Vers une Révolution écologique ?
[mercredi 11 juin 2008 - 11:00]
Environnement
Couverture ouvrage
Le plan B. Pour un pacte écologique mondial
Éditeur : Calmann-Lévy
400 pages
Un livre se distinguant par la force et la lucidité de son analyse statistique et la volonté de proposer les solutions les plus viables à la crise environnementale.

"Il ne fait aucun doute que nous entrons dans un nouveau monde. La seule question est de savoir s’il s’agira d’un monde de déclin et d’effondrement ou de restauration de l’environnement et de progrès écologique." Dans le foisonnement de publications qui nous alertent sur l’ampleur de la crise environnementale actuelle, l’ouvrage de Lester Brown se distingue des autres par la force et la lucidité de son analyse statistique et la volonté de proposer les solutions les plus viables en ciblant les priorités d’action. Sans idéologie, mais avec conviction et engagement, Lester Brown dresse un bilan comptable édifiant et argumenté de la façon dont notre économie vit à crédit sur les écosystèmes qui le supportent. Un modèle de civilisation qui pourrait amener rapidement à son propre effondrement, si nous ne nous avérions pas capables de mettre en place très rapidement une "Révolution écologique" dont nous ne pouvons plus nous permettre de faire l’économie.

Le constat de Lester Brown, sur la base de ses travaux avec les chercheurs du World Watch Institute (Washington) et de l’Earth Policy Institute est simple mais sans concession. Le monde est actuellement dans une trajectoire "d’effondrement", pour reprendre les termes de Jared Diamond, car notre économie globalisée dépasse la capacité de la planète à la soutenir et épuise ses ressources bien plus vite qu’elles ne peuvent se renouveler. L’écart croissant entre ressources et utilisation ne pourra que s’aggraver dans un scénario au fil de l’eau, dans lequel le maintien du niveau de vie occidental se cumule avec l’élévation de celui des pays en voie de développement et la croissance démographique. Pour la première fois, le scénario de déclin d’une civilisation lié à l’épuisement des ressources pourrait se produire à une échelle globale. Lester Brown identifie cinq défis majeurs qui mettent notre civilisation en danger.


Une civilisation en danger

Le déclin de la production pétrolière mondiale est décortiqué par Brown selon les différents modèles de prévision, pour conclure que même l’utilisation de ressources rendues attractives par la hausse des cours, comme les sables et schismes bitumeux, ne pourra au mieux que ralentir la tendance. Les pays importateurs, qui ont vu leur pouvoir d’achat et leur marge de manœuvre se réduire vis-à-vis des pays exportateurs, feraient donc mieux de réduire leur dépendance au pétrole plutôt que de sécuriser leurs approvisionnements. Les villes et tous les secteurs de la vie économique vont devoir s’adapter et apprendre à utiliser le pétrole plus efficacement, tout en développant des ressources alternatives (Brown exclut le nucléaire pour des raisons de coût prohibitif). On remarque dans ce chapitre la clairvoyance de Brown qui anticipe, bien avant leur médiatisation, les frictions internationales suscitées par l’ouverture du marché des biocarburants, à travers les tensions que leur production implique vis-à-vis des écosystèmes et de l’alimentation des plus pauvres.

Deuxième menace : l’aggravation du déficit mondial en eau douce résulte du triplement de la demande au cours du dernier demi-siècle et d’un détournement croissant de l’eau au profit des villes, qui génèrent une compétition locale croissante entre les usages (irrigation 70% - industrie 20% - besoins domestiques 10%).  La surexploitation contribue à la baisse ou à l’épuisement des nappes phréatiques, à l’assèchement des lacs et des rivières, et peut amener à réduire le niveau des récoltes agricoles, comme c’est déjà le cas en Chine (moins trente-quatre millions de tonnes entre 1998 et 2005). On remarque que, sur ce sujet comme sur les autres, Lester Brown l’agronome met en exergue les conséquences de la dégradation écologique sur la production agricole, plaçant résolument l’environnement dans une optique de développement. Face au manque d’eau, la pénurie alimentaire qui peut en résulter ne peut se résoudre localement que par une importation indirecte d’eau via les denrées céréalières, comme c’est déjà le cas au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Le troisième constat de Brown sur le changement climatique est désormais plus familier du grand public : celui-ci risque de rendre notre monde très différent de ce que nous connaissons actuellement. Plus originale est sa diatribe contre le " subventionnement du changement climatique", qu’il évalue à plus de deux cent dix milliards de dollars par an à travers  les subventions directes ou indirectes versées aux industries de carburants fossiles : un réservoir qui devrait être réorienté pour soutenir les énergies renouvelables sans impact sur le climat.

Les systèmes naturels, sous la contrainte de l’exploitation humaine, sont eux aussi placés dans une situation d’épuisement qui aboutit à une perte des sols, à la déforestation dans les pays en voie de développement, à la détérioration des prairies, à l’avancée des déserts, à l’effondrement des pêcheries et à la réduction massive de la biodiversité. Pour lutter contre tous ces phénomènes, en particulier la désertification, Brown insiste sur un message peu entendu par le grand public, qui est celui de la nécessité de stabiliser la population humaine pour préserver les milieux indispensables à sa survie.

Pour Lester Brown, ces facteurs de crise engendrent des "signes précurseurs du déclin" qu’il faut savoir prendre en compte : l’écart croissant entre les plus riches et les plus pauvres se traduit par de forts contrastes au niveau de la nutrition, de l’éducation, de la structure des pathologies, de la taille des familles et de l’espérance de vie. Les villes saturent de l’accumulation de déchets issus de la civilisation du "tout jetable". La compétition pour la terre et l’eau s’intensifie et alimente les tensions et flots de réfugiés environnementaux. Au final, ce sont les institutions politiques qui sont fragilisées, amenant à une multiplication des États défaillants et à une insécurité croissante. Face à la menace du terrorisme, le défi n’est pas d’élaborer une réponse militaire mais de "construire une société globale écologiquement durable et équitable qui rende l’espoir à chacun." Moins coûteux qu’un budget militaire et sans doute plus efficace.


Cibler les priorités : mesures et coûts du "Plan B"

Pour répondre à ces défis, Lester Brown préconise un certains nombre de solutions prioritaires et fournit des estimations de l’ordre de grandeur financier requis.

Dans le domaine social tout d’abord, Brown insiste sur l’objectif d’éradication de la pauvreté qu’il double de celui de stabilisation de la population mondiale. Pas de programme malthusien de contrôle des naissances : l’accès universel à l’éducation, en particulier pour les  femmes, le développement de l’information des familles et du planning familial, l’investissement dans un meilleur système de santé pour tous, sont les principaux axes de ce programme pour un coût total estimé à soixante-huit milliards de dollars. Des efforts qui ne porteront leurs fruits que si les pays développés suppriment leurs subventions agricoles et réduisent encore davantage la dette des pays les plus pauvres.

La deuxième priorité fixée par Brown, plus originale vis-à-vis des grands programmes internationaux déjà existants, consiste à mettre en place un grand programme de "remise en état de la planète". Un investissement estimé à quatre-vingt treize milliards de dollars par an permettrait de protéger et restaurer la forêt, protéger les sols en limitant le surpâturage, satisfaire les besoins en eau des écosystèmes, régénérer les pêcheries efficacement grâce à la création de réserves marines et contribuer à sauvegarder la biodiversité. Un impératif dont l’économie pourrait s’avérer à moyen terme catastrophique. 

Pour subvenir aux besoins alimentaires d’une population de sept milliards de personnes et stabiliser le climat, Brown propose ensuite un certain nombre de solutions techniques originales qui doivent permettre de repenser le système actuel. Les besoins alimentaires pourraient ainsi être satisfaits avec plus d’efficacité si l’on augmentait la productivité de la terre et de l’eau, ou encore en favorisant une production plus efficace de protéines pour répondre à la consommation croissante de viande, grâce à des solutions comme l’aquaculture. Brown rattache l’évolution de l’agriculture à celle des autres secteurs, en particulier celui de l’énergie. En matière de climat, il milite pour des solutions très spécifiques : outre les efforts prioritaires à consacrer aux économies d’énergie et au développement des énergies renouvelables en général, il faudrait développer en priorité l’énergie éolienne, dont la principale qualité est l’ubiquité et le coût de plus en plus compétitif. Le développement de véhicules hybrides alimentés par de l’énergie éolienne permettrait de réduire de manière significative la consommation totale d’essence utilisée pour les transports. Une option plus efficace et moins dangereuse que les biocarburants pour Brown. À terme, c’est la relocalisation de l’énergie en fonction des ressources locales qui est en jeu.

Construire des cités pérennes qui ne soit dangereuses ni pour l’homme ni pour son environnement nécessite enfin de repenser l’écologie des villes. L’urbanisme doit s’orienter en priorité vers le bien-être des habitants (et non la place de leur voiture...) grâce à des systèmes de transports publics non-polluants et efficaces. Le développement de l’agriculture en ville, de solutions d’économie d’eau comme le recyclage des eaux usées permettent de réduire l’impact environnemental et d’améliorer les conditions de vie des habitants des grandes villes des pays en développement, en ciblant en priorité les bidonvilles.


Vers la révolution environnementale

Tout au long de cette analyse, on peut s’étonner du peu de place accordé à des problématiques qualitatives de dégradation ou de transformation de l’environnement : la pollution chimique n’est abordée que brièvement dans le chapitre consacré à la santé, les OGM sont à peine mentionnés une fois dans le cadre d’une solution de reboisement… La démonstration de Lester Brown n’en demeure pas moins exhaustive et efficace, grâce à un décorticage appliqué du déséquilibre entre les flux de ressources disponibles et les flux de demande. Si certaines données mériteraient d’être actualisées, les tendances générales décrites semblent chaque jour se vérifier davantage. La "géopolitique de la pénurie", caractérisée entre autres par la hausse du prix du pétrole et la concurrence pour l’accès aux matières premières alimentaires, s’inscrit presque chaque jour à la Une de nos quotidiens.

Face à l’impasse écologique mondiale, les batailles gagnées localement depuis quelques années ne suffisent pas à enrayer la tendance au niveau global. Comme le note Brown, nous transgressons des frontières et des échéances naturelles qui, définies par notre environnement naturel, ne sont pas politiquement négociables. Le politique a pourtant tout son rôle à jouer pour mettre en place les conditions du changement. L’application d’une logique éco-économique passe ainsi en priorité par l’instauration de conditions de marché "honnêtes" qui disent la vérité écologique grâce au redéploiement de la fiscalité et des subventions, et par la restructuration des flux de matière pour en finir avec l’économie du jetable. L’implication indispensable des acteurs industriels, des ONG et des individus, démontre que la compréhension du sujet est là. Lester Brown nous rappelle que cela pourrait ne pas suffire : il reste à savoir si la transition vers des logiques de développement soutenable pourra se faire rapidement, sur "quelques décennies tout au plus", pour répondre à l’urgence planétaire. Cette Révolution écologique pourrait constituer "la plus grande opportunité d’investissement dans l’histoire", mais pour inverser la trajectoire de déclin économique engendrée par l’ère industrielle, tout dépendra, in fine, de notre capacité à réagir suffisamment tôt,  suffisamment fort, suffisamment vite.


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Le patriarche de l'éthique environnementale anglo-américaine livre une réflexion stimulante sur les enjeux et les attentes d'un champ de recherche en plein développement.

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- La critique de deux ouvrages de Dale Jamieson, Morality's Progress (Oxford University Press) et Ethics and the Environment. An Introduction (Cambridge University Press), ainsi que d'un ouvrage collectif qu'il a dirigé, A Companion to Environmental Philosophy (Wiley-Blackwell), par Catherine Larrère.
Trois ouvrages qui nous convaincront que la globalisation de la crise environnementale ne condamne pas pour autant la réflexion développée par les éthiques environnementales.

- La critique de l'ouvrage de Robert P. Weller, Discovering Nature. Globalization and Environmental Culture in China and Taïwan (Cambridge University Press), par Frédéric Keck.
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- La critique du l'ouvrage de Bryan G. Norton, Sustainability. A philosophy of Adaptive Ecosystem Management (University of Chicago Press), par Hicham-Stéphane Afeissa.



rédacteur : Laurene CHENEVAT, Critique à nonfiction.fr
Illustration : Alain Bachellier / Flickr.com
Titre du livre : Le plan B. Pour un pacte écologique mondial
Auteur : Lester R. Brown
Éditeur : Calmann-Lévy
Date de publication : 28/06/12