Les fidèles lecteurs et les admirateurs inconditionnels de Georges Perec, que sa disparition brutale en 1982 a laissé inconsolables, attendaient de pied ferme la parution en Pléiade des œuvres de l’auteur de La vie mode d’emploi annoncée depuis déjà plusieurs années. C’est chose faite ces jours-ci sous la forme des deux somptueux volumes reliés pleine peau sous coffrets illustrés, portant les numéros 623 et 624 de la prestigieuse collection de Gallimard, accompagnés d’un magnifique Album Georges Perec, conçu et spécialement réalisé pour cette occasion, comprenant 202 illustrations et photographies, dont certaines sont peu connues. Comme toujours avec cette collection, l’appareil critique, confié à une équipe de remarquables connaisseurs du romancier français (parmi lesquels Claude Burgelin, le mieux connu d’entre tous) sous la direction de Christelle Reggiani est de tout premier ordre.

Ne boudons pas notre plaisir : pour ceux qui, tel le signataire de ces lignes, tiennent Georges Perec pour l’un des plus grands écrivains français de la seconde moitié du XXe siècle – pour un "classique contemporain", comme il est devenu courant de le dire à son sujet –, cette publication est une véritable joie dont l’on se promet de goûter bien vite les premiers transports dès cet été en empaquetant soigneusement dans ses bagages les précieux volumes pour pouvoir les parcourir tout à loisir, à plat ventre sur son lit, comme Georges Perec souhaitaient qu’on le fasse avec ses livres.

Mais avouons aussi notre déception. Les deux volumes sont fort éloignés de recueillir les œuvres complètes de l’auteur. La liste des livres manquants est longue. Parmi les recueils posthumes, citons Penser/classer, L’infra-ordinaire, Vœux, Je suis né, Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques, L. G. Une aventure des années soixante, Beaux présents, belles absentes (tous publiés aux éditions du Seuil à l’exception du premier, paru aux éditions Hachette) ; parmi les ouvrages posthumes, les deux premiers romans de Perec, à savoir L’attentat de Sarajevo et Le Condottière (chez Seuil), et le dernier, laissé inachevé, « 53 jours » (pourtant paru aux éditions Gallimard). D’autres livres manquent encore : La boutique obscure (Denoël), Théâtre I (Hachette), Un peu plus de quatre mille poèmes en prose (Les impressions nouvelles), L’œil ébloui (Chêne), etc. Parmi ceux qui sont repris dans les volumes de la Pléiade, l’édition qui en est proposée se révèle inférieure à de nombreux égards aux éditions originales, comme c’est le cas des Récits d’Ellis Island, parus en 1995 chez P.O.L. sous la forme d’un très bel ouvrage illustré.

En tout et pour tout, les volumes qui viennent de paraître réunissent les ouvrages suivants : Les choses, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, Un homme qui dort, la disparition, Les revenentes, Espèces d’espaces, W ou le souvenir d’enfance, Je me souviens (pour le premier volume) ; La vie mode d’emploi, Un cabinet d’amateur, La clôture et autres poèmes, L’éternité, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Ellis Island, L’augmentation, L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation (pour le second). L’incroyable erreur qui avait été commise il y a quelques années à l’occasion de la publication des œuvres de Perec dans La Pochothèque, laquelle avait consisté à ne pas inclure W ou le souvenir d’enfance dans la liste des œuvres publiées, a certes été corrigée cette fois-ci, mais à peu de choses près, les deux volumes de la Pléiade se substituent tout juste à l’ancien volume de La Pochothèque dans la mesure où, une fois encore, la sélection des titres retenus paraît trop étroite, laissant de côté des œuvres clés en l’absence desquelles toute lecture de Perec serait bien incomplète. Oserons-nous pour conclure appeler de nos vœux la publication prochaine d’un troisième, voire d’un quatrième volume s’employant à réunir la totalité des écrits de celui qui s’impose de plus en plus comme notre "contemporain capital posthume" ?