La vie et l'art de J.W. Waterhouse
[mardi 30 août 2011 - 13:00]
Arts visuels
Couverture ouvrage
J.W. Waterhouse
Éditeur : Phaidon
240 pages
Ecrire sur J.W. Waterhouse n’est pas une chose aisée. Peu de lettres, photographies et documents nous sont restés sur sa vie. Pourtant, Peter Trippi réussit à nous faire plonger dans la vie de ce peintre. 

 "Bien que les tableaux les plus importants de John William Waterhouse (1849-1917), membre de la Royal Academy of Arts, soient reconnus par des millions d’amateurs d’art à travers le monde, rares sont ses admirateurs qui connaissent sa vie et l’étendue de son œuvre. Le double objectif de ce livre est, par conséquent, d’étudier l’art de Waterhouse sous l’angle de son évolution et de situer l’artiste dans son époque. "1

Né en Italie en 1849, il s’essaya à des scènes de genre : paysages italiens, femmes typées, scènes quotidiennes… Rapidement, il montre son intérêt pour l’irréel, les sciences occultes, les mythes gréco-romains et la littérature ; thèmes chers au mouvement préraphaélite, dont Waterhouse s’inspirera toute sa vie. A la fin de sa vie, il dépeindra des scènes inspirées du Moyen-Age.

Son premier tableau connu laissera une empreinte durant toute sa carrière. En 1872, il peint Ondine issu du conte du même nom de La Motte-Fouqué. "La fée des eaux Ondine a épousé le chevalier Huldbrand afin de recevoir une âme mais, rejetée par son mari, elle est contrainte de retourner à la nature. Elle surgit alors d’une fontaine, vêtue d’une robe de mariée, se lamentant ca le Destin exige d’elle qu’elle tue Huldbrand d’un baiser. "2 Toute la symbolique d’Ondine restera présente dans l’œuvre de Waterhouse. L’amour tragique entre Ondine et le chevalier, la transformation d’Ondine, la sexualité féminine dangereuse voire tueuse. La représentation d’Ondine est caractérisée par plusieurs points essentiels, qu’on retrouvera tout au long de la carrière de Waterhouse : l’eau, le regard expressif, la sensualité vestimentaire et la chevelure. De plus, Ondine dégage une sexualité toute naissante. Et c’est cette sexualité qui causera sa perte ainsi que celle de son amant. Il ne faut pas oublier qu’à la même époque, Lewis Caroll écrivait Alice aux pays des merveilles et De l’autre côté du miroir. Les très jeunes filles et leurs sexualités étaient de très fortes inspirations pour les artistes. Cette découverte sexuelle les fascinait et les effrayait. Waterhouse utilisera cette fascination dans toute son œuvre, donnant un pouvoir sexuel à toutes ses figures féminines. Cléopâtre (1888) en est l’exemple parfait. Elle dégage "une fascination contre laquelle notre sens moral se révolte "3 en menant ses histoires d’amour et ses choix comme l’aurait fait un homme. Ce pouvoir la détruira ainsi que ses proches. Telle est la récompense des femmes peintes par Waterhouse.

Waterhouse aimait la littérature et la poésie. La plupart de ses œuvres étaient accompagnées d’un vers ou d’un extrait d’un récit comme pour La Dame d’Escalot (1894), qu’il avait associé à un poème de Tennyson. Son obsession pour les œuvres d’Ovide et de Boccace se lit dans plusieurs de ses œuvres. Phyllis et Démophon, Apollon et Daphné, Une hamadryade ainsi que Flore et les Zéphyrs s’inspirent de ces ouvrages. On y voit aussi la fascination de Waterhouse pour la transformation de la chair en végétal.  

Cette fascination pour la transformation de jeunes filles en végétal s’intégrait dans l’intérêt frappant de Waterhouse pour l’occulte. Pour Pandore (1896) "on remarque, gravé sur un pan du coffre, un soleil se levant au-dessus de l’eau, symbole de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée. Fondée par des francs-maçons en 1888, cette société rosicrucienne promettait à ses membres d’entrer en relation avec des forces surnaturelles par l’intermédiaire de toute une série de pratiques comme l’alchimie, les cercles magiques, la théosophie, l’invocation de Pan, le tarot, l’exercice de la volonté et de l’imagination, l’arbre de vie – autant de facettes entrant en résonance avec l’art de Waterhouse. "4 L’art de Waterhouse est ainsi brodé d’œuvres occultes : Enfant malade conduit au temple d’Esculape (1877), Les Dieux lares (1880), Visite à l’oracle (1884), Le Cercle magique (1886), Offrande romaine (1891), L’autel (1895), Pandore (1896), La Boule de crystal (1902). "L’idée largement répandue que les femmes entraient plus aisément en communication avec l’au-delà leur conférait un pouvoir inconcevable aux yeux des religions conventionnelles. "5 La beauté n’était pas le seul attribut que Waterhouse donnait aux jeunes filles de ses peintures, elles avaient aussi un pouvoir surnaturel. 

La grâce des très jeunes filles de Waterhouse transcende les époques. Le romantisme qui s’en dégage reste palpable encore aujourd’hui. Même sans connaître le récit d’Hamlet de Shakespeare, on peut apprécier la beauté, la douceur de son Ophélie (1889) ou bien encore la folie, la jalousie destructrice qui s’émane de Circe Invidiosa (1892). Les peintures de Waterhouse sont très parlantes. Tout public peut apprécier Une sirène (1892-1900), La Belle Dame sans merci (1893) ou Les Favoris de l’empereur Honorius (1883). Cette compréhension du public est due à la technique utilisée par Waterhouse. Inspirée de l’impressionnisme, celle-ci comprend une superposition de couches. Waterhouse peignait mouillé sur mouillé et ajoutait des couches après un séchage superficiel. Il "chargeait en une fois son pinceau de toute une gamme de couleurs." Conséquences de cette pratique : de minuscules fragments de peinture séchée, arrachés à la palette par le pinceau, restent incrustés à la surface de la toile. Cette technique lui apporta quelques critiques dont celle de MacColl, peintre de la même époque qui considérait que Circé tendant la coupe à Odysseus (1891) de "demi-réalisme, pas plus convaincant en rêve qu’en plein jour. "6

L’auteur, Peter Trippi retrace les prix du marché de l’art pour Waterhouse. Ainsi on apprend, qu’en 1879 la Dudley Gallery acheta pour 80 livres Dolce Far Niente. A son apogée, en 1886 Waterhouse vendait Le Cercle magique 650 livres au Conseil de l’Academy. Ses prix pouvaient aller jusqu’à 1 300 livres. Mais dix ans plus tard, sa cote chuta et Waterhouse dût céder la Dame d’Escalot de 1894 au prix de 400 livres. A la fin de sa vie, en 1914 Waterhouse vendit Flore pour 300 livres.

Par contre, en vente aux enchères les prix s’envolent. "La vente de la collection McCulloch à Christie’s en 1913 : Brodie Henderson acheta pour 2 300 livres Sainte Cécile, enchère record pour le peintre. "7 A sa mort, sa veuve organisa une vente chez Christie’s le 23 juillet 1926. "La vente Waterhouse rapporta à Esther un total de 3 135 livres. Parmi les rares huiles achevées se trouvaient Apollon et Daphné et l’Ophélie de 1889, vendus à Gooden & Fox pour les sommes respectives de 480 et 450 livres. "8 Cette même Sainte Cécile achetée en 1913 pour 2 300 livres, fut vendue en 2000 pour un record de 6 603 750 livres.

Très influencé par le mouvement impressionniste et par ses contemporains, Waterhouse reste surtout le maître des jeunes femmes au teint de rose et aux cheveux roux. Souvent critiqué par ses pairs à cause de son obsession pour la technique, il restera perçu toute sa vie comme un professeur, un passeur de savoir plutôt que comme un artiste à part entière.

Très complet et accompagné de reproductions magnifiques, ce livre est une des meilleures monographies de l’artiste.



rédacteur : Katia BERNSTEIN, Critique à nonfiction.fr

Notes :
1 - page 4
2 - page 19
3 - page 84
4 - page 151
5 - page 77
6 - page 142
7 - page 204
8 - page 233
Titre du livre : J.W. Waterhouse
Auteur : Peter Trippi
Éditeur : Phaidon
Date de publication : 30/04/11
N° ISBN : 9780714896717