La pensée féministe comme pensée politique
[jeudi 14 janvier 2010 - 22:00]
Société
Couverture ouvrage
Une femme en colère : Lettre d'Alger aux Européens désabusés
Éditeur : Gallimard
147 pages
Dans une réflexion riche et hautement contemporaine, l’avocate et féministe algérienne Wassyla Tamzali poursuit la querelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

La lâcheté serait-elle la chose du monde la mieux partagée ? se demandera-t-on après avoir lu Wassyla Tamzali. Dans son livre paru en octobre 2009, Une femme en colère. Lettre d’Alger aux Européens désabusés, la féministe algérienne constate l’incapacité des intellectuels et politiques européens à penser les questions de la modernité comme la condition de la femme, la question identitaire, la diversité culturelle, la religion et la liberté de conscience. Son reproche amer à l’Europe est celui de ne plus croire en ses valeurs fondatrices, et notamment à la France qui n’applique plus avec ferveur et universalité son hymne "Liberté, Egalité, Fraternité". Ce texte est un appel révolté au soutien dans la lutte qu’elle mène contre la ségrégation sexuelle à l’œuvre dans les pays musulmans.
Etre féministe, c’est refuser des pratiques néfastes aux femmes. Tâche rendue difficile par une Europe (dont certaines de ses féministes) qui a enfermé la femme des pays arabes dans une étiquette identitaire commode de "femme musulmane" et, d’autre part, par les pays musulmans qui considèrent que les féministes sont islamophobes.
L’Europe étant devenue le champ d’expérimentation de l’islam dit modéré, Wassyla Tamzali revient sur la confrontation entre religiosité musulmane et laïcité et illustre l’échec tant de l’Islam à se réformer que celui des Européens à défendre une démocratie et une laïcité fortes.
La laïcité à la française semble, en effet, devenue un principe de tolérance molle, prompte au relativisme culturel: "Le traitement sexiste des femmes est toléré quand il est revendiqué et pratiqué par des populations venues d’ailleurs" 1 Elle dénonce autant le recours à la religion pour l’infériorisation, l’asservissement et l’enfermement des femmes poussé loin par la culture islamique, que le système patriarcal des Etats religieux arabes qui font de la domination des femmes et de leur sexualité un enjeu.

Revenant sur l’affaire du foulard de 2003, Tamzali analyse la pratique du port du voile, devenu arme médiatique dans une guerre identitaire qui marque le corps des femmes. Certes, la question est complexe, notamment pour une jeunesse qui revendique une identité de Françaises musulmanes dans une France qui ne les intègre pas. Mais, le voile est "le symbole de la régression de nos sociétés" 2 et non pas un accessoire de mode, comme la burka n’est pas une simple tenue vestimentaire, mais "une véritable camisole de force portée dans l’espace public" 3. "Voiler les femmes musulmanes est aujourd’hui instrumentalisé par les islamistes […]. La dissimulation du corps des femmes semble être devenue l’unique préoccupation des musulmans de tous les continents" 4.
Cette islamisation des mœurs confirme le tabou de la sexualité et sa place exorbitante dans les pays arabes. Pour Latifa Lakhdar, professeur de l’université de Tunis : " Le voile est la sanctification de l’ascendant de l’éros musulman sur l’ethos musulman" 5. Et, si les dignitaires musulmans refusent que des femmes soient imams, c’est qu’elles montreraient leurs postérieurs aux croyants pendant la prière et susciteraient ainsi le désir sexuel des hommes. Le corps des femmes, réduites à un rôle de procréatrices, est un tabou. Et l’on sait à quelles déviances pathologiques mènent les tabous : la burka afghane n’en représente-t-elle pas, souligne Tamzali, "la forme la plus théâtralisée" 6?
Elle critique, par ailleurs, la mauvaise foi des islamistes européens : " La liberté au nom de laquelle ils exigent d’être acceptés sans modifier leurs comportements […], au nom de laquelle ils obtiennent le passe-droit exorbitant de vivre selon une morale et une ségrégation sexuelle contraire aux principes de l’égalité des hommes et des femmes, ils ne [l’] accordent jamais à ceux de leur communauté. Pas plus en Egypte, en Algérie, que dans certains microcosmes en France" 7.


La révolution laïciste, épreuve qu’ont traversée les religions européennes, l’islam ne l’a pas connue. Sans prise de position claire condamnant la violence islamique, le fanatisme religieux, les fatwas lancées contre les intellectuels arabes, l’islam dit modéré en Europe, et les Etats arabes ne convaincront pas. L’Islam modéré n’est pas l’islam moderne pour lequel Wassyla Tamzali plaide, débarrassé "des règles incompatibles avec notre conscience moderne comme la lapidation, la polygamie, les mains coupées, l’inégalité dans l’héritage, la ségrégation sexuelle" 8.
Aux Européens démissionnaires, enfin, Tamzali rappelle que c’est la démocratie qui protège la diversité culturelle, que l’égalité des sexes n’a pas un sens différent selon les cultures et qu’accorder les pleins pouvoirs aux hommes sur les femmes constitue l’alternative sordide à l'accession aux droits démocratiques pour tous les citoyens.

Dans le contexte de débat sur une éventuelle loi interdisant le port du voile intégral et de débat sur l’identité nationale, il est impératif de lire Tamzali, plus Européenne que nous, Européens frileux, pour ne pas se tromper de sujet. La loi à laquelle a abouti l’affaire du foulard en 2003 n’a pas servi la cause des femmes, parce que les arguments entendus sont loin du véritable enjeu, à savoir : l’égalité des sexes. Ces erreurs sont en passe de refaire surface, il suffit d’entendre les principes invoqués par Jean-François Copé qui se prononce contre le port du voile intégral "par respect envers les femmes" ou d’entendre Benoît Hamon, par qui le PS a dit son opposition à une "loi de circonstance", sans citer Eric Besson pour qui la "dignité"  des femmes est atteinte. Lire Wassyla Tamzali, c’est être plus universaliste. Elle rappelle qu’il n’est pas question d’exclure une religion d’un territoire laïc, mais de défendre par principe l’égalité des sexes contredite par une pratique ségrégative manifeste. La féministe ne renvoie donc personne chez soi, comme on a coutume de le faire quand il s’agit d’identité nationale, mais ouvre les portes du courage contre la peur de l’autre et invite à une réflexion réformatrice pour l’évolution de la pensée musulmane, pour un islam réformé qui répondrait par un sens humaniste et universaliste à certaines des injonctions coraniques. Il s’agit de la liberté de disposer de soi-même et de son corps. Wassyla Tamzali défend cette liberté, parce qu’elle est féministe, et parce qu’elle est juste aussi..
 



rédacteur : Sophie BURDET, Critique à nonfiction.fr

Notes :
1 - W. Tamzali, Une femme en colère. Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Gallimard, 2009, p.20
2 - Ibid., p.86
3 - Ibid., p.113
4 - Ibid., p.89
5 - Ibid., p.97
6 - Ibid., p.103
7 - Ibid., p.120
8 - Ibid., p.123
Titre du livre : Une femme en colère : Lettre d'Alger aux Européens désabusés
Auteur : Wassyla Tamzali
Éditeur : Gallimard
Collection : Hors série Connaissance
Date de publication : 13/11/09
N° ISBN : 2070127273