La Mostra de Venise célèbre la fin du capitalisme triomphant
[mardi 08 septembre 2009 - 16:00]

Le président vénézuélien Hugo Chavez, encore bête noire de l'administration Bush il y a moins d'un an, volait lundi la vedette aux stars américaines sur le tapis rouge du Lido. Débonnaire et blagueur au point d'emprunter un appareil photo devant les journalistes pour se faire lui-même sa photo souvenir, El Presidente venait  soutenir Oliver Stone qui présentait South of the Border, un documentaire engagé sur tous ces pays d'Amérique du Sud qui ont osé braver le dictat du FMI et la politique étrangère des Etats-Unis. Excédé par la présentation caricaturale qui est faite dans les médias étasuniens de Chavez (« pire que Ben Laden »), Stone a décidé d'aller s'entretenir avec ces dangereux « dictateurs », démocratiquement élus et souvent réélus au Vénézuela, en Bolivie, en Argentine mais aussi au Paraguay, en Équateur et bien sûr au Brésil. Puisque le président bolivien, Evo Morales, est considéré au nord du continent comme un « drogué » à cause de son habitude de mâcher des feuilles de coca, Oliver Stone s'amuse dans son film à faire l'expérience, déclenchant une franche rigolade dans la salle. Plus tard, c'est le président équatorien qui explique qu'il a souhaité mettre un terme à la présence de bases militaires des Etats-Unis sur son territoire, expliquant aux Gringos que s'ils voulaient avoir une base, ils devaient accepter de leur côté que les Équatoriens disposent d'une base à Miami. La salle de projection, bondée, finissait alors de s'enflammer lorsque Chavez évoquait avec Stone la possibilité d'une contagion du bolivarisme depuis l'Amérique latine vers les Etats-Unis.

Au restaurant des stars, Oliver Stone a pu rencontrer un autre personnage fort en gueule, Michael Moore, venu dans la lagune présenter son dernier opus, Capitalism: A Love Story, à vrai dire plutôt le récit d'un cauchemar bien réel pour des million d'Etasuniens. Là encore, l'accueil réservé par le public, largement italien et assez jeune, fut triomphal. Usant de toutes les ressources du cinéma, l'animation, le doublage, les ralentis et les montages, Moore s'attaque aux fondements du capitalisme libéral caractérisé par la recherche du profit à tout prix, le mépris des vies humaines et l'absence totale de justice sociale ou simplement de morale. Inlassablement, il explique comment de nombreuses grandes entreprises s'enrichissent avec les assurances-décès de leurs employés, comment les pilotes de certaines compagnies aériennes, payés seulement 16 à 20 mille dollars par an, sont contraints d'avoir un deuxième emploi – avec les conséquences que l'on imagine sur la sécurité aérienne –, ou  encore comment le juge d'une petite ville de la côte Est s'enrichit en plaçant les jeunes en détention pour la moindre broutille. Et puis ceux qui suivent Moore depuis la fin des années 80 pourront apprécier sa touche habituelle, lorsqu'il tente d'entrer à Wall Street pour récupérer l'argent du peuple indûment offert aux banquiers se gavant de bonus, quand il entoure les grandes banques d'une banderole en plastique « Scènce de crime – ne pas dépasser », ou encore lorsqu'il apostrophe des traders en espérant que l'un d'entre eux lui explique comment fonctionnent les produits dérivés.

Même si l'on devait s'en tenir à la sélection officielle proposée par Marco Müller, c'est avec un autre œil, après les films de Stone et Moore, que l'on peut considérer le thriller Brooklyn's finest (d'Antoine Fuqa, avec le fringant Richard Gere),  The Men Who Stare at Goats (de Grant Heslov, avec George Clooney, un habitué de la Mostra) ou The Informant (de Steven Soderbergh, avec Matt Damon). Le premier nous dresse le portrait de flics new-yorkais si mal payés et si peu considérés – l'un d'entre eux est sur le point de se faire expulser comme dans le film de Moore ! – qu'ils finissent par franchir la ligne et devenir des « bad guys ». Le deuxième film revient sur une unité spéciale de l'armée des Etats-Unis usant de techniques psychologiques pour faire craquer les présumés terroristes et enfin, The Informant se base sur des faits réels pour rappeler la nécessité qu'il y a à autoriser les lanceurs d'alerte ('whistle blowers') qui découvrent des malversations importantes dans leurs entreprises.

A mi-parcours, la Mostra qui prendra fin samedi soir (12 septembre) a déjà réussi à tenir son double pari : s'affirmer avant que ne débute le festival de Toronto (le 10) comme l'un des trois festivals internationaux majeurs (derrière Cannes et avec Berlin) et, sur le plan national, résister au festival de Rome inauguré il y a quatre ans par le gouvernement de Berlusconi. En effet, on a rarement parlé autant de politique dans les coursives du Palazzo del Casinò. Dès le film d'ouverture, Baarìa (de Giuseppe Tornatore qu'on avait presque oublié depuis Cinéma Paradisio), c'est Benito - euh, non, Silvio! - Berlusconi qui s'était permis d'intervenir en faisant l'éloge de ce film pour le passage qu'il contient sur les désillusions du communisme... sans mentionner que la société qui a produit le film, 'Medusa Film', était comme par hasard une des entreprises qu'il contrôle.

Lors de sa conférence de presse, Michael Moore s'est amusé de l'omniprésence de M. Berlusconi en lui demandant de sortir des coulisses, ce qui fut du meilleur effet comique pour les représentants des médias du monde entier. Manifestement, l'espace de liberté que constitue le festival de Venise doit faire grincer quelques dents à Rome. La sénatrice Alessandra Mussolini, qui assume tout à fait la tradition inaugurée par son grand-père le Duce, était citée dans un très beau film roumain, Francesca (de Bobby Paŭnescu, présenté en ouverture de la section Orizzonti) pour avoir déclaré que « les Roumains portent le viol dans leurs gènes ». Bien qu'il soit tourné entièrement en Roumanie, le film traite en effet d'un autre méfait du capitalisme, l'état de quasi-esclavage dont sont victimes de nombreux migrants, ici les Roumains en Italie. La réaction fut imédiate le lendemain de la première : Mme Mussolini a engagé une procédure en justice pour interdire le film en Italie !

De nombreux autres films sont consacrés à l'immigration. Deux films abordent l'histoire de la présence des Africains en Italie : le documentaire Il colore delle parole, de Marco Simon Puccioni et la très belle fiction de Claudio Noce, Good Morning Aman (pour l'instant le coup de cœur du public à la Semaine de la critique).  Dans Lištičky (Les petits loups) Mira Fornay raconte quant à elle les déboires de deux sœurs slovaques émigrées en Irlande. L'Europe est cette année très présente, avec encore deux films suédois parmi les neuf films de la Semaine de la critique, dont Metropia, fiction animée qui dénonce le pouvoir des médias dans une Europe réduite à l'interconnexion de ses métros.

Ainsi, même si les États-Unis sont largement représentés (six films en compétition dans la sélection officielle), ce sont avant tout des alternatives au capitalisme étasunien qui sont proposées. A l'image du futur palais qui devrait être inauguré pour l'édition 2012 de la Mostra, on vit ici sur un véritable chantier... de réflexions mêlant cinéma et politique .


 



rédacteur : Jérôme SEGAL, Critique à nonfiction.fr
Illustration : Jérôme Segal ©