Le passé proche de la nation vietnamienne est revisité et analysé, dans un pays que la guerre sous différentes formes a longtemps déchiré.

Dans cet ouvrage de synthèse clair, précis et utile, François Guillemot livre une histoire du Viêt-Nam des prodromes de la colonisation à la transformation du Viêt-Nam contemporain. Viêt-Nam. Fractures d’une nation, d’un accès facile, constitue une introduction réussie pour quiconque souhaite découvrir ce pays et surtout son histoire.

Six chapitres composent le livre en remontant les fils chronologiques. L’auteur est un des meilleurs spécialistes de la question. Il a déjà publié une remarquable somme sur le Dai Viet, le mouvement nationaliste vietnamien   et Les Femmes dans la guerre du Vietnam   . Il anime par ailleurs un site fourmillant d’informations sur l’Asie du Sud Est.

 

De la colonisation

François Guillemot débute par les tentatives d’annexion par la Chine et poursuit par l’annexion française. Après l’insurrection des Tay Son en 1804, le pays est unifié. Entre 1858 et 1887, la colonisation française se caractérise par sa violence et par sa brutalité. Elle constitue un choc pour les Indochinois. Les Vietnamiens deviennent en quelque sorte des sujets de seconde zone.

En même temps qu’elle offre quelques aspects de modernisation, la colonisation contient les germes de la révolte moderne. Elle s’incarne un temps dans la figure du roi mais, très vite, les réformes n’aboutissent pas, des mouvements nationalistes prennent forme. Ils s’incarnent dans double opposition : l’une, nationaliste révolutionnaire et démocratique, et l’autre communiste.

François Guillemot souligne que le dialogue avec la métropole est impossible en raison de la violence de la répression coloniale qui fait alors plusieurs milliers de morts. Les tentatives de réforme n’aboutissent pas et la Deuxième Guerre mondiale favorise l’insurrection de 1945.

 

À la Guerre

Dès 1945, une myriade de petit groupe allant de la « pègre » locale aux communistes en passant par les nationalistes démocrates prend les armes contre les Français. Certaines formations proposent de négocier ; la puissance coloniale joue des rivalités entre les groupes pour se battre contre les Vietnamiens, déjà divisés sur l’avenir à donner au pays.

L’arrivée de Mao au pouvoir change la donne, le Parti Communiste Vietnamien (PCV) bénéficie alors de l’aide militaire chinoise, même si militairement parlant les Français rencontrent des succès, utilisant dès 1952 des bombes au napalm qui deviennent tristement célèbres quelques années plus tard. Le colonisateur obtient un soutien financier substantiel des Etats-Unis dans sa guerre contre le communisme. Les tentatives d’installer des contre feux en mettant en place des gouvernements qui doivent conduire à l’indépendance sont réalisées, mais trop tard. D’autant que les troupes communistes ont progressé. Le passage de la guérilla à la guerre révolutionnaire permet au PCV de gagner en efficacité, aidé en cela par les conseillers militaires chinois et soviétiques. François Guillemot note que la guerre totale « sur tous les plans » est pratiquée par la République démocratique du Viet-Nam (RDVN), la mobilisation complète de l’ensemble de la société aboutie à la défaite française de Dien Bien Phu et à la victoire quasi totale pour Ho Chi Minh. Le bilan humain est vertigineux : 400 000 morts, dont les trois quarts chez les partisans d’Ho Chi Minh ; dans le quart restant les deux-tiers sont indochinois.

Les deux décennies suivantes s’avèrent encore plus tragiques. Si l’anticommunisme cimente la République (dite du Sud), il n’arrive pas à unifier les contraires et la guerre est la seule réponse réelle à la progression de la RDVN. François Guillemot synthétise les différentes étapes de l’instauration du communisme au nord Vietnam : du Parti unique à la collectivisation violente doublée d’une famine. Cette réforme agraire est une faillite mais la mobilisation pour l’unification du Vietnam permet au régime d’intensifier la répression contre les minorités d’une part et de faire oublier ses échecs économiques d’autre part. Très vite, la RVDN organise la jeunesse dans des Bataillons de choc, il dénombre plus de 350 000 engagés « volontaires ».

Quelques années après les accords de Genève du 21 juillet 1954, le Nord tente d’unifier le pays par la force. A cette mobilisation forcée, la République, aidée par les Américains, répond par l’engrenage de la violence. La guerre sur l’ensemble de la période fait deux à trois millions de morts, dont un tiers d’assassinats politiques, et s’achève par le départ des Américains le jour où Saïgon tombe, le 30 avril 1975.

 

Vers la normalisation

Le dernier chapitre propose un bilan de l’histoire immédiate du Vietnam depuis trente ans et notamment de son passage du communisme au capitalisme d’Etat. Plusieurs phases sont soumises à l’analyse. D’abord, le Vietnam révolutionnaire des années 1975 à 1986 avec son système concentrationnaire frappant près d’un million de personnes. Puis, l’exil d’une partie des Vietnamiens un phénomène marquant symbolisée par la tragédie des boat people touchant plus de 1,5 millions de personnes dont près de 1 sur 6 disparaît en mer de Chine entassés à près de 80 sur des sampan, des navires de fortune.

Le décollage vietnamien commence avec l’ouverture relative du pays à la fin des années 1980, qui favorise l’urbanisation et le commerce. La mondialisation transforme l’économie planifiée en économie de marché socialiste alors que l’aide des exilés de retour de l’ancien bloc de l’Est participe au développement économique du pays. Si le poids de la guerre et de la culture de la guerre civile conduite par le Parti-Etat communiste s’estompent, le Vietnam des droits de l’homme se fait toujours attendre.

 

Outre cette excellente synthèse, François Guillemot nous invite à prolonger la lecture par une abondante bibliographie