Dans un récit très circonstancié de la guerre civile espagnole, Paul Preston décrit un conflit d’une rare violence et ses liens indissociables avec la géopolitique européenne de l’époque.

La guerre civile espagnole est la version dessinée de la somme universitaire intitulée The Spanish Holocaust écrite par l’historien britannique Paul Preston en 2012, et traduite en français en 2016. Spécialiste de l’histoire contemporaine espagnole, éminent professeur à la London School of Economics, il trouve par le biais du dessin une forme susceptible de faire connaître ses recherches à un public plus large. Avec l’illustrateur José Pablo Garcia, ils expliquent longuement et dans le détail la guerre d’Espagne.

Dans les premiers chapitres, les auteurs reviennent sur les racines de la guerre civile depuis le XIXe siècle : pauvreté d’une population encore largement rurale et sous la coupe des grands propriétaires terriens, tensions sociales et politiques fortes devant les inégalités et l’absence de libéralisation, sans compter une violence politique omniprésente. Vient alors la République, dirigée par le Front populaire à partir de 1936. Là démarre la guerre civile proprement dite, entre la République et ceux qui souhaitent sa destruction : monarchistes, une partie des militaires ou encore organisations fascisantes. Jusqu’en 1939 et la Retirada républicaine, ont lieu les combats, avant l’enchaînement d’une répression de grande ampleur des oppositions dans les années 1940. Les chapitres sont découpés de telle manière qu’ils permettent de suivre à la fois le conflit, ses enjeux et l’évolution de chaque camp : celui des républicains, celui des « rebelles ». Et les auteurs n’oublient pas d’inscrire ce conflit dans la géopolitique européenne des années 1930. Une somme en BD, impossible à résumer, où les acteurs et les événements foisonnent.

 

Une guerre d’une grande barbarie.

Au fil de la lecture, une évidence se dégage : la violence a été omniprésente durant le conflit. Une lapalissade ? Non, car Paul Preston décrit l’intensité et l’importance des atrocités commises et démontre ainsi la particulière barbarie de la guerre civile espagnole. Plusieurs éléments permettent de comprendre l’ampleur du drame humain.  Lorsque Franco s’engage dans la rébellion contre la République, il utilise notamment des troupes ayant fait leurs armes au Maroc dans les guerres coloniales. Particulièrement cruelles, elles importent en Europe des méthodes d’une brutalité extrême. Mais déjà les tensions politiques ont dégénéré en agressions physiques. Cette violence est pratiquée notamment par les groupes extrémistes comme la Phalange. Les civils sont pris pour cibles : torture, viols, massacres de masse, etc. Le tout justifié par le souci de préserver une Espagne « éternelle », catholique, avec le blanc-seing des autorités religieuses.

Si la nomenclature des régimes politiques distingue l’Espagne des régimes fascistes européens en considérant le franquisme comme une réaction et non une tentative révolutionnaire, constatons toutefois que les accointances sont nombreuses. La brutalité au premier chef. Pour Paul Preston, il n’y a pas d’équivalence à établir entre les assassinats perpétrés par les républicains et ceux commis par les « rebelles ». D’un côté, les errements injustifiables de la troupe, de l’autre une politique assumée par les autorités politiques et militaires, Franco en tête, d’extirper le Mal (communisme, anarchisme, républicanisme) en l’éradiquant.

À ceux qui pourraient mettre cette violence sous le compte d’une guerre, impitoyable, les auteurs prolongent leur récit à la période de l’après-guerre, dans un dernier chapitre intitulé : « la paix de Franco ». Cette antiphrase souligne en creux la brutalité du régime qui s’installe : emprisonnements massifs, assassinats collectifs, justice expéditive, travaux forcés. Vindicte qui se poursuit au-delà des frontières espagnoles : Franco encouragea les nazis à déporter massivement les républicains exilés en France durant l’Occupation. Et là nous revient le titre français du livre dont est tirée la BD : « une guerre d’extermination ». Sans aucunement trancher ici une question historiographique importante autour de cette expression, notons néanmoins que, dans le cas de la guerre civile espagnole, elle souligne une barbarie franquiste qui n’est pas simplement la résultante d’un conflit, mais une volonté pensée et assumée de réduire l’ennemi à néant.

 

Un travail de mémoire inachevé.

En terminant leur ouvrage, les deux auteurs décrivent les problèmes que suscite cette guerre dans la mémoire des Espagnols aujourd’hui. Sans réellement l’expliquer, ils constatent les difficultés de la péninsule ibérique à faire émerger une mémoire plus apaisée, nourrie des recherches historiques. Au sein d’une partie de l’opinion publique et de la classe politique, l’aveuglement et/ou les liens idéologiques avec le franquisme la conduisent à nier la réalité des violences des « rebelles ». Difficile de ne pas s’étonner après le récit de Paul Preston que la réalité des crimes du franquisme ne soit pas davantage l’objet d’un consensus au sein d’une société espagnole ouverte et démocratique. Des milliers de familles pleurent encore des disparus, si bien que le travail de mémoire reste encore partiel.