ROMAN – « Musulman » de Zahia Rahmani
[vendredi 30 octobre 2015 - 10:00]

Hédi Kaddour et Boualem Sansal : ex-aequo au prix de l’Académie… La Tunisie et l’Algérie en tête du palmarès. L’Académie est un lieu de consécration. Les Maisons d’Edition ont tout à y gagner. Quant aux auteurs, ils marquent ainsi leur pouvoir et leur territoire littéraire.

Et il y a les autres. Ceux dont on parle moins. Comme Zahia Rahmani, qui vient de publier « Musulman ». La couverture précise – elle en fait presque un sous-titre : il s'agit d'un roman.

Née en Algérie, Zahia Rahmani, titulaire d’un D.E.A d’esthétique, a travaillé depuis 1985 dans de nombreuses institutions culturelles françaises, jusqu'à intégrer en novembre 2003 l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA), où elle est chargée du programme Art et Mondialisation. Depuis lors, elle a publié trois romans aux éditions Sabine Wespieser : Moze (2004), « Musulman » (2005), et France, récit d’une enfance (2006).

Il y a dans le roman de Zahia Rahmani bien plus qu’un jeu rhétorique. Les règles académiques sont là, mais tenues à l’écart par ce cri qui parcourt tout le roman : « je ne souhaite pas de papiers. Pas d’identité. Pas de ce principe. (…) Ces hommes qui ignoraient la propriété et la conquête, vous les avez éteints. (…) On ne possède pas la terre. Entendez-vous ? On ne la possède pas ! Et maintenant vous  l’avez pourrie jusqu’à l’os cette terre. » Ce cri qu’elle poussa aussi après avoir été brûlée par  l’huile de la poêle ayant servi à lui préparer un beignet, ce cri qu’elle retient pour dire une langue, sa langue maternelle qui s’est exilée et qu’elle retrouve sur tous les continents, ce cri est plus fort que le roman de Boualem Sansal, 2084, qui se joue de la littérature pour nous conforter dans nos préjugés. C’est « la littérature à l’eau de rose », comme on dit, qui pervertit Emma Bovary. Il y a de cela dans 2084. Tout est bien huilé…trop bien. Littérature froide et méthodique, créatrice finalement de la répétition à l’identique des opinions les plus banales tout en se protégeant par la référence à Orwell. De quoi satisfaire une opinion portée à vouloir entendre ce qu’elle connaît déjà… ou ce qu'elle croit connaître.

C’est autre chose qui se passe dans le roman de Zahia Rahmani. Le refus de la dérive fanatique ne supprime pas la présence d’un certain mysticisme religieux attaché à la parole de chacun, sans volonté dogmatique. Un personnage perd la parole dans le récit. Elle-même perd sa langue maternelle. Comment écrire après cela ? Comment avoir une identité autre que celle que l’on vous attribue ?  Elle choisit de marcher, de se perdre dans le désert, d'aller du nord au sud, de l’est à l’ouest…puis de recommencer. Refus d’être identifiée, construction de la figure du paria, style haché pour évoquer la mémoire parcellaire de l’enfance et d'une « langue éparpillée » : telle est l’écriture de Zahia Rahmani. Quand elle est emprisonnée, l’écriture se resserre comme les barreaux de la cellule et les liens qui lui compriment les mains. Elle crie sa douleur par cet enchevêtrement de styles. C’est le texte qui parle. On parle beaucoup trop autour de 2084, comme si le texte ne se suffisait pas à lui seul. On le justifie en racontant les risques que prend son auteur. « Musulman », roman, prend aussi des risques, mais il ne cherche pas à justifier sa création par des causes extérieures. L’écriture se fait poiesis, au sens où elle construit son univers, son monde.

La littérature ne doit-elle pas porter en elle le risque de son renouveau ?.

 



rédacteur : Maryse EMEL