Restitution de l'expérience d'une plateforme internet pour promouvoir et soutenir l'activité des femmes dans le milieu des musiques électroniques.

* Cette recension est la traduction, par Frédéric Trottier, d'un texte de Tiffany Naiman initialement publié sur le site de la revue Ethnomusicology Review.

 

La compositrice et chercheuse Tara Rodgers a perçu, à juste titre, un manque d’attention des médias généralistes et de la recherche académique envers la création de musiques électroniques par les femmes. En 2000, elle a créé le site pinknoises.com à la manière d’une plateforme collective pour les artistes féminines, afin de promouvoir leur travail, d'obtenir des conseils et des informations concernant les méthodes de production, ainsi que de disposer d'un espace pour discuter des difficultés et des tribulations de leur travail dans un domaine où la parole est souvent dominée par les hommes. 

Le livre Pink Noises : Women on Electronic Music and Sound est une extension du site crée par Tara Rodgers. Il contient des entretiens très approfondis de vingt-quatre musiciennes et compositrices électroniques, plasticiennes sonores et DJ avec lesquelles Rodgers a été en contact pendant ses recherches et sa carrière. Critique envers sa propre posture, son introduction annonce que le livre « s’articule sur la manière dont des histoires rendent compte et contestent les dynamiques du son dans notre présent» (5) et parle des relations entre le genre, la technologie, les cultures de la musique électronique, exposant lentement son plan pour des débats plus détaillés autour des façons dont le genre opère au sein de la communauté internationale, des médias mainstream, de la promotion en concert et bien d’autres sphères publiques.

Tandis qu’on ne peut s’empêcher d’applaudir ses objectifs, les questions posées par Rodgers ont parfois tendance à rester d’un ordre journalistique avec des résultats anecdotiques, plutôt que de produire des concepts qui font avancer l’enquête théorique. En quelque sorte, on peut envisager ceci comme une bonne idée, car le livre est ainsi facilement accessible. Ici je veux suggérer que son approche simple fait partie intégrante de son projet, Rodgers ayant été « inspirée par l’héritage des Riott Grrrl » (3) qui a proposé un cadre propre aux femmes pour créer, apprendre, et s’organiser au sein même de la scène punk américaine des années 1990, à majorité masculine. En ne remplissant pas le livre de jargons techniques et en y incluant un glossaire, Rodgers crée un livre agréable pour des lecteurs qui sont intéressés par le sujet, mais n’ont pas de grandes connaissances concernant les mécanismes de la création sonore électronique. Dans un premier temps, en présentant de nombreux  entretiens d’artistes féminines phares des musiques électroniques, Pink Noises propose un accès facile à des discours de femmes influentes et créatives, qui leur permettent d’être entendues et de potentiellement en inspirer d’autres, comme l’espérait le mouvement Riot Grrrl. Bien que ces entretiens aident à comprendre les histoires personnelles des artistes, leurs pratiques de la production, et les manières dont elles ressentent leur genre ce qui peut ou non guider leur travail ; ils n’offrent qu’une petite attention critique et substantielle sur les systèmes de contrôle, de pouvoir  ou de désir qui contribuent à la participation des femmes, car ceci n’est abordé que brièvement. 

Pink Noises est avant tout convaincant par un choix d’enquêtés dont les parcours culturels sont divers, et qui couvre différentes générations. De fait, les questions qui leur sont posées n’entraînent surtout pas les artistes sur des discussions à propos d’un croisement d’idée entre le fait d’être une femme en fonction de leur ethnie, leur classe sociale, leur âge et leur orientation sexuelle. Ainsi, nous ne sommes pas en face d’un livre qui reste à la surface en renvoyant ces artistes à des femmes travaillant dans un terrain largement dominé par les hommes, mais simplement en exposant qui elles sont réellement. Ces histoires sont vraiment intéressantes et précieuses puisqu’on acquiert de nombreuses connaissances sur l’émission de radio Liquid Sound Lounge et les légendaires fêtes du Basement Bhangra à New York, sur des créatrices de sculptures et de logiciels sonores, ainsi que sur la femme derrière la philosophie de Deep Listening.

Les entretiens sont divisés en six parties thématiques : Temps et Mémoire ; Espace et Perspective ; Nature et Synthétique ; Circulation et Mouvements ; Langage, Machines et Modes de réalisation ; Seul et Ensemble. Ces six parties donnent au lecteur une base pour appréhender et poursuivre le travail des artistes de chaque section. Chacun des entretiens contient des éléments sur lesquels s’inspirer ainsi que des indications comme autant d’informations pour ceux qui cherchent à développer leur propre art musical avec la technologie. Les entretiens discutent tous de la technologie avec un vocabulaire de la découverte et de l’immensité qui entre directement en opposition avec le « contrôle machiste » (10) que Rodgers pointe dans son introduction. L’ampleur de ces entretiens prouve efficacement combien les formes de la création de la matière sonore électronique sont si extraordinairement diverses.

Grâce aux instructions et aux entretiens contenus dans Pink Noises, ce livre est une ressource importante pour les femmes qui souhaitent créer des sons et des musiques électroniques, ainsi que d’acquérir des connaissances sur leurs aïeules, même s’il ne développe que peu d’analyses qui satisferaient davantage l’intérêt d’un lecteur universitaire. Ce livre est une première étape pour rapprocher ces musiciennes, artistes et compositrices en un projet de cohésion. Il est le début d’une discussion à engager et à compléter par d’autres. Pink Noises fait bien de souligner que les femmes ont été et sont des  pionnières et des innovatrices dans le champ des sons et musiques électroniques. Ce livre fonctionne comme un correctif voulant venir à bout d’un long silence qui a enveloppé le chapitre des femmes dans les musiques électroniques.

Cette traduction s'ancre dans la collaboration avec la revue Ethnomusicology Review. Voici le lien vers la recension originale