Eric Maurin et la nouvelle question scolaire
[lundi 01 octobre 2007 - 04:00]
Société
Couverture ouvrage
La nouvelle question scolaire
Éditeur : Seuil
250 pages
A rebours des complaintes traditionnelles sur la massification de l’enseignement secondaire et la dégradation supposée du niveau des élèves, le livre d’Eric Maurin nous propose une réflexion salutaire qui vient renouveler le débat sur l’école, dans un pays qui n’en finit pas de s’apitoyer sur lui-même.
Dans La nouvelle question scolaire, Eric Maurin démontre méthodiquement, avec toute la rigueur propre à l’économie empirique, les bénéfices de la démocratisation scolaire, en France comme dans l’ensemble des sociétés d’après-guerre qui se sont lancées dans ces réformes, avec souvent plus de conviction que chez nous.

 

Non, estime-t-il, la création du collège unique n’a pas fait baisser le niveau général des élèves ; non, elle n’a pas conduit à la dévalorisation des diplômes ; et non, le marché de l’emploi n’est pas arrivé à saturation pour les personnes qualifiées, bien au contraire.


 

Défense de la politique de démocratisation

 

Ce qui permet à Eric Maurin de prendre le revers de ces théories, communément admises sans avoir jamais été démontrées, c’est l’évaluation systématique de plusieurs politiques nationales d’ouverture des systèmes scolaires. La conclusion à laquelle il parvient, au terme d’une démonstration convaincante, est la suivante : la démocratisation de l’école permet de répondre à un objectif non seulement de justice sociale, mais également d’efficacité économique. Les inégalités de destin entre enfants de milieux sociaux différents se trouvent résorbées et le surcroît de formation ainsi engendré permet d’améliorer la prospérité de l’ensemble du pays.

 

A cet égard, le bilan tiré des expériences scandinaves, anglaise et irlandaise apparaît clairement positif.

La démonstration est d’ailleurs particulièrement intéressante s’agissant de la Suède, la Norvège et la Finlande. Contrairement à la France où la notion d’expérimentation de politiques publiques connaît aujourd’hui seulement une amorce timide, notamment avec la mise en place du Revenu de solidarité active, il s’agit d’une notion déjà ancienne dans les pays scandinaves. Les réformes du système scolaire ont ainsi d’abord été expérimentées localement, ce qui a permis de comparer la situation d’enfants ayant bénéficié de la réforme à la situation de l’ensemble des élèves n’en ayant pas bénéficié. Une évaluation méthodique des résultats de ces politiques a conduit à leur rapide généralisation.


 

Le collège unique, facteur favorable à l'insertion professionnelle

 

En France, « c’est peu dire que les politiques scolaires n’ont jamais été conçues […] en même temps que la possibilité de les évaluer ».

Par ailleurs, les réformes françaises furent plus tardives, plus laborieuses et finalement moins abouties. Est-ce parce que « l’école unique heurte très frontalement le terreau idéologique particulier, autoritaire et hiérarchique, sur lequel sont bâties les sociétés d’Europe continentale » ?

Quoi qu’il en soit, l’ouverture de l’enseignement dans les années 1960 et 1970 a surtout permis l’accès des classes populaires à l’apprentissage technique, diminuant ainsi le nombre de jeunes quittant le système scolaire sans formation, dont on sait qu’ils sont le plus exposés au risque de chômage. Ce mouvement ne s’est, en revanche, jamais accompagné d’une véritable ouverture de l’enseignement général, alors que les pays qui se sont engagés dans cette voie ont obtenu des résultats particulièrement intéressants.

Certes, la France a connu la loi Haby en 1975. Mais c’est seulement au cours des années 1980 que l’orientation précoce en fin de 5e est progressivement abandonnée. Les redoublements, spécialité française, se sont multipliés depuis lors, générant des retards « coûteux et improductifs. » Aujourd’hui, ce sont souvent les options d’apprentissage des langues qui permettent aux établissements de maintenir des classes de niveau.

 

Pourtant, l’analyse minutieuse de l’impact de la création du collège unique permet à Eric Maurin d’aboutir aux mêmes résultats que dans les autres pays. Les politiques de démocratisation de l’enseignement scolaire, lorsqu’elles ont eu lieu, ont incontestablement amélioré la qualité de l’insertion professionnelle des générations auxquelles elles ont profité.

Or c’est sans doute en France, que le mouvement de démocratisation de l’enseignement est le plus durement remis en cause. En contradiction avec le dynamisme éducatif observé dans une grande partie du monde développé, la France hésite à poursuivre le mouvement de démocratisation et à l’étendre à l’enseignement supérieur, voire remet en cause les étapes précédentes, comme la création du collège unique.

 

Plusieurs raisons à cela. Partout, l’ouverture du système scolaire a produit le même mouvement d’arrivée dans les classes de nouveaux élèves, « issus de milieux modestes, moins soutenus par les familles et moins bien préparés à suivre un enseignement ». D’où le constat, très répandu chez les enseignants, de baisse généralisée du niveau. S’il est incontestable que des classes plus hétérogènes sont plus difficiles à gérer, il ne suffit pas de comparer le niveau des élèves, appartenant à la petite élite à laquelle étaient réservés les bancs de l’école avant la réforme, au niveau des élèves, plus nombreux, après la réforme.

Ce en quoi l’analyse d’Eric Maurin est particulièrement novatrice et pertinente, c’est qu’il compare le niveau général de l’ensemble d’une classe d’âge avant réforme, à celui des « cohortes » qui en ont bénéficié. Le constat est clair : il y a bien augmentation du niveau de qualification de l’ensemble de la population, et l’insertion professionnelle s’en trouve améliorée, en particulier s’agissant des classes les plus populaires de la société.

 

Un autre reproche que l’on fait fréquemment à la démocratisation de l’enseignement est de n’avoir pu endiguer le chômage des jeunes. Là encore, Eric Maurin procède à l’analyse minutieuse de l’insertion professionnelle des générations ayant bénéficié des politiques d’ouverture du système éducatif, qu’il s’agisse de l’allongement de la durée de la scolarité obligatoire ou encore de la fin de l’orientation obligatoire à l’issue des années d’école primaire. Il constate qu’en France, les réformes successives ont permis la baisse significative du chômage d’insertion des jeunes, et cette baisse ne s’infléchira que lorsque les efforts éducatifs vont s’essouffler. « Le surcroît de formation initiale reçu par les générations du début des années 1970 par rapport à celles du milieu des années 1960 se traduit au total par une diminution du taux de chômage d’environ 5 points (19,2% vs. 14,2%) après 4 à 6 ans sur le marché du travail. » Et cela ne s’est pas fait au détriment de la qualité des emplois. « La proportion de cadres et de professions intermédiaires 4 ou 5 ans après l’entrée dans la vie active est supérieure à 30% pour les « cohortes » du début des années 1970, alors qu’elle est inférieure à 23% pour les « cohortes » du début des années 1960 ».

En revanche, l’augmentation du coût du travail, notamment pour les personnes les moins qualifiées, a souvent eu pour effet de contrecarrer en partie les effets bénéfiques de la démocratisation scolaire.

 

Si les bénéfices sociaux de l’éducation sont indiscutables pour ceux qui sont directement concernés, ils le sont également pour leurs enfants. Ainsi, des études ont montré l’impact positif sur la santé des enfants que les femmes mettent au monde plus tard. De même, l’augmentation d’un an de la scolarité obligatoire a un impact significatif sur la baisse du taux d’incarcération. Mieux vaut ouvrir les écoles que construire des prisons.


 

Répondre aux défis d'un système éducatif ouvert au plus grand nombre, de la maternelle au supérieur

 

Les Etats ont donc un intérêt évident à investir dans un système éducatif ouvert au plus grand nombre. Comme le soulignait récemment Christian Baudelot, professeur de sociologie à l’ENS, « on peut se demander si [la France] a réellement assimilé la notion de capital humain ». Partout dans le monde, les économies sont en demande de personnels de plus en plus qualifiés. Ces derniers sont mieux rémunérés et bénéficient d’emplois plus stables, et leur taux de chômage est trois à quatre fois inférieur à celui des personnes quittant le système scolaire sans aucune qualification.

 

Au-delà de la question de l’ouverture de l’enseignement secondaire, la fin du livre nous invite à nous interroger également sur les deux extrémités de la chaîne éducative : l’école maternelle, car « l’essentiel des hiérarchies scolaires est quasiment déjà en place à la fin de [ce cycle] », mais aussi l’enseignement supérieur. Celui-ci ne doit pas être réservé à une petite élite, mais accessible au plus grand nombre : c’est seulement au sein de ce dernier cycle que devrait se poser la question de la diversification des trajectoires.

 

Pour permettre à l’enseignement supérieur de s’adapter à une augmentation importante du nombre d’étudiants, offrant à chacun d’entre eux la possibilité de trouver un enseignement de qualité, la question du financement de cet enseignement ne pourra plus être éludée. Pour Eric Maurin, les études supérieures bénéficient d’abord à celui qui les entreprend et lui permettent de réussir son intégration professionnelle. Pourquoi alors ne pas faire payer une partie de cet enseignement aux ex-étudiants eux-mêmes ?

C’est la voie qui a été choisie, avec succès, par l’Australie ou la Grande-Bretagne : lorsque la situation professionnelle de l’étudiant est stabilisée, une fraction progressive de son salaire sert à financer l’université qui lui a permis de trouver un emploi. S’il perd son emploi, le remboursement est interrompu.

Un tel mode de financement serait d’autant plus légitime en France, pays caractérisé par un système dual d’enseignement : d’un côté, les grandes écoles, qui bénéficient très majoritairement aux classes les plus aisées et représentent un investissement massif de la nation ; de l’autre côté, l’ensemble des universités, « surpeuplées et misérables ».

 

Que penser, dans ce contexte, des réformes visant à accroître l’autonomie des établissements, le libre choix des parents, instaurant ainsi une forme de concurrence dans le domaine scolaire ?

A la lumière de l’analyse d’expériences semblables menées en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Chili, le constat d’Eric Maurin est sans appel : pour les établissements, cela se traduirait par des stratégies de recrutement des meilleurs élèves, conduisant au final « à une pure et simple hiérarchisation des écoles en fonction de la valeur des élèves et de son prédicteur le plus sûr : le niveau social des parents ». Une concurrence profitable reposerait plutôt sur l’incitation des établissements à mieux mobiliser leur personnel enseignant pour la réussite de leurs élèves.

 

L’un des grands défis de la démocratisation de l’enseignement supérieur réside sans doute dans le taux élevé d’échec à l’université. Eric Maurin nous propose en conclusion plusieurs pistes de réflexions, expérimentées dans des pays confrontés aux mêmes difficultés : cours de remise à niveau, ou encore incitations financières pour les enseignants et les étudiants.

Mais il faudra sans doute aussi améliorer l’orientation à la fin du lycée,  et opérer un rééquilibrage entre filières sélectives et non-sélectives. On sait qu’aujourd’hui, les bacheliers des classes les plus modestes choisissent plus souvent que les étudiants des classes favorisées des filières où l’échec reste massif et les débouchés peu nombreux. Or un enseignement supérieur de qualité est utile à tous.


 

Pour lire la critique de Luc Goupil sur le même ouvrage, cliquez ici



rédacteur : Diane ANGERMÜLLER, Critique à nonfiction.fr
Titre du livre : La nouvelle question scolaire
Auteur : Eric Maurin
Éditeur : Seuil