Joseph Stiglitz : les fruits de la perversion financière
[mardi 16 septembre 2008 - 18:00]

Analysant les raisons de la crise financière mondiale et réagissant à l’annonce de la faillite de la banque Lehman Brothers, Joseph E. Stiglitz, professeur à la Columbia University et Prix Nobel d’économie en 2001, publie un article plein d’amertume dans The Guardian, intitulé "The fruit of hypocrisy".


L’hypocrisie générale et insidieuse sur laquelle repose le système de la finance mondiale est tenue par l'auteur pour la source première de nos maux actuels. Malhonnêteté de la part des institutions financières et incompétence de la part des politiques, tels sont les fruits de la crise, provoquant la colère de l'ancien conseiller de Bill Clinton.


Joseph Stiglitz semble ne pas trouver de mots assez âcres pour décrire un système dont il met à jour sans concession les fondements qui nous apparaissent tant nauséabonds qu’absurdes. La globalisation de la finance débouche d'après lui sur une dérégulation maximale des flux de capitaux tout en déresponsabilisant les acteurs fianciers privés qui se reposent, en cas d'erreur d'évaluation des risques, sur l’État et in fine le contribuable. La masse critique des institutions financières leurs permet, en cas de menace de faillite, d’obliger les pouvoirs publics d’intervenir, au risque de voir le système sombrer dans sa globalité. L’argument du risque systémique se comprend comme le mécanisme de report sur l’État de la responsabilité d’acteurs financiers privés qui tirent pourtant leurs profits colossaux d’un système qu'ils veulent dérégulé et censé fonctionner sur la loi du marché, donc sur la sanction des choix économiques erronés.


Mais au-delà du constat de l’effondrement de la confiance, sur laquelle reposait la finance mondiale, la capacité des pouvoirs publics de reprendre en main la crise est sérieusement mise en doute par l’économiste. En effet, comment placer sa confiance dans une administration associée à la gestion calamiteuse de l’ouragan Katrina et à l’enlisement de la première armée du monde armée en Irak ?


Joseph Stiglitz conclut, amer, sur la perversion d’un système dont les individus les plus qualifiés s’attèlent à contourner, avec succès, les normes dédiées à la sécurisation du système bancaire. Les propos acerbes du premier représentant du "nouveau keynésianisme" sont sans appel .

 

*Joseph Stiglitz, "The fruit of hypocrisy", The Guardian, 16.09.2008

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- la critique du livre de Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Philippe Trainar (dir.), Private equity et capitalisme français (La Documentation française), par Luc Goupil.

Un rapport qui veut corriger l’image publique déplorable du private equity par la pédagogie de ses effets bénéfiques. Ce faisant, il assigne au loup la mission de sauver la bergerie.

 

- la critique du livre de Solveig Godeluck et Philippe Escande, Les pirates du capitalisme (Albin Michel), par Luc Goupil.

Une plongée dans le monde impitoyable du private equity dont rien n'est omis, sauf peut-être quelques explications.

 

- la critique du livre d'Augustin Landier et David Thesmar, Le grand méchant marché (Flammarion), par Patrick Cotelette.

un livre intéressant à maints égards mais péchant parfois par son caractère de prêche dans le désert.

 

- la critique du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Globalisation, le pire est à venir (La découverte), par Aquilino Morelle.

Patrick Artus et Marie-Laure Virard s'inquiètent des avatars de la globalisation dans un ouvrage salutaire.

 

- la critique du livre de Jacques Sapir, Le nouveau XXIe siècle. Du "siècle américain" au retour des nations (Seuil), par Nicolas Véron.

Une défense de la posture souverainiste qui montre les limites d'une telle position et pèche par des distorsions et l'omission de réalités tenaces.



rédacteur : Nicolas LERON, Président de Nonfiction
Illustration : Mister V/Flicker.com