Une enquête reconstitue la vie d’un communard et la vie à Paris, de la fin du Second Empire aux débuts de la IIIème République.

Le premier tome des Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan est une bande dessinée à part. L’auteur utilise sa formation de graphiste pour composer un récit avec des images d’époque retravaillées. Ce parti pris peut surprendre, certains pourraient dire qu’il ne s’agit pas de bande dessinée... Et pourtant : dès les premières pages, le lecteur prend une « claque ». Esthétique tout d’abord, car il faut avouer que les dessins sont superbes dans un noir et blanc très léché : du grand art. Claque ensuite par l’histoire de la misère du peuple parisien lors de la Commune de Paris (mars-mai 1871) qui lutte pour obtenir des conditions de vie meilleure. Les destins de Lavalette et Victorine, deux communards, émeuvent le lecteur. Raphaël Meyssan gagne ici son pari, celui de redonner de la chair et des images à des récits oubliés sur cette période longtemps mise de côté par l’historiographie française.

 

Une histoire plurielle

Les damnés de la Commune présentent deux histoires qui s’entremêlent entre la fin du Second Empire et les débuts de la République, durant la Commune de Paris. Il s’agit tout d’abord de la quête de l’auteur pour retrouver un communard, Lavalette, qui a habité à son adresse, 6 rue Lesage à Belleville, en 1870. Lavalette est un ouvrier gazier, membre de la Garde nationale, organe qui organise primitivement l’insurrection communarde à Paris. Meyssan mène une véritable enquête pour retrouver dans les archives et les écrits d’époque des traces de Lavalette. Dans ses recherches, il tombe sur les mémoires de Victorine B., communarde, qui publie ses souvenirs en 1909. À travers ce récit, aidé des archives, Meyssan reconstitue le parcours de Lavalette, l’identifie et retrouve sa tombe, ignorée de tous depuis la fin du XIXe siècle, au cimetière de Bagneux. Les 140 pages de cette bande dessinée nous entraînent donc véritablement (pour ne pas dire nous happent) dans ce Paris insurrectionnel de la fin du Second Empire et de la Commune, conté par Meyssan avec un souffle populaire. On a l’impression d’y être, de revivre les réunions passionnées, de trembler à l’écoute des orateurs, bref, d’être saisi par la fièvre révolutionnaire. Un sentiment qui s’explique par le récit, mais aussi et surtout par son parti pris graphique.

 

De l’utilisation du noir et blanc

Les damnés de la Commune est une véritable bande dessinée : nous sommes face à un récit séquentiel dans lequel l’image est structurante. Raphaël Meyssan est un graphiste, ce qui explique sans doute la haute qualité des images et le soin apporté au noir et blanc sur chaque illustration. Pour construire cet ouvrage sur la Commune, l’auteur a numérisé plus de 15 000 documents. Des gravures pour l’essentiel, mais aussi des articles de presse, des rapports de police, différents supports servent de base dans ce tome 1. Meyssan réussit un tour de force en retravaillant ces originaux à l’ordinateur, de nouveaux cadrages permettent une plus grande dynamique des images. À cette époque (1870-1890), nous sommes à l’apogée de l’utilisation des gravures en France. Omniprésentes, c’est le vecteur privilégié de l’information quand le pays n’est pas encore totalement alphabétisé. Cette « patte » Meyssan confère une réelle poésie et sensibilité aux Damnés de la Commune. Le procédé utilisé peut faire hurler les puristes, pourtant, le résultat est tout simplement superbe. Le choix judicieux des illustrations conserve à l’histoire son côté dynamique. Les noirs sont profonds et tranchés, ils renforcent le côté dramatique. Du beau travail, tout simplement.

 

Un livre d’Histoire de la Commune ?

Les damnés de la Commune est un ouvrage d'une exceptionnelle tenue graphique, qui s'appuie également sur une documentation très fournie. Raphaël Meyssan procède en historien : il recherche des sources, lit des documents de première main, qu’il cite à travers Félix Pyat (fondateur du journal communard Le Vengeur) et surtout Louise Michel (la Vierge Rouge de la Commune). Il cherche à faire revivre la mémoire communarde. Un pari gagné : on replonge avec force dans l’atmosphère de Paris en 1871. À la lecture, on ressent toute la fougue et la détermination du peuple à en finir avec l’Empire, à déclarer la République puis, quand les espoirs démocratiques sont déçus, à faire naître ce que beaucoup de révolutionnaires ont voulu voir comme la première vraie insurrection marxiste : la Commune de Paris (mars-mai 1871).

Le revers du travail de Raphaël Meyssan, passionné d’histoire, c’est son parti pris historique : les Damnés de la Commune est en quelque sorte un travail hagiographique sur cette période troublée de l’Histoire de France. Les lecteurs qui recherchent un point de vue historien (donc neutre) n’y trouveront pas leur compte. En effet, Meyssan épouse totalement le point de vue des communards et laisse de côté plusieurs aspects majeurs de l’histoire de la Commune. Ainsi, les tentatives d’extension du mouvement localisés dans quelques grandes villes de provinces : peu suivent le soulèvement parisien. Les premières élections législatives après la chute de l’Empire, qui se déroulent en février 1871, donnent une nette victoire aux monarchistes, partisans de la paix. À cette époque, la France est encore un pays majoritairement rural. Le phénomène communard connaît donc peu d’émules hors de la capitale, ce qui explique, en partie, son échec. Absente également, l’explication de la naissance originelle de la Commune, qui est due, non pas à une première révolution communiste, mais bel et bien à la volonté républicaine de continuer la lutte : il s’agit donc avant tout d’un élan patriotique.

Les Damnés de la Commune présente le point de vue du peuple sur la Commune de Paris. Les deux histoires qui s’entremêlent sont toutefois très belles mais tristes, tel le destin du peuple de Paris qui a cru, avant l’heure, pouvoir obtenir des libertés et des avantages sociaux grâce à la Commune. Espoirs déçus, matés par la répression des Versaillais, mais qui sauront renaître, petit à petit, sous la IIIème République, quand les Républicains auront su conquérir le vote et les cœurs de la majorité du pays à partir des années 1880