Un texte peu nuancé de Lars Norén, porté par quatre excellents comédiens

 

« Haïr, tuer, se baigner » : c'est ainsi que Keith, Anders et Ismaël, trois jeunes suédois, résument le programme de leur été. Tous trois membres du Parti Nationaliste, l'avatar d'un certain Front, ils clament fièrement leur colère, leur dégoût, leurs insatisfactions, leur haine de tout et de tous. Ils veulent purifier la Suède, par le feu et le sang, et se disent en guerre contre le reste du monde. Lorsque Karl, camarade de classe originaire de Corée du Sud, passe par là, le discours laisse vite la place à la violence, d'abord verbale, puis physique.

 

 

Lars Norén, l'auteur de la pièce, est un auteur à la mode, plusieurs fois joué cette année à Avignon. Ses pièces, inspirées par Ibsen et Tchekhov, se centrent généralement sur des problèmes psychiques ou psychosociaux. Celle-ci déplace quelque peu la focale en questionnant plutôt la montée du radicalisme politique chez une certaine frange de la jeunesse.

 

Enseigner la tolérance

Au cœur d'un grand nombre de problématiques contemporaines, le texte reste cependant peu convaincant. Toujours un peu trop explicite, il frôle parfois le didactisme pur et simple, et on a parfois un peu l'impression d'assister à une séance d'éducation civique. Pour être véritablement dérangeante, pour provoquer chez le spectateur cette troublante sensation de fascination mêlée à une répugnance angoissée, qui font le sel des pièces d'Edward Bond ou de Martin Crimp, la pièce aurait dû rajouter une dose d'ambiguïté morale. En l'état, elle ne sort jamais d'une vision manichéenne : le spectateur est forcément du côté de Karl, tolérant, prônant l'intégration de tous et l'ouverture au monde, et pas de ses trois agresseurs, qui affichent leur racisme et leur homophobie, multiplient les jurons et comptent le nombre de bières bues depuis le matin. Dès les premières répliques, on sait qui sont les bons et qui sont les méchants.

 

 

Jouer la violence

Cette lourdeur relative de la pièce, qui l'empêche un peu de taper juste, est plus que largement rattrapée par la performance des quatre comédiens, en particulier d'Arthur Gomez, qui joue Keith, le plus violent et le plus radical des trois jeunes gens. Tous sont entièrement engagés dans leurs rôles, pourtant difficiles. Il faut du courage pour porter ces paroles de haine en plein Avignon, pour prêter sa voix et son visage à un discours de la violence. La mise en scène est pleine de bonnes idées, parfois un peu inexploitées. Ainsi de la scène qui voit Karl et Keith monter sur deux chaises face à face pour confronter leurs idées, qui fait du dialogue une joute oratoire et de la scène une arène.

 

 

Keith livre également une magnifique prise à parti du public, interpellé sur la place des « Nègres » dans l'histoire de l'humanité ; c'est peut-être le seul moment où l'angoisse s'installe véritablement, où le spectateur hésite à intervenir et se tait finalement, par peur, évidemment, de briser l'illusion théâtrale et de déranger le comédien, mais aussi peut-être par peur du personnage qui lui fait face à cet instant.

Soulignons enfin une image d'autant plus suggestive qu'elle est fugace : à la toute fin, après avoir tué Karl en le rouant de coups, Anders, torse nu, cheveux lâchés, disparaît dans la fumée jaune du grill. Pendant une seconde, on croit voir apparaître un barbare antique, tels ceux surgis des forêts germaines pour engloutir les légions de Varus, ce qui transforme a posteriori le meurtre en sacrifice religieux. René Girard aurait probablement apprécié cette lecture qui rappelle discrètement la part du sacré nichée au cœur de toute violence, en particulier lorsque celle-ci s'exerce contre un bouc émissaire.

Les mots au cœur de la scène, la violence au cœur des mots, le sacré au cœur de la violence : ne tient-on pas là, également, une fort belle définition de la tragédie ?

 

La pièce sur le site du festival off