Scandale de la NSA : vers une nouvelle réglementation internationale
[lundi 11 novembre 2013 - 09:00]
Politique
Couverture ouvrage
L'espionnage dans le droit international
Éditeur : Nouveau Monde
492 pages
Les pratiques et justifications scandaleuses de la NSA appellent de nouvelles réglementations en droit international. L'espionnage dans le droit international   de Fabien Lafouasse propose des pistes sérieuses pour dégager des perspectives futures en matière de surveillance et de diplomatie.

Au fil des semaines la presse internationale révèle l'ampleur des dérives de l'espionnage américain. Un jour, on découvre avec stupeur que l'Agence de sécurité nationale américaine (NSA) surveillait les communications de 35 chefs d'État dont certains depuis près d'une dizaine d'années. Un autre qu'elle intercepte en masse les  données GSM sur le sol même de ses alliés et à leur insu. Un troisième qu'elle infiltre les serveurs de Google, Yahoo et de la plupart des géants du Web, faisant fi des libertés fondamentales de millions de personnes y compris dans les démocraties les plus matures. Un quatrième qu'elle surveille et cherche à pénétrer les emprises diplomatiques de ses partenaires. Une liste de pratiques scandaleuses qui semble sans fin et dont on peut se demander si elles ont été vraiment ordonnées par les plus hauts responsables de la Maison Blanche et endossées par les commissions compétentes du Congrès.
   
Face à l'ampleur des informations mises à jour, la NSA est sommée de s'expliquer. Cependant, elle cherche à se dédouaner de la plus étrange des manières. Son patron, le général K. Alexander nie des pratiques pourtant avérées. Il relativise le caractère liberticide de certains modes d'action au nom de la lutte anti-terroriste, sans apporter pour autant de preuves tangibles de l'efficacité des moyens mobilisés. Plus étonnamment, il s'emploie à souligner le manque de contrôle démocratique des services de renseignement chez certains des partenaires des États-Unis qui expliquerait la "surprise" d'opinions publiques tout simplement "mal informées" des pratiques de leurs propres gouvernements. Plus stupéfiant encore, le général Alexander, à la tête de la NSA depuis 8 ans, n'hésite pas à rendre public les coopérations secrètes avec les services de renseignement de pays tiers, ce qui est pour le moins contre tous les usages diplomatiques.
   
Dans ce contexte, on se trouve dans une situation pour le moins incongrue. Non seulement, la NSA est responsable des compromissions de l'un de ses anciens employés mais voici maintenant que son directeur révèle lui même l'existence d'accords secrets inter-étatiques. Or les services spéciaux ont besoin de travailler en confiance avec leurs homologues. Si les données de leurs échanges (nature, volume) sont révélées par ceux là même qui en bénéficient légitimement alors les États-Unis prennent le risque de se couper durablement de sources de première main pour leur sécurité. Certes, ils disposent de moyens techniques incommensurables mais Washington, en de nombreux points de la planète, a besoin du soutien de ses alliés les plus proches, à commencer par la France comme on a pu le voir récemment en Afrique du nord et au Sahel ou encore en Afghanistan au début des années 2000.
   
Non seulement la stratégie de la NSA pour se dédouaner des polémiques nées des révélations d'E. Snowden est dangereuse pour la sécurité des États-Unis et des pays occidentaux mais elle altère l'image des services de renseignement à travers le monde comme outil encadré des politiques publiques. Elle nourrit le stéréotype barbouzard des services spéciaux. Bref en un mot, les réponses apportées par la NSA à sa mise en cause sont irresponsables. Non, l'espionnage des alliés n'est pas une pratique qui va de soi. Non, tous les services de renseignement ne recourent pas aux même méthodes et ce n'est ni une question de moyens technologiques ou de quantités de données interceptées mais d'éthique managériale.
   
Si on accrédite l'idée que tous le monde espionne tout le monde et que tous les moyens sont bons pour collecter des données, les démocraties sont exposées à deux dangers : la perte de confiance des opinions publiques dans leurs services spéciaux et une exigence de contrôles nouveaux susceptibles de mettre à mal l'efficacité même des services de renseignement. C'est pourquoi, dans le cas français, il est essentiel que le gouvernement poursuive ses efforts de transparence sur l'action de ses services (ex. adoption d'une stratégie nationale du renseignement publique) et inscrive dans la Loi un contrôle parlementaire plus large (cf. l'élargissement des missions de la Délégation parlementaire au renseignement, création d'une mission d'inspection des services). Autant de projets aujourd'hui en débat à l'Assemblée nationale dans le cadre de l'adoption de la loi de programmation militaire. Reste à savoir si ces pratiques plus vertueuses pourront converger à l'échelle européenne voire se traduire comme le souhaitent F. Hollande et A. Merkel par l'adoption d'un "code de bonne conduite" entre les seize services de renseignement américains et leurs homologues d'outre-atlantique. Une perspective ambitieuse qui sera bien difficile de traduire en droit.
   
Bâtir un "No Spy Act" ou définir les contours politico-juridiques d'un pacte de non-agression serait une avancée considérable. En effet, l’espionnage en droit international repose sur un paradoxe juridique aux termes duquel aucune règle coutumière ni conventionnelle ne prohibe, en période de conflit armé comme en temps de paix, les activités de recueil clandestin de renseignements entre États. C'est ce que nous rappelle brillamment dans sa thèse de doctorat le saint-cyrien Fabien Lafouasse. Il faut lire cette somme de droit avec d'autant plus d'attention qu'il ne serait peut-être pas sans intérêt de réviser aujourd'hui le "droit de l'espionnage" pour en légitimer voire "faciliter" l'exercice. Si les pratiques attentatoires à la souveraineté des États est l'essence même de l'action clandestine à l'étranger des services d'espionnage, il reste à savoir si entre alliés européens et transatlantiques certaines limites ne peuvent pas s'imposer (ex. pas d'interception hertzienne sur le territoire de l'autre, pas de surveillance des responsables politiques légaux et des administrations,...). La tâche est intellectuellement titanesque. Et pour y parvenir encore faudra-t-il arrêter les fora de discussions appropriées. Ils ne sauraient d'ailleurs se limiter aux seuls cercles du renseignement. Ils devront également prendre en considération les évolutions technologiques en cours car depuis les années 60 on assiste à une dé-territorialisation manifeste des espaces de renseignement.
   
À défaut de définir une méthode et les objectifs d'une telle avancée, l'officier F. Lafouasse a méthodiquement disséqué l'encadrement des pratiques d'espionnage en temps de guerre et de paix dans les espaces de haute mer, aériens, extra-atmosphérique et internationaux. Sa maitrise encyclopédique de l'histoire du renseignement depuis la fin du XIXe siècle illustre tous les points de droit soulevés de la protection des agents légaux ou sans couverture aux infrastructures. Un savoir à maitriser par tous ceux qui seront appelés à réfléchir ou négocier des accords bilatéraux ou de nouvelles conventions internationales encadrant les pratiques d'espionnage. La somme de F. Lafouasse leur rappellera que leur tâche ne visera pas tant à débattre de la licité de la praxis qu'à arrêter de nouveaux modes coopératifs notamment entre le groupe dit des Five Eyes (Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Royaume Uni) et leurs alliés européens ou asiatiques les plus proches (ex. Corée du Sud, Japon), les anglo-américains et la France, les États-membres de l'Union européenne entre eux. Autre défi majeur : les éventuels  manquements aux pratiques agrées pourront-ils être juridiquement pénalisés ? En tout cas, de nouvelles règles à appliquer devront transparaître ainsi que de nouveaux délits à sanctionner notamment dans le cyber-espace. La lecture la plus attentive des travaux de F. Lafouasse et la préface que lui a donnée l'ambassadeur de France Pierre Brochand, ex-directeur général de la sécurité extérieure, en dresse nombre de pistes intéressantes.
 



rédacteur : François DANGLIN
Illustration : CC ElectronicFrontierFoundation / Flickr
Titre du livre : L'espionnage dans le droit international
Auteur : Fabien Lafouasse
Éditeur : Nouveau Monde
Collection : Le grand jeu
Date de publication : 14/06/12
N° ISBN : 2847366547