Du crieur public à legifrance.gouv.fr
[mardi 01 janvier 2013 - 12:00]
Droit
Couverture ouvrage
L'écho des lois
Éditeur : La Documentation Française
168 pages
Un superbe ouvrage illustré sur l’histoire des conditions de diffusion et de connaissance des textes de loi.

"Les lois sont exécutoires dans tout le territoire français, en vertu de la promulgation qui en est faite par le Roi (le Président de la République). Elles seront exécutées dans chaque partie du Royaume (de la République), du moment où la promulgation en pourra être connue." Ainsi dispose pendant deux siècles l’article premier du code civil.1

Mais comment assurer que la loi, instrument d’affirmation du pouvoir politique, soit réellement connue et appliquée ? C’est tout l’enjeu de l’histoire retracée par L’écho des lois, celle des efforts de l’autorité publique pour assurer la diffusion et la notoriété des textes qu’elle édicte, dans une démarche que célèbre Denis Salas dès la préface : "le législateur n’est jamais aussi grand que lorsqu’il cherche à rapprocher la loi du peuple".2

Les enjeux de la diffusion du droit

Les différents aspects de cette histoire sont retracés en six chapitres richement illustrés, sous la plume d’un collectif réunissant universitaires et praticiens du droit. On y découvre la puissance légale de l’écrit depuis l’Antiquité romaine et l’importance concomitante de la lecture (dont découle l’étymologie du mot loi, issu du latin legere). On y suit les tentatives successives de codification du droit existant : code de Théodose, décret de Gratien, jusqu’aux codes napoléoniens. On voit comment la publication devient une condition d’exécution de la loi et ce qu’elle implique pour garantir l’authentification des documents (subtilité des sceaux et cachets, des lettres patentes ou closes…). On y suit le rôle grandissant des cours de justice, chargées d’enregistrer les textes, et l’importance constante de la conservation des textes, dans la pierre ou le bronze, puis dans des registres et archives, jusqu’aux bases de données dématérialisées du XXIe siècle.

L’émergence progressive d’un système officiel de publicité de la législation et ses différents supports font l’objet de développements précis et documentés, qui rendent vivant le passage des crieurs publics aux affiches imprimées, ou la lente évolution, depuis la Gazette de Théophraste Renaudot et les revues du XVIIIe siècle jusqu’au Moniteur universel à la Révolution, le Journal officiel obtenant le monopole de la publication des actes à la fin du IInd Empire - et ouvrant un site Internet en 1997. Les bouleversements intervenus au XXe siècle sont illustrés à partir de grands textes comme la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, dont le processus d’élaboration témoigne d’une information du citoyen en amont de la promulgation des textes, qui se renforce aujourd’hui sous l’effet de la dématérialisation des procédures de production législative elles-mêmes.

Une réflexion qui rayonne au-delà de son seul objet

L’un des principaux intérêts de l’ouvrage est que l’évocation des questions de diffusion du droit conduit à définir ce que représente la loi à chaque époque, son statut par rapport au droit coutumier, ses liens avec l’exercice du pouvoir souverain et la réalité de l’autorité exercée, la taille des territoires où elle s’affirme… Ces différentes considérations amènent aussi à s’interroger sur des notions comme la séparation des pouvoirs, le rôle des moyens de communication ou le degré d’association, d’adhésion voire de participation du peuple au processus législatif.

Ainsi la Révolution française, à laquelle est consacré un chapitre, apparaît-elle à la fois comme mythe fondateur et comme rupture profonde dans la conception du droit, présumant la légalité a priori des actions et affirmant l’uniformité de la loi, qui acquiert dès lors une fonction centrale, sanctuarisée à l’extrême par le Comité de salut public. Ce légicentrisme va cependant de pair avec un relatif "inachèvement dans l’établissement d’un ordre politico-juridique effectif"3, que s’efforce de réduire la période napoléonienne.

Surtout, l’approche chronologique adoptée permet d’identifier des constantes parmi les limites à la diffusion du droit : le manque d’exhaustivité dans l’enregistrement, le dépôt et l’archivage, ou les difficultés d’accès à une matière qui reste le domaine d’une minorité de juristes. De ce point de vue, la question de l’illettrisme des populations du Moyen-Âge fait écho au problème de la traduction en langues régionales qui se pose à la Révolution française, mais aussi à l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité du droit affirmé à l’époque actuelle, qui se double d’une mondialisation du droit qui redonne sens à une démarche de traduction des textes de loi. De même, l’idée d’une production de normes surabondante et d’une multiplication des écrits faisant obstacle à leur diffusion apparaît, à la lumière des passages sur l’époque moderne, comme une problématique bien antérieure à notre ère d’information pléthorique.

Si l’on regrettera peut-être que les comparaisons avec d’autres structures étatiques, à l’exception de l’Union européenne, soient relativement rapides, ou que certains développements consacrés au contenu des textes de loi soient parfois peu éclairants quant au thème de leur diffusion, on retirera néanmoins un plaisir de lecture authentique de ces pages aussi visuellement agréables qu’intellectuellement stimulantes, illustrant avec habileté les enjeux et les limites de la mise en œuvre de ces lois que nul n’est censé ignorer.

 



rédacteur : Blandine SORBE, Critique à nonfiction.fr
Illustration : Historyanorak / flickr.com

Notes :
1 - Modifié désormais par l’ordonnance du 20 février 2004.
2 - Page 7.
3 - Page 94.
Titre du livre : L'écho des lois
Auteur : Ouvrage collectif, préface de Denis Salas
Éditeur : La Documentation Française
Titre original : L'écho des lois. Du parchemin à Internet
Date de publication : 28/12/12
N° ISBN : 2110090774