De Deep Purple à Slayer, un focus sélectif sur la prog' du Hellfest, à travers huit groupes représentatifs de la diversité du "champ metal"

Attendue avec impatience chaque année, la programmation du Hellfest ne manque jamais de susciter de nombreux commentaires, plus ou moins enthousiastes ou critiques. Les très belles éditions 2014 à 2016 avaient placé la barre plutôt haut, d’où le sentiment relativement mitigé qui nous a saisi à la découverte de l’affiche 2017. L’impression d’éternel retour de certains groupes, inhérente à la profusion de sets offerts par le festival, nous ramène au constat suivant : des formations en activité scénique capables de squatter le haut d’une affiche et/ou de remplir un chapiteau avec une jauge de de 5.000 / 10.000 personnes, il n’y en a pas tant que cela dans la sphère des musiques metal. Si elle ne procure peut-être pas le même sentiment spontané d’excitation que celle des années précédentes, la programmation 2017 du festival demeure cependant un modèle d’équilibre entre têtes d’affiches populaires, formations réputées mais moins mainstream, groupes plus confidentiels et pures découvertes. Elle proposera notamment plusieurs sets inédits à Clisson et très attendus : Scour (la nouvelle formation de Phil Anselmo), Primus (dont la singularité stylistique fera peut-être écho au magistral concert de Magma l'année dernière), Hawkwind (pour un rock psyché seventy de haute volée) ou encore Wardruna (le projet ambient de Gaahl, ex-chanteur de Gorgoroth).

Sur Nonfiction, notre perspective, depuis plusieurs années, consiste à couvrir l’événement Hellfest en le considérant comme un vaste panorama des évolutions du metal, genre musical que nous proposons de penser sous un double aspect : en tant qu’expérience esthétique violente et radicale ; et selon une grille conceptuelle de classification qui privilégie la notion de champ à celle de genre, rompant par là avec une vision « généalogique » ou historique de ces formes musicales. Dans ce prolongement, le présent article a été conçu comme une présentation de plusieurs groupes programmés au Hellfest 2017, dont l’œuvre musicale permet de mettre en perspective les évolutions de la grande constellation metal en général, et l’essence du « champ metal » en particulier, au prisme des enjeux esthétiques qui ont marqué ses différents développements.

 

DEEP PURPLE (vendredi 16 juin, 20h45 – Mainstage 1)

Cette inoxydable formation affichant 50 ans de carrière l'année prochaine, pionnière du genre metal / hard-rock avec Black Sabbath et Led Zeppelin, et à l'origine d'hymnes heavy / psyché comme Smoke in the Water, Highway Star et Child in Time, reviendra à Clisson (leur dernier passage datait de 2014) pour livrer sur scène sa science unique du feeling rock n'roll, portée par la maestria de ses instrumentistes, dont témoigne encore son vingtième et dernier album (Infinite) sorti cette année. Si le quintet ne joue plus aujourd’hui une musique d'une grande originalité, il excelle toujours dans la défense d’un esprit bluesy et seventy qui a donné à la musique populaire quelques-unes de ses pages les plus profondes et les plus épiques.

 

 

La présence d’un tel groupe au Hellfest (avec d’autres comme Hawkwind ou Blue Oyster Cult) nous invite à réfléchir à la question de l'héritage musical et esthétique incarné par ces ancestrales formations « proto-metal ». Car même si leur blues/rock « durci » et densifié a été depuis largement distancié en termes de violence et de radicalité, il demeure une forme séminale, encore très influente, comme le prouve la popularité de jeunes groupes comme Kadavar, Graveyard, The Sword, Clutch, Baroness ou même Mastodon. Cette « forme » ne se retrouve simplement plus, aujourd’hui, au centre du genre metal si l’on envisage ce dernier en termes essentialistes, mais bien plutôt à sa périphérie, comme un témoignage de son origine et de sa richesse passées.

 

OBITUARY (vendredi 16 juin, 21h50 – Altar Stage)

Avec Obituary, en revanche, nous nous trouvons beaucoup plus proche du noyau dur de cette proposition esthétique que l’on appelle « metal ». Le groupe floridien fait partie des toutes premières formations de metal extrême : les frères Tardy, accompagné du guitariste Trevor Peres élaborent, dès 1984, une musique sauvage, hurlante et complexe qui, associée à celle de quelques autres précurseurs, prendra rapidement le nom de death metal. Cependant, la musique d'Obituary se développe à contre-courant des autres groupes de death (Death, Deicide, Morbid Angel, etc.), dans un style plus southern, proposant un son plus gras et des riffs regorgeant de groove (en rupture avec le trash metal dominant à l'époque), ne courant pas après le tempo, et s'autorisant des breaks mid-tempo.

 

 

Le chant de John Tardy, maladif et suintant, contribue tout aussi puissamment à la constitution d’une tonalité immédiate et singulière. Une raison de plus d’aller voir, sur scène, cette machine de guerre parfaitement huilée qui ne déçoit jamais.

 

ELECTRIC WIZARD (vendredi 16 juin, 21h50 – Valley)

Grand représentant du genre doom, Electric Wizard a en fait, à la fin des années 90, bouleversé en profondeur les codes établis par les géants du genre Pentagram (présent au Hellfest cette année), Saint Vitus, The Obsessed ou Candlemass, avec en point d'orgue l'album Dopethrone en 2000. Si l'héritage de Black Sabbath est palpable, Electric Wizard a introduit dans le doom plusieurs qualités sonores et musicales singulières : la suppression de la dimension épique au profit de riffs et d'un chant plus psychédéliques ; un ralentissement général du tempo ; des morceaux plus long ; des basses bourdonnantes et omniprésentes ; des appuis de batterie très marqués. Le groupe, et principalement Jus Oborn, dernier membre-fondateur en activité, a inspiré une grande partie de la scène doom européenne et américaine (Windhand, Cough et une bonne partie du catalogue du label Relapse). Sur scène, le moins que l'on puisse dire c'est qu’on n’a pas affaire à des entertainers, mais évidemment, ce n’est pas ce qu'on leur demande.

 

 

La scénographie est grave, solennelle, presque froide. Mais la musique est bien là : envoutante, lourde et métallique à la fois. La formation jouera au Hellfest en même temps qu'Obituary : dilemme en perspective.

 

ALESTORM (vendredi 16 juin, 01h05 - Temple)

Souvent programmé au Hellfest, ce groupe pose un problème classificatoire, esthétique, et moral. Alestorm nous sert ici à exposer ce problème, mais évidemment d'autres groupes, dans des styles différents, interpellent de façon similaire : Apocalyptica, Turisas, ou encore Equilibrium. Alestorm (littéralement « tempête de houblon ») peut être décrit comme un groupe de power metal avec de larges intonations folkloriques, le tout enveloppé dans un univers visuel et thématique à la Pirate des Caraïbes. Alestorm, en terme de registre sonore ça ressemble à du metal (au niveau des accords, amplification, chant, etc.), mais il s’agit en fait de types déguisés en pirates qui jouent sur scène.

 

 

Détournant les codes du metal, ils en abandonnent la dimension grave au profit d'une musique absolument inoffensive. Cela les éloigne radicalement du cœur du champ metal que nous décrivions ici. Si l’on est d’accord (mais ce n’est pas une obligation) pour dire que le metal est une musique radicale, sombre et engageante, qui sublime les affects négatifs en produisant une expérience esthétique violente, alors on peut affirmer qu'Alestorm ne remplit pas les conditions esthétiques d'appartenance au champ metal, et même qu’il en nie les principes fondateurs. Les live d’Alestorm remplissent pourtant les chapiteaux dans tous les festivals de metal, ce qui reste pour nous une énigme à ce jour.

 

CHELSEA WOLFE (samedi 17 juin, 19h40 - Valley)

Du fait qu’elle tient d’un style musical que l’on pourrait décrire comme un croisement entre slowcore, dark folk et gothique, l'inscription de Chelsea Wolfe (tout comme celle de King Dude, présent l'année dernière au Hellfest et lui-aussi édité par le label Sargent House) à la galaxie metal n'est pas évidente. Cependant, sa musique puise une partie de ses racines dans le genre metal : à l'image de ses compositions, d’une grande complexité malgré leur apparence épurée. Musicalement, Chelsea Wolfe, c'est une sorte de doom metal qui aurait délaissé le côté épique et groovy pour laisser la place à une musique à la tessiture moins grave, mais pas moins insidieuse. Mais ce n'est peut-être pas dans les qualités musicales qu'il faut chercher la filiation, mais plutôt dans son esthétique sombre, sans espoir, introspective, d'une violence feutrée, sournoise mais imparable, parfois assez perturbante, toujours d'une tristesse absolue. En ce sens, cette musique est bien plus « metal » que n'importe quel groupe de metal symphonique « à chanteuse ». Chelsea Wolfe propose une musique et un chant heavenly, qu'on pourrait qualifier de faciles s'ils n'étaient pas à ce point imprévisibles, capables de nous emmener très loin ou plutôt de plonger en nous, dans nos souffrances et nos deuils, sans offrir la fonction exutoire ou cathartique du metal traditionnel.

 

 

Écouter Chelsea Wolfe c'est avant tout abandonner l'idée d'aller un peu mieux, comme on peut s’en rendre compte à l’écoute de l'album Pain Is Beauty (dont le seul titre fait figure de programme, et même d'art de vivre).

 

EVERY TIME I DIE (dimanche 18 juin, 22h55 – Warzone)

La scène du Hellfest consacrée au hardcore / metalcore illustre parfaitement l'engagement, le côté « tripes à l'air » du genre metal. Every Time I Die, fondé par les frères Buckley et Andy Williams, propose depuis 1998 un hardcore teinté de grunge qui a rencontré une belle reconnaissance en 2009 avec la sortie de leur cinquième album New Junk Aesthetic et une signature sur Epitaph Records, label de référence du genre. Les multiples changements de line-up (ils en sont à leur sixième bassiste et troisième batteur) et le rythme effréné que s'est imposée la formation de Buffalo n'ont rien cassé à l'énergie déployée sur scène, à l'image d'un genre musical qui porte des messages politiques forts de manière engagée et démonstrative.

 

 

Sans concession, le chant de Keith Buckley (professeur de littérature anglaise dans le civil) ne succombe pas aux clichés, et ses paroles magnifiques représentent un enjeu fondamental de la poétique du groupe (comme souvent dans le hardcore).

 

EMPEROR (dimanche 18 juin, 22h55 - Temple)

On se souvient du live majestueux que la formation norvégienne a donné il y a deux ans sur la Main Stage du Hellfest, pour célébrer les 20 ans de leur premier et mythique album In the Nightside Eclipse.

 

 

Cette année, c'est sous le chapiteau de la scène Temple que le groupe se produira, pour célébrer les 20 ans de leur deuxième album : Anthems To The Welkin At Dusk, qu'ils joueront en intégralité. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à défaut de produire de nouveaux opus, Emperor a l'art de recycler ses chefs d'œuvre. La formule pourrait ailleurs paraître putassière, mais Emperor est un véritable groupe à albums : chacun de leurs quatre disques est produit comme un tout cohérent (et non comme une enfilade de morceaux plus ou moins disparates). Les rejouer sur scène et en intégralité prend donc tout son sens. Pourtant ce deuxième album, contrairement au premier, fut en son temps loin d'emporter l'adhésion, tant les Norvégiens y privilégiaient une certaine complexité des productions ; le sentiment d’évidence qui saisit l’auditeur à l’écoute d’In The Nightside Eclipse se voyait remplacé par une esthétique plus bancale et chaotique, même si toujours captivante. L'œuvre discographique d'Emperor constitue aujourd’hui encore le pilier central d'un black metal symphonique qui a su garder la furie inhérente au genre black, tout en demeurant un modèle inégalé dans l'utilisation de plans symphoniques (introduction de claviers et de voix claires).

 

SLAYER (dimanche 18 juin, 00h50 – Mainstage 2)

Groupe parmi les plus vénérés de la scène metal, légendaire leader du thrash des années 80, Slayer n’a aujourd’hui plus grand-chose à prouver. Le groupe californien se caractérise par ses riffs tranchants, sa vitesse et sa précision d'exécution, son jeu de batterie étendu et le chant de Tom Araya, donnant l’impression d’être constamment à bout de souffle.

 

 

Si l’on excepte une petite période mid-temp qui a accouché en 1988 d’un disque majeur (South of Heaven), le style de Slayer n'a pas énormément évolué, mais a conservé toute son efficacité. Le départ de Dave Lombardo (remplacé par Paul Bostaph) et le décès de Jeff Hanneman (remplacé par le vaillant Gary Holt) n'ont eu qu'un impact limité sur leur musique (le dernier album, Repentless, est une réussite) et leurs prestations scéniques. Ce sera pour beaucoup le dernier grand live de ce Hellfest 2017