De la démocratie dans les limites de la transcendance raisonnable
[mercredi 08 juin 2011 - 18:00]

Dominique Schnapper est inflexible : une société démocratique saine ne peut faire l’économie du sens de l’engagement. Car le risque est grand "que l’individu démocratique, soucieux de ne pas voir borner ses conduites, finisse paradoxalement par se conduire comme le "grand seigneur" dans les gouvernements "despotiques" qui, selon Montesquieu, "n’était point obligé de tenir sa parole ou son serment lorsqu’il bornait par là son autorité" 1

Pour la sociologue et ancienne membre du Conseil constitutionnel, "la transformation du sens du mariage et la diffusion du Pacs sont une illustration de (ce) risque de dérive  de la société démocratique, celui de passer de l’autonomie des individus-citoyens à l’indépendance des individus, oublieux de la dépendance qu’implique tout véritable échange avec l’Autre, oublieux de l’ensemble des contraintes de l’ordre collectif légitime qu’organise la démocratie "réglée"".

Un rappel des origines chrétiennes de la spiritualité du mariage – oublieux, lui, du phénomène de christianisation d’une pratique lui ayant préexisté 2 – et de son intégration à la société toujours organique du XIXe siècle laïcisé souligne la tendance à l’individualisation de la société démocratique dont le Pacs ne serait que le signe. Reprenant les conclusions de Jean-François de Montgolfier 3, Dominique Schnapper remarque en effet que ce serait désormais celui-ci qui servirait de modèle au mariage, lui imprimant sa marque de contrat purement interindividuel, relevant de la seule sphère privée, et fondé en principe sur "l’authenticité (des) sentiments du moment." Fondamentalement, cette évolution serait donc symptomatique d’une certaine évacuation de la transcendance, laquelle seule pourrait présider à l’inscription de tout lien dans la durée, c’est-à-dire à toute forme d’ "engagement".

Tel est donc l’enjeu : la transcendance, dans une "société autonome, dont la légitimité ne repose plus sur une transcendance politique ou religieuse, mais sur la volonté de l’ensemble des citoyens organisés en une "communauté des citoyens" qui est à la source de la légitimité politique." Or, pour reprendre les catégories d’Alain Renaut 4, si la "société autonome" se fixe elle-même ses règles, "l’indépendance" nierait la société, l’absence de toute règle sur soi-même serait une nouvelle forme de despotisme : uniquement soucieux "de valoriser son moi", "l’individu démocratique" qui cèderait à la tentation de l’indépendance "risquerait alors de perdre tout sentiment d’obligation à l’égard des autres et de négliger radicalement le destin collectif" aussi bien que la loi et les institutions qui structurent et donnent un sens à la vie sociale tout en protégeant les plus faibles.

Faisant le constat des risques que feraient peser la "démocratie "extrême"" et sa métaphysique du plaisir immédiat sur nos sociétés, ce texte mobilisateur et saisissant sur L’engagement publié par la Fondation pour l’innovation politique pourrait sembler en appeler à la promulgation d’une loi sur la transcendance, le destin collectif et la préservation du lien social. Dominique Schnapper se garde de le proposer, rejoignant peut-être finalement son lecteur dubitatif devant l’appartenance d’un tel sujet – aussi stimulant soit-il – au champ politique.

 

Pour aller plus loin :

-Dominique Schnapper, "L’engagement", Fondapol, 31 mai 2011
 



rédacteur : Pierre-Henri ORTIZ, rédacteur en chef
Illustration : Dominique Schnapper

Notes :
1 - L’Esprit des lois, livre IV, chap. 6, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, p. 269
2 - Sur les rapports complexes et longtemps ambigus du christianisme au mariage avant le Ve siècle, voir par exemple P. Brown, Le renoncement à la chair [The Body and Society], Gallimard, 1995 [1988]
3 - "Du pacs au mariage et retour ?", Commentaire, 123, automne 2008, p. 777-784
4 - L’Ere de l’individu, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1989, p. 84