Le risque Le Pen
[jeudi 23 juin 2011 - 10:00]

DSK, Sarkozy, les primaires, le centre : l’actualité politique est dense à un an de la présidentielle. Mais au fait, où est passée Marine Le Pen ? Existe-il un risque Le Pen ? Tentative de réponse avec Stéphane Rozès, président de Cap (conseils, analyses et perspectives) et enseignant à Sciences-Po et HEC.

 

Nonfiction.fr- On a beaucoup parlé du changement d’image qu’opère le FN depuis que Marine Le Pen en est la présidente. Pour vous, quel est le point majeur d’opposition entre le FN version Père et le FN version Fille ?

Stéphane Rozès- Sur la forme, elle conserve du père l’héritage du nom, la marque Le Pen. Sur le fond, elle opère un changement radical au sein du FN.

D’une part, un changement d’ordre sémantique. Le père construisait l’identité du FN par des ruptures avec les idées républicaines et des références sempiternelles à la Seconde Guerre mondiale, comme l’expression de sa différence avec les partis républicains.

Marine Le Pen utilise les idées républicaines et la laïcité pour pouvoir atteindre "l’étranger". Elle récupère ces idées pour pointer l’autre du doigt, pour le tenir à distance, alors même que les idées républicaines ont été inventées pour intégrer l’autre.

D’autre part, le changement est idéologique. Le Front National de Jean-Marie Le Pen est un parti aux relents extrémistes qui lui permettent de mobiliser comme un vote contre les partis de gouvernement.

Pour Marine Le Pen, c’est différent. Elle veut peser sur le cours des choses, avoir le pouvoir, être aux responsabilités. Cela explique d’ailleurs les changements de certains cadres du Front National ainsi que la mobilisation de certains intellectuels.

 

Nonfiction.fr- Personne n’arrive encore à cerner à qui a profité la chute de DSK. Marine Le Pen a été l’une des premières à s’exprimer après son arrestation. D’après vous, quel est l’impact de cette affaire sur son électorat ?

Stéphane Rozès- A court terme, elle a subi l’affaire. Sa stratégie de communication qui consistait à s’exprimer immédiatement contre Dominique Strauss-Kahn a donné l’impression à l’opinion qu’elle participait à l’affaiblissement de l’image de la France que représentait alors le directeur général du FMI.

A plus long terme, la situation peut lui être profitable. S’il y a une entente, une transaction entre DSK et la plaignante, l’opinion française aurait du mal à comprendre. En France, une personne est coupable ou innocente. Une transaction risquerait de faire abandonner le sentiment de bienveillance des Français à l’égard de DSK.

 

Nonfiction.fr- Le risque d’un 21 avril à l’envers pour Nicolas Sarkozy est-il toujours valable ?

Stéphane Rozès- Ce sont les catégories populaires qui vont faire l’élection. C’est le cas à toutes les élections, mais plus particulièrement à celle-ci. Pour 2012, tout est ouvert.

Nicolas Sarkozy a changé de ligne. L’hypothèse d’une candidature de DSK lui avait fait choisir la ligne nationaliste de Patrick Buisson. Elle déplaçait le débat des questions économiques et sociales aux questions nationales et identitaires conduisant à un second tour Sarkozy-Le Pen. DSK devait se couper des catégories populaires en adoptant une ligne multiculturaliste mettant en avant le droit à la différence et non à la ressemblance.

L'affaire DSK fait que le centre redevient un enjeu et permet à Nicolas Sarkozy de se présidentialiser. Il retourne à la ligne Guaino de la nation, du président qui rassemble et se représidentialise.

 

Nonfiction.fr- Alors dans ces conditions le risque de 21 avril à l’envers s’éloigne ?

Stéphane Rozès- Tout dépend du candidat socialiste, de sa posture et de son programme.

Si le candidat socialiste est sur une ligne républicaine stricte, s'il dit la vérité sur la situation du pays et de sa nécessaire réforme dans la justice en nouant un lien direct avec les Français, alors il l'emportera.

 

Nonfiction.fr- A quel score, Marine Le Pen considèrera-t-elle que sa candidature à la présidentielle est un échec ?

Stéphane Rozès- Seule l’accession au second tour pourrait être un succès. Si elle y est, elle obtiendra un score qui peut être le double de celui de son père. Ce qui validerait sa stratégie.

Dans ce cas, soit, ayant écarté la gauche elle aura préempté la question sociale, soit, ayant écarté la droite, elle aura préempté la question nationale. Dans les périodes d'inquiétudes et régressives, les deux sont pour l'opinion étroitement liées. De l'articulation national-social au sein de la République pour sortir le pays de l'ornière dépend la prochaine présidentielle.

Propos receuillis par Julien Miro



rédacteur : Julien MIRO, Critique à nonfiction.fr