Traité sur l'intolérance
[jeudi 22 janvier 2009 - 10:00]
Politique
Couverture ouvrage
Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous
Éditeur : Grasset
300 pages
Philippe Val, en élargissant l’affaire des caricatures à la question de la liberté d’expression donne sa vision parfois extrémiste de la société

"Au secours Voltaire, ils sont devenus fous !", titrait France Soir, alors encore grand quotidien, quand éclata la polémique des caricatures de Mahomet en 2005. Reprenant l’appel au philosophe, le directeur de Charlie Hebdo Philippe Val retrace dans Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous l’affaire des caricatures publiées par son journal. Mêlant narration, confessions et règlements de comptes, il revient également sur la liberté d’expression en France et sur celle de l’ex-caricaturiste de Charlie Siné, parti l’été dernier du journal après une altercation avec lui. Dénonciations et craintes se succèdent, suscitant tour à tour l’adhésion et la contestation du lecteur.

Commençant par se justifier, Philippe Val évoque son lien avec la religion. Il poursuit ainsi son Traité de savoir-survivre par temps obscurs, dans lequel il racontait ses premières réflexions théologiques et athées. Passée cette introduction un peu longue, le directeur de journal apporte un éclairage intéressant sur le rôle et les responsabilités de sa fonction. Il fait entrer le lecteur dans la rédaction, en explique la répartition.

La partie la plus éclairante du livre est celle consacrée à l’affaire des caricatures de Mahomet, affaire croustillante, avec son lot d’implications de politiques, de pressions et de rebondissements. La lecture prend parfois la tournure agréable d’une comédie judiciaire, rendue vivante par ses personnages et ses bons mots. Elle apporte une contextualisation nécessaire en rappelant les intérêts des grands propriétaires de médias soucieux de leurs marchés dans les pays arabes, la tentative de récupération de Nicolas Sarkozy, les discussions entre Philippe Val et Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris et auteur de la plainte contre Charlie Hebdo. Une narration qui complète le film de Daniel Leconte, C’est dur d’être aimé par des cons, sorti en septembre 2008, même si elle omet une grande partie du déroulement du procès – notamment les prestations à la fois drôles et brillantes des avocats de Charlie, présentes dans le film. Le livre va en revanche plus loin que le film en montrant comment l’affaire des caricatures reflète la situation globale de la presse. Philippe Val dénonce les abus de certains patrons de presse davantage préoccupés par leurs intérêts marchands dans les pays arabes que par la qualité du journal qu’ils possèdent.
Exposant ses points de vue tranchés sur le colonialisme, la guerre en Irak, la "politique arabe" du gouvernement français et même le nazisme, Philippe Val défend ardemment sa vision du monde. Au travers d’exemples, il cherche à inverser une censure qui va souvent dans un seul sens. Ainsi il s’insurge contre ceux qui prônent la réserve pour ne pas choquer les musulmans peu préparés culturellement à ce genre d’humour en répondant que les chaînes de télévision arabes diffusent des feuilletons basés sur les thèses du Protocole des Sages de Sion et que l’Occident lui non plus n’est pas préparé à cela.



Tel un soldat de la liberté d’expression, le directeur de Charlie s’avance sur les terrains les plus minés : religion, politique, question des "races". Il met en garde contre un renouveau du nationalisme, le repli du féminisme... Allant jusqu’à mener, sous l’étendard de sa propre liberté d’expression, des actions quelque peu extrémistes. "L’antisionisme est bel et bien le faux nez de l’antisémitisme", prétend-il ainsi, accusant ailleurs les extrêmes droite et gauche de partager "une certaine idée de la France" et la gauche de se servir (entre autres) du conflit Israël/Palestine. Il revient également longuement sur l’antisémitisme en France et sur le racisme, qu’il juge latent. L’actuelle offensive israélienne à Gaza ne le contredit pas, puisque plusieurs sites ont dû fermer l’accès aux commentaires, sur lesquels se déversaient des flots d’insultes racistes et antisémites.

Les propos de Philippe Val, loin de chercher à faire l’unanimité, poussent à la controverse. Défendant, certes, l’indépendance éditoriale des journaux, le directeur de Charlie Hebdo attaque cependant violemment certains de ses confrères, en particulier les nouveaux médias d’information comme Rue 89 ou Médiapart. Surtout, il accuse Bakchich, qui a d’ailleurs porté plainte contre lui pour diffamation, d’utiliser les méthodes de travail de l’ancien journal fasciste Je suis partout. Sur la liste des règlements de comptes, Philippe Val ajoute enfin le nom de Siné. Il apporte sa version des faits, peu entendue dans les médias, avant de remercier les soutiens et de dénoncer les autres, sans grand intérêt pour le lecteur.

Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous pousse à la discussion, au sens ancien de contestation. Un texte à ne pas prendre comme un dogme, mais comme ce qu’il prétend être : un point de vue, une série d’arguments lancés dans le débat. Car comme le rappelle Philippe Val, "la liberté n’est jamais un acquis. Elle est un exercice et une pratique".



rédacteur : Pascaline VALLEE, critique à nonfiction.fr
Illustration : ceedot / flickr.com
Titre du livre : Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous
Auteur : Philippe Val
Éditeur : Grasset
Date de publication : 29/10/08
N° ISBN : 224672211X