment parce qu’il convient tout de même de se rendre compte du fait que les médiatrices et les médiateurs sont placés aux avant-postes de la rencontre avec les problèmes sociaux et culturels des sociétés, avec le tournant commercial des organisations culturelles et l’impact du management dans ce domaine (de nombreux articles y font allusion, à juste titre), mais aussi avec les objectifs des politiques, par exemple, celui de considérer la culture comme un outil de développement des territoires.  

           

Pour que la médiation culturelle ne s’achève pas en simple technique d’approche et de conduite des visiteurs, il est important de reprendre et préciser les questions devant lesquelles se trouvent les médiatrices/eurs de nos jours. Ce sont moins des questions de mot (médiateur, intercesseur, intermédiaire, communicant, interprète), désormais moins prégnantes (encore que d’un pays à l’autre le terme officialisé ne soit pas le même et la traduction anglo-saxonne repose ce problème (p. 190s)) ; des questions d’accès aux nouveaux moyens de communication (les TIC), posant pourtant des problèmes nombreux ; des questions de rapports entre les générations (nous en sommes, globalement, à la deuxième génération de médiateurs, ce qui ne manque pas de produire des effets évidents) ; que des questions politiques qui viennent en avant, enveloppant d’ailleurs aussi les questions de formation des médiateurs (formation disciplinaire, formation à l’emploi, ....) que l’on ne saurait négliger à l’heure où certaines formations ont d’ailleurs disparu.

Les premières questions sont évidemment aussi traitées dans l’ouvrage, mais il était important d’aller plus loin, en se confrontant aux composantes politique, utopique et idéologique de cette profession, bien au-delà des dimensions économique et communicationnelle. D’autant que nul n’ignore combien la médiation culturelle a de sources dans l’éducation populaire, et les réseaux d’éducation prioritaire s’occupant des personnes qui ne sont pas familières des lieux de culture, ou des difficultés de relier et référer ce qui est su ou appris à des aspects culturels plus généraux.  

 

L’ouvrage, dont la direction est assumée par quatre médiateurs attachés depuis longtemps à clarifier les modes et enjeux de la médiation, et dont la réalisation a fait appel à 36 auteurs (si nous comptons bien) se découpe en cinq parties. La première se penche sur les musées. Il est bon en effet de rappeler que la vocation des musées, depuis leur fondation, est aussi éducative que conservatrice. Ce qui implique des médiateurs. La deuxième partie revient explicitement sur les personnes des médiateurs en rendant compte d’expériences, de métiers et de formations. Cet ensemble permet d’approcher la profession concrètement, et à partir de l’évolution qui a été la sienne durant 20 ans. La troisième partie nous renvoie aux nouveaux problèmes posés aux médiateurs : par les nouveaux territoires de la culture, le numérique, les arts extra-occidentaux, et le domaine des sciences. La quatrième partie promène le lecteur dans d’autres pays. La cinquième partie est plus dispersée parce qu’elle réfère à des expériences de médiation plus singulières, ou qu’elle tend des fils vers un avenir encore incertain.

 

Les musées

Au cœur de la première partie se trouve donc la question des musées. Sans doute est-il vrai que la médiation s’impose ou non en fonction de leur fréquentation. Mais, entre la stagnation de certains musées, un peu endormis, et la renaissance récente des musées, on voit se dessiner la place conjointe d’une médiation renouvelée et d’un public remobilisé – dès lors que la visite n’est plus un privilège, mais un droit –, la société portant une nouvelle attention à la culture. La médiation est d’autant redéfinie qu’elle prend la place d’un nouveau type d’expertise au sein de professions multipliées : muséographes, scénographes, chefs de projet architectes et décorateurs. Mais expertise de quoi ? Du plaisir des visiteurs semblent répondre certains, quand d’autres organisent le musée comme un parcours de santé. À moins qu’on ne revienne à une idée première : que la médiation permette une réelle complicité entre les œuvres et les visiteurs. La médiation comme accueil et accompagnement ?

 

Culturalisation de la vie quotidienne et monde des jeunes

Concernant les rapports de la médiation et du monde des jeunes (aussi peu unifié que possible malgré le terme englobant), une très intéressante contribution de la main de Sylvie Octobre montre que, si beaucoup se plaignent de la disparition des rites de passage dans nos sociétés, il faut tout de même remarquer que le premier portable, l’ouverture de sa page Facebook et autres prennent le relais des anciens rites. Ce qui devrait obliger à recadrer les raisonnements sur la « déculturation » des jeunes, puisque ces phénomènes participent plutôt d’une culturalisation de la vie quotidienne, fut-ce en régime numérique. Le temps social des « jeunes » est aussi rythmé différemment : on peut écouter de la musique dans les transports, surfer sur les tablettes en faisant ses devoirs, ou réguler son temps en fonction des dispositifs Internet (boîte mail, par exemple). Ne s’agit-il pas d’une mise en œuvre d’une « culture buissonnière » qui n’invalide en aucun cas l’éducation culturelle ? Et surtout qui n’invalide pas, au contraire, la médiation, qui peut très bien intervenir à propos pour mettre en lien des mondes dispersés, et pour donner corps à une fréquentation d’Internet qui propose plutôt des îlots de savoirs spécialisés qu’une démocratie participative de la connaissance, ainsi que beaucoup le croient. Encore faut-il que la médiation soit conçue désormais comme manière de conduire le singulier à trouver une expression dans le collectif.

 

Quelques expériences de médiation culturelle

Vient aussi le temps des récits (à partir d’expériences singulières vécues, à Lyon, Marseille, Frac Provence Alpes Côte d’Azur, Rio de Janeiro, Palaiseau, Arles, Paris, Rome,.... ). Entre animation, visites d’exposition, conduite d’ateliers, accompagnement de groupes, la médiation se concrétise, notamment en conception de dispositifs pédagogiques. Le premier récit a le mérite de laisser place à l’histoire des tâtonnements (années 1990-2000 : on inventait, on bricolait, les institutions étaient en mutation, les dirigeants n’avaient pas nécessairement d’idée sur la médiation), le recrutement s’opérait à partir des Beaux-arts ou de l’histoire de l’art, parfois en « emplois jeunes ». On jouxte toujours – et on sait que cela a produit de véritables heurts avec l’Éducation nationale – l’idée d’une médiation enseignante. Bientôt l’idée de « passeur » est avancée, tout en maintenant le fil conducteur d’avoir à « amener » les visiteurs à voir autrement. Des rencontres entre médiateurs se nouent qui conduisent à former des associations. On voit naitre des formations spécifiques (à partir de 2000). Ce sont les scolaires qui sont souvent privilégiés (constituant le public de demain). Mais désormais, on s’inquiète des publics dits « empêchés » : hospitalisés, prisonniers, handicapés,... ainsi que des publics abandonnés : femmes immigrées, publics dits « non avertis », etc.

 

Comment définir la médiation culturelle ?

Qu’il s’agisse de la médiation culturelle – précisons, car l’ouvrage en tient compte, de la médiation dans les arts plastiques occidentaux et non-occidentaux pour évoquer un article pertinent sur cette question puisée aux sources du Quai Branly, mais aussi dans la musique ou en rapport avec les sciences (un chapitre y est consacré) –, de la médiation culturelle et sociale, de la médiation en musées, de la mise en œuvre et du développement de projets culturels, ou de la gestion de projets, voire de l’évaluation des pratiques, la médiation méritait bien une analyse d’étape. Au demeurant, les articles rassemblés ne cherchent pas nécessairement à réduire l’acte de médiation à une définition d’essence. Plusieurs propositions sont faites, qui vont de la définition technique (se situer « entre » l’institution et le public) à la définition sociale (une profession), en passant par une définition éthique (une posture éthique qui irrigue les différentes strates des projets culturels) ou une définition plus philosophique (la médiation est liée à l’interprétation, visant à faire aimer et donne les clés de compréhension des œuvres). On pourra retenir aussi une idée qui se répète dans quelques textes, prouvant par là que les médiatrices/eurs prennent le pli de l’époque (positivement) : la médiation consisterait en un processus d’initiation qui s’appuie sur la capacité de chacun à regarder, et à s’interroger sur sa position de regardeur. Ce qui montre qu’à l’évidence, si la médiation veut toujours réussir, il faut tenir compte du fait que la rencontre avec l’œuvre produit des effets qui peuvent demeurer latents. L’important est plutôt l’ouverture d’un espace effectif. Mais la latence et l’inaccomplissement peuvent dominer.

 

Les défis du numérique

Restent les questions liées à l’investissement des institutions culturelles dans le numérique, celles que l’on contourne habituellement. Elles sont affrontées ici. Hormis quelques propos généraux sur le numérique en général (ce n’était pas nécessairement le lieu), il fallait effectivement se demander à quoi peut répondre le numérique dans la médiation : jeux bien sûr, mais surtout recherche d’informations, visites personnalisées, interaction, etc. C’est pourtant un peu banal. À moins que l’on fasse appel au numérique pour permettre de produire des associations cognitives, de rapprocher des phénomènes, de construire du sens à partir des explorations. Faut-il pourtant se méfier de l’usage du numérique, s’il encourage le zapping et ce qu’on croit être le manque d’attention, par exemple, des jeunes générations. C’est à discuter, et on aurait aimé plus de précisions sur ces plans.

 

Et le spectateur ?

Une interrogation néanmoins demeure, au terme de la lecture de cet ouvrage. Elle porte sur la manière dont les spectateurs, auditeurs et autres sont conçus dans de nombreux propos. Assez massivement, il faut toujours « proposer aux publics des approches des œuvres » (p. 39), « amener le visiteur à mieux maîtriser les clefs de lecture » (p. 40), s’occuper de « publics plus ou moins captifs » (de quoi ?, p. 68), des « publics spécifiques » (p. 73), de la nécessité de posséder des clefs pour voir les œuvres (p. 81). À l’heure où l’on tente de reconsidérer la figure du spectateur, il y a là une source d’étonnement. Un seul article échappe cependant à ce regard de surplomb, et ce n’est sans doute pas pour rien qu’il nous parle de la médiation relative aux arts non-occidentaux, c’est l’article de Claire Merleau-Ponty qui, lu en parallèle avec celui de Serge Chaumier, servant de conclusion, insiste sur le potentiel de subjectivation que la médiation peut soulever. 

           

            



rédacteur : Christian RUBY
Illustration : Visiteurs au Musées du Vatican| Wikimedia CC
Titre du livre : La Médiation Culturelle : cinquième roue du carrosse ?
Auteur : Fanny Serain, François Vaysse, Patrice Chazottes
Éditeur : L'Harmattan
Date de publication : 28/01/16
N° ISBN : 978-2343078144