L’Italie ou le fardeau du passé
[mardi 18 novembre 2008 - 10:00]

Une plongée dans le brouillard transalpin. C’est ce que propose la revue d’histoire Vingtième siècle en consacrant son centième numéro (octobre-décembre 2008) à l’Italie contemporaine. Une excellente initiative puisque la bibliographie en langue française sur le sujet reste relativement peu importante. Sous la direction de Marc Lazar, près d’une vingtaine d’historiens, français et italiens, de générations et sensibilités différentes, discutent de ce "passé qui ne passe pas" dans la péninsule. Un passé qui rend la situation politique actuelle chaotique. Tous les domaines et les périodes clés sont ici abordés, du fascisme à l’Église catholique, du miracle économique des années 50-60 au berlusconisme. L’ensemble forme une analyse remarquable et passionnante.

 

Instrumentalisation de l’histoire

La lecture de Vingtième siècle amène souvent à désespérer de la situation italienne bien qu’il y ait parfois des occasions de se réjouir. Dans un pays où histoire et politique semblent à jamais imbriquées, les différents articles qui composent le dossier "Italie : la présence du pass" sont le signe que l’historiographie italienne a retrouvé des couleurs. Un constat qui s’applique à l’étude du fascisme. Comme l’explique Emilio Gentile, longtemps cette période noire aura été banalisée, parfois considérée comme une parenthèse insignifiante sur le plan historique, rendant l’étude de son héritage inutile. La faute en revient à des générations qui refusaient de décortiquer objectivement une ère qu’elles avaient vécue, cautionnée ou combattue. Le fait de considérer le totalitarisme comme une réalité du régime de Mussolini était même considéré alors comme une réhabilitation de cette période. Malgré des exceptions comme Renzo De Felice, ce n’est qu’avec l’apparition de la crise d’identité nationale, à la fin des années 90, qu’un nouveau regard a pu être possible. Un nouveau regard toujours d’actualité, à l’image, ici, des réflexions pertinentes de Gentile et Pierre Milza sur la question totalitaire.

 D’une manière générale, pendant plusieurs décennies, c’est toute l’histoire récente de l’Italie qui a été instrumentalisée par les deux partis alors prédominants : à droite, la Démocratie chrétienne, à gauche le Parti communiste. Jamais sans doute un pays occidental n’a été à ce point imprégné par ce dualisme idéologique. Les effets, néfastes, s’en sont ressentis. Ernesto Galla della Loggia montre clairement comment, du fait de cet affrontement, l’antifascisme, socle fondamental de la Constitution italienne, est devenu, dès les années 50, un élément passant au second plan. La Démocratie chrétienne n’a pas hésité à le mettre en sourdine pour conserver un électorat qui éprouvait une certaine nostalgie du fascisme. De son côté, le Parti communiste est allé jusqu’à exploiter l’antifascisme et la Résistance – dans lesquels ses troupes ont eu un rôle important – pour combattre ses adversaires : tous les anticommunistes se sont ainsi retrouvés étiquetés comme des fascistes.

 

Y-a-t-il une nation italienne ?

Comme l’indique Piero Cravieri, au fil des  années, "l’idée de nation se flétrissait"1. Difficile dès lors de (re)bâtir une histoire commune. La question de l’existence ou non d’une nation italienne est au final le point central de l’ouvrage, présent explicitement ou non dans chaque article. Guido Crainz parle pour sa part aujourd’hui d’une "perte du sens commun"2. De fait, depuis 1945, jamais l’Italie n’a semblé unie. La fin du miracle économique, qui rassemblait en partie le pays, fut un choc d’autant plus rude pour la péninsule. Mêmes conséquences, près de 30 ans plus tard, lors de l’extinction du monde bipolaire. Les années 90, avec l’avènement de l’homme d’affaires Silvio Berlusconi, marquent en effet la victoire de l’antipolitique et la criante impossibilité pour l’État de répondre aux attentes de la population.

L’Italie est aujourd’hui plus que jamais un pays fracturé, comme le montre l’importance prise par un parti antinational – La Ligue du Nord – sur l’échiquier politique actuel. Marco Oberti a beau jeu de dire que "l’idée de société régionales et de régionalisme l’emporte sur celle de société nationale"3. Et si le sentiment que rien ne va est exagéré (pensons à l’existence d’un large tissu associatif ou à la vitalité du monde culturel italien), il reste bien difficile, à la lecture de ce numéro de Vingtième siècle, d’imaginer comment l’Italie peut aujourd’hui sortir de ce marasme identitaire et politique.

 

* Vingtième siècle. Revue d'histoire, "Italie : la présence du passé", Presses de Sciences Po, n°100, octobre-décembre 2008, 20€



rédacteur : Antoine AUBERT, Critique à nonfiction.fr
Illustration : Vingtième siècle / Presses de Sciences Po

Notes :
1 - p. 94
2 - p.113
3 - p. 116