Les utopies sociales ont fait l'année dernière leur retour en force : de nombreux ouvrages s'intéressent à leur potentiel de transformation. C'est le cas du roman du juriste E. Dockès.

Avec son Voyage en misarchie, le juriste Emmanuel Dockès adopte la forme du roman, plutôt que de l’essai de philosophie politique, pour nous présenter les utopies auxquelles il croit ou qu’il nous expose pour nous faire réfléchir. Le style en est très didactique. Son personnage débarque, contraint et forcé, en Arcanie, où il découvre les institutions du pays, qui sont censées réduire au maximum la domination, en se les faisant expliquer et parfois en payant de sa personne.

L’association volontaire y tient une large place, ainsi que l’autogouvernement, encadrés simplement par quelques principes fondamentaux ou supplétifs. La monnaie fiduciaire y a été remplacée par la monnaie électronique, gérée par une banque unique – ce qui rend, soit dit au passage, toutes les transactions contrôlables par des fonctionnaires mandatés pour cela. Pour contourner le déterminisme social, à moins que ce ne soit pour enseigner la tolérance aux enfants, ceux-ci sont invités à se choisir des familles d’accueil successives. Les vêtements y sont conçus pour être réutilisables à l’infini. A côté de cela, des quartiers entiers sont régulièrement démolis et rebâtis. L’entrée dans le monde du travail s’opère tôt, mais la durée légale du travail n’y est que de seize heures, et les migrants y sont accueillis à bras ouverts. Enfin, spectres, encore actifs, du passé, on y croise un égaliseur-aplatisseur mais aussi des nostalgiques du capitalisme, porteurs de cravattes bleues, qui donnent tous leur avis sur ces institutions. Tout au long du livre, l’anecdote et le trait d’humour côtoient sans transition les réflexions les plus sérieuses.

Dans cet entretien, Emmanuel Dockès revient sur les éléments de philosophie politique qui s'expriment sous ces dehors amusants. Il s'emploie à décrire en détail les règles qu'il préconise – laissant au lecteur le soin de refaire le voyage et d'imaginer peut-être ce qu'il adviendrait d'un tel modèle quelques générations plus tard...

 

Nonfiction : Entre roman satirique et essai de politique fiction, votre livre, au-delà de propositions plus légères et amusantes, est aussi l’occasion pour vous de discuter de questions très sérieuses, comme l’affiliation des individus à différentes sortes de collectifs et la gestion de leurs appartenances multiples. Pourriez-vous nous en dire un mot ?

Emmanuel Dockès : Un individualisme bien compris impose de respecter les désirs et volontés des individus. Or si les humains ont un goût en commun, c’est bien le goût d’autrui. Respecter les choix des individus impose donc de respecter les collectifs et communautés qu’ils créent, mais il faut le faire prudemment. Hypostasier les nations, les religions ou les entreprises et les placer au-dessus des individus qui les composent est dangereux. C’est d’ailleurs sous les coups de cette pulsion que nos démocraties s’effondrent. 

Pour résister à cela, il est vain et liberticide de réduire les appartenances collectives. Il faut au contraire les multiplier. Une personne qui est membre d’une famille, d’une entreprise, d’un club sportif et d’une religion, ne sera totalement dominée par aucun de ces collectifs, tant que ceux-ci demeurent bien distincts les uns des autres. Et elle sera d’autant plus libre qu’elle refusera de hiérarchiser trop fortement ses différentes appartenances. Pour ces raisons, la misarchie favorise les appartenances multiples. Les organisations collectives y sont plus nombreuses, plus diverses, plus spécialisées aussi. Les changements d’appartenance sont encouragés et facilités. 

 

La dissociation de la gouvernance de ces différents collectifs y compris au niveau le plus élevé est peut-être la proposition la plus radicale du livre. Elle repose sur le fait que les principaux collectifs dépendant de ressources publiques puissent s’entendre entre eux, sans autorité qui tranche. Cela paraît compliqué. Que peut-on tirer de cette idée, pour reconstruire, puisque c’est le sous-titre que vous donnez à votre livre ?

La misarchie tente d’accroître la liberté et l’égalité, donc de réduire les pouvoirs (d’où le nom « mis-archie » qui n’aime pas le pouvoir). Mais il s’agit tout de même d’un système juridique. Les autorités n’ont pas disparu. Elles sont simplement plus encadrées, plus limitées. Pour ce faire, le vieux principe de la division des pouvoirs est mobilisé avec énergie, bien plus que dans nos démocraties jupitériennes. 

Cette division conduit à remettre en cause le concept d’Etat. L’Etat est une entité qui se prétend par définition souveraine, plénipotentiaire, englobante, unitaire. Diviser l’Etat, c’est le faire disparaître. 

Cette division est opérée par fonctions. L’organisation misarchiste n’a pas de Président de la République, de Premier ministre, de Gouvernement, de Parlement… Mais cela ne veut pas dire qu’elle n’a rien. Elle conserve notamment l’équivalent de nos ministères. Par exemple, le ministère de l’éducation et de la recherche est remplacé par un district global de l’éducation et de la recherche, chargé principalement de financer l’éducation et la recherche. Le ministère des finances est remplacé par un district qui remplit ses fonctions, pareil pour le ministère de l’intérieur, etc. Au niveau global, qui couvre toute la misarchie, il existe une douzaine de grands districts globaux. Chacun est organisé selon des principes démocratiques et même hyper-démocratiques, avec un parlement élu, un parlement tiré au sort, des systèmes de révocation, de référendum, etc. 

La coordination de ces différents districts qui remplacent l’Etat n’a rien d’insurmontable ni d’épouvantablement complexe. En réalité, un groupe d’acteurs en nombre limité peut se coordonner autrement que par la verticalité. Or ici, il ne s’agit que d’une douzaine d’acteurs… 

De nombreuses modalités de coordination sont envisageables. Dans le système proposé de grandes négociations quinquennales sont organisées entre les districts globaux sur le montant de l’impôt commun et sur la répartition de ce budget au sein des douze grandes fonctions représentées au niveau global. Cela suppose du temps de réunion, du temps de négociation, d’éventuels conflits portés sur la place publique, peut-être de nouvelles élections dans tel ou tel district. Mais on peut imaginer que ceux qui apparaîtraient responsables du blocage auraient tôt fait d’être remplacés. Au final, cette négociation quinquennale sera beaucoup plus transparente et démocratique que les obscurs arbitrages d’un président ou d’un premier ministre. D’autres instances d’arbitrage, plus légères et plus rapides sont naturellement nécessaires pour les plus petits différents. 

Pour plus de détails, au fil de ses pérégrinations, le personnage central du livre sera confronté à l’organisation misarchiste de la police, de la justice, de la monnaie, au fonctionnement et au financement des services publics, de la santé, de l’éducation… 

A ceux qui s’inquiètent de la disparition de notre Etat, si familier, il faut rappeler que la notion d’Etat est née au XVIe siècle avec pour objectif terrifiant de transposer en politique la toute-puissance du Dieu unique. Alors que les technologies du contrôle ont explosé, après un XXe siècle qui nous a démontré les dangers du totalitarisme, il est plus que temps de se débarrasser de cette vieille mythologie. 

 

L’autre moyen que vous imaginez pour limiter au maximum la domination est celui d’une propriété « fondante », qui serait toutefois d’application différente selon le type de biens. En quoi consiste-t-elle ?

L’héritage est pour l’essentiel aboli en misarchie. Il ne s’agit pas d’organiser une grande spoliation de toute la fortune au moment de la mort, mais plutôt de considérer que la propriété n’est pas un droit perpétuel. Personne ne peut avoir un droit sur les choses plus long que sa propre vie. En d’autres termes, les droits sont viagers. De ce fait, la valeur d’un droit de propriété varie selon l’espérance de vie de son titulaire. 

Par exemple, pour les appartements ou les maisons, cela conduit au calcul suivant. Pour simplifier, on pose que l’espérance de vie est de cent ans. A vingt ans, un propriétaire est supposé avoir une espérance de vie de 80 ans. Son droit de propriété aura comme valeur 80% de la valeur totale du bien. A 70 ans, l’espérance de vie n’est que de trente ans, et ce droit ne vaudra donc plus que 30 % de la valeur du bien... C’est un exemple de propriété « fondante ». 

A la mort de la personne, le droit de propriété cesse et le bien fait retour dans un grand fond commun, chargé de le revendre aux enchères. 

Ce fond est aussi chargé de réaliser la péréquation financière en cas de vente d’un bien entre deux personnes d’âge différent. Si un jeune de vingt ans vend son bien, il doit toucher la valeur du droit qu’il cède, soit 80% de la valeur du bien. Si l’acquéreur est plus âgé, qu’il a soixante-dix ans, il paiera la valeur du droit qu’il acquiert, soit seulement 30% de la valeur du bien. C’est le fond commun qui paiera la différence (50%) au jeune qui a vendu. Ce qui est logique : le fond gagne à cette vente, puisque le bien est désormais entre les mains d’une personne plus âgée et que donc il lui reviendra plus vite… 

Il en résulte aussi que les biens sont plus chers pour les jeunes. Mais un service public bancaire leur accorde des prêts à très long terme, sans intérêts, la monnaie étant aussi fondante. Ainsi, les remboursements sont bien plus faibles que des loyers actuels. Il existe aussi de possibles garanties sur le prix de revente d’un appartement, assurée par le Fond. Ce qui permet d’acheter et de revendre sans risque, sur des durées brèves. De ce fait, tout le monde peut être propriétaire d’un appartement. 

La monnaie ne peut évidemment pas se voir appliquer le même type de règle. Mais elle est aussi est fondante, par le biais de taux d’intérêts négatifs sur les comptes bancaires ou, plus simplement, par l’action de la Banque centrale qui maintien un taux d’inflation minimal… D’autres règles sont nécessaires pour faire fondre la propriété des entreprises, etc. 

Cette fonte progressive de la propriété est l’un des moyens utilisé en misarchie pour éviter les accumulations et les trop grandes inégalités de fortune. Elle contrebalance la tendance naturelle qui fait que plus on en a, plus on en gagne…

 

Le fonctionnement de l’entreprise est sans doute le thème sur lequel vous êtes le plus disert. Le mécanisme que vous décrivez, s’il récuse toute propriété sur l’entreprise des simples apporteurs de capitaux, préserve, dans une large mesure, les droits des fondateurs. Mais il suppose également un mode de valorisation des entreprises, pour définir le prix d’acquisition des parts au fil du temps, qui repose sur l’attractivité de celles-ci comme outil de placement. Pourriez-vous expliciter un peu ce modèle ?

L’entreprise misarchiste est un compromis entre deux nécessités contradictoires. La première est le nécessaire abandon de la société commerciale traditionnelle. Dans celle-ci les détenteurs de capitaux, parfois lointains et ignorant des réalités de l’entreprise, prennent toutes les décisions sur la base de bilans financiers abstraits. Ceci conduit à des catastrophes économiques et humaines. Ceci conduit aussi la grande majorité des personnes qui travaillent à être en situation de subordination pendant l’essentiel de leur vie professionnelle. Et cela produit certaines accumulations de richesse indécente chez certains détenteurs de capitaux. Le tout n’est pas très conforme aux idéaux démocratiques.

La seconde nécessité est de respecter la liberté d’entreprendre. Une société qui interdit de monter son entreprise est une société qui prohibe l’autonomie. De surcroît ce serait une société sclérosée. Il convient d’encourager et de favoriser la liberté d’entreprendre.

Pour concilier ces deux pôles contradictoires, la solution misarchiste s’appuie sur la dimension temporelle. Lorsqu’un entrepreneur crée une entreprise, y consacre son patrimoine et son énergie, parfois pendant des années, il est juste que cette entreprise soit son entreprise. Il ne serait pas juste de lui imposer, lorsqu’il embauche un premier salarié, de tout partager par moitié, fût-ce au nom du principe démocratique qui donne une voix par personne. D’ailleurs, si on le lui imposait, cet entrepreneur n’embaucherait jamais personne… L’entrepreneur qui crée une entreprise doit donc recevoir un droit particulier sur cette entreprise. Ce qui revient à admettre que son premier salarié sera bien en position de faiblesse, au moins dans un premier temps. Il y a là une inégalité, mais celle-ci ne semble pas injuste au vu des efforts et des dépenses de l’entrepreneur. 

En revanche, si on reprend les deux mêmes, l’entrepreneur et son salarié, vingt ans plus tard, la question n’est plus la même. L’entreprise est alors devenue le fruit du travail des deux. Il serait juste tous deux soient devenus copropriétaires à égalité de leur entreprise. 

Pour permettre ce début inégalitaire et cette fin égalitaire, il convient d’imposer un rachat progressif des parts des entrepreneurs par leurs salariés. En misarchie, toutes les entreprises ne naissent pas dans l’autogestion, mais toutes tendent vers l’autogestion. Celle-ci survient plus ou moins vite selon les montants investis et le nombre de salariés. Mais à terme, elle survient. Le livre propose d’ailleurs des modalités de calcul précises sur ces parts préférentielles accordées aux entrepreneurs/fondateurs et sur les modalités de leur rachat. 

L’évaluation de ces parts sociales guide le montant dû par les salariés aux entrepreneurs. Elle guide aussi le montant qui sera versé aux salariés qui quittent l’entreprise et cèdent leur part (nul ne peut rester copropriétaire d’une entreprise où il ne travaille pas). 

Il convient donc de fixer un prix pour ces parts, aussi juste que possible. Ce qui n’est pas si facile. Seuls les travailleurs de l’entreprise, entrepreneur compris, ont vocation à acquérir des parts. Les purs apporteurs de capitaux n’ont aucun droit de vote. Ils sont assimilés à des prêteurs d’argent et la seule rémunération qu’il puisse revendiquer est celle de taux d’intérêts (d’où aussi l’importance connexe d’une refonte du système bancaire, afin d’encourager le crédit). Les parts de l’entreprise ne sont donc pas des actions qui s’achètent et se vendent librement, ni même des outils de placement. Il n’y a donc pas de marché qui pourrait directement fixer un prix. 

En misarchie, la valeur des parts est fixée par des commissions indépendantes d’experts qui se fondent principalement (pas exclusivement) sur ce que pourraient rapporter la vente des actifs (locaux, machines, marques, clientèle…), diminuée du règlement du passif (dettes qui restent à honorer, …). La valeur de base est, en d’autres termes, la valeur liquidative. Ce mode d’évaluation fait sens. L’entreprise comme telle ne peut pas être cédée en un bloc, puisque seuls ses travailleurs peuvent en acquérir des parts. La seule manière pour ses propriétaires de s’en répartir le capital, est donc de la liquider. Cela conduit à une évaluation du patrimoine commercial et industriel bien plus faible que celle actuellement pratiqué, dans notre droit qui autorise à vendre librement les entreprises et les travailleurs qui les composent. Pareille réduction de la valeur du capital est au demeurant une condition pour que les salariés puissent racheter progressivement leur entreprise et aboutir à l’autogestion dans un délai raisonnable. 

L’entrepreneur ne doit pas être spolié pour autant. Les premiers temps, la valeur de l’entreprise se rapproche des sommes réellement mises par l’entrepreneur dans son entreprise. Les premiers rachats de ses parts sont calculés sur le remboursement des sommes qu’il a réellement dépensées à partir de son patrimoine propre. De plus, l’évaluation sur la valeur liquidative n’est qu’une base, laquelle peut être réévaluée par la commission, au vu de la profitabilité ou des perspectives de développement. 

Il convient de remarquer au passage qu’ainsi la misarchie n’a supprimé ni l’argent, ni la propriété, ni l’entreprise, ni même certaines formes de salariat. Mais les détenteurs de capitaux n’ont aucun pouvoir es-qualité sur les entreprises. Les entrepreneurs n’ont de pouvoir que s’ils sont eux-mêmes travailleurs de leur entreprise et leur pouvoir est fondant, cela fait tendre toutes les entreprises vers l’autogestion. De plus, les revenus de l’entreprise peuvent rembourser des dettes, être réinvestis ou répartis comme augmentation de salaire. Mais ils ne peuvent pas être répartis au prorata de la détention de capital. Les dividendes sont prohibés. Ainsi, la misarchie maintien la liberté d’entreprendre. Elle favorise même l’esprit d’entreprise. Mais elle supprime le capitalisme. 

 

La misarchie a rejeté le revenu universel pour une série de raisons, expliquez-vous, qui pourraient valoir aussi bien pour nous-mêmes. Quelles sont-elles ? 

Le revenu universel, quel qu’en soit les modalités, conduit à scinder deux populations : celles qui sont rémunérées pour leur travail et celles qui se contentent de l’allocation versée automatiquement. Les premiers concentrent toute l’activité marchande et tous le pouvoir économique. Ils sont en position dominante. La nature humaine étant ce qu’elle est, il est plus que probable qu’ils useront de cette position de force. Mais si l’allocation de départ est généreuse, les détenteurs du pouvoir économique finiront par réduire les autres à un rang d’inférieur, d’assisté. Et ceux-ci seront maintenus dans un état de relative misère. Cette vision d’un monde divisée en deux castes est épouvantable. 

Déjà, dans la société actuelle, le travail rémunéré est accaparé par les uns, au risque du burn out, cependant que le temps libre et les activités gratuites sont réservées aux autres, au risque de la misère. Nos sociétés sont d’ores et déjà fracturées par cette répartition inégale du travail. Le revenu universel renforcerait et stabiliserait cette fracture. Il produirait une société plus divisée encore que la nôtre, ce qui n’est pas peu dire. 

Je suis un défenseur de l’égalité et donc je pense que la raréfaction du temps de travail marchand doit être traitée non par la mise à l’écart des personnes privées de travail, mais par un partage du temps travail. Si chacun travaille moins, cela permettra non seulement de rendre effectif le droit à un emploi, mais aussi le droit au loisir, à la culture, à une vie familiale. Et chacun aura la faculté de développer une partie de son activité productive hors de l’économie marchande. Le partage du temps de travail, c’est aussi le partage du temps libre.

 

En même temps, c’est peut-être le seul sujet pour lequel vous cherchez à tirer les conséquences de la mise en œuvre des mécanismes que vous décrivez, au-delà de leur simple présentation. Ne pensez-vous pas que la construction d’alternatives doive passer aussi par une phase consistant à essayer d'imaginer les conséquences des modèles ou des scénarii que vous proposez ? N’avez-vous pas fait rentrer à Paris Gulliver trop tôt ?

L’intérêt de la forme utopique est de raconter tout à la fois la règle et ses effets. Le souci de l’application concrète et des conséquences possibles est continuel. Il est dans les discussions entre personnages, il est aussi présent au travers de la description du « décor » dans lequel se déroule l’histoire, lequel est pensé comme la conséquence des règles proposées, ou dans certaines des aventures vécues. Par exemple, les règles sur la propriété des entreprises sont testées au travers de l’histoire des personnages qui se lancent dans les affaires…

Certes, toutes ces applications sont des expériences de pensée. Ce ne sont pas des expériences concrètes, empiriques. Mais cette difficulté se retrouve pour toute proposition d’innovation. L’évaluation des effets du revenu universel, lequel n’a été mis en place nulle part sur une grande échelle, est elle aussi une expérience de pensée. 

Les propositions de la misarchie sont tout de même nourries d’expériences réelles qui existent ou ont existé ici et là, à petite échelle. Elles tirent aussi des leçons de certains effets néfastes connus des règles actuelles (voir par exemple l’impact des inégalités sur le taux d’incarcération de la population). Cet ancrage passe un peu inaperçu, la forme du récit utopique n’étant guère compatible avec l’accumulation des notes de bas de page. Mais si Gulliver avait dû rentrer armé d’un traité démonstratif complet, étayé, avec toutes les références requises, pour tout reconstruire, il lui aurait fallu écrire une bonne quinzaine d’épais volumes passablement illisibles. Et d’ailleurs, écrasé par la tâche, il ne serait probablement jamais rentré à Paris