Ce quatrième volet de la série « Inde-Pakistan : l'inquiétant regain des tensions » analyse la position indienne dans le conflit qui l'oppose au Pakistan et notamment son discours sur le terrorisme.

 

 

L’Inde ralliée à un Premier ministre nationaliste hindou

La donne mondiale serait-elle au populisme et à la célébration d’hommes (et de femmes) forts, dont le rôle serait celui de sauveurs ? Bien avant les Etats-Unis, l’Inde sembla opter pour cette voie au grand dam des partis de gauche, contraints d’admettre (à demi-mot) leur incapacité à mobiliser une population dont la majorité demeurait pourtant très pauvre. La gauche dispose, il est vrai, de ressources bien limitées et ne peut au demeurant consentir à se livrer à ce que le pays qualifie de politique de dols (ou cadeaux) ; celle-ci constitue un moyen d’acheter le vote d’électeurs issus le plus souvent de milieux très modestes. On ne peut manquer de souligner les procédés contestables dont les partis de gauche ont usé lorsqu’ils gouvernèrent le Bengale occidental durant trente-quatre années (1977-2011). Divers artifices permirent de récolter des fonds qui restent, aujourd’hui encore, considérables. Ainsi les chauffeurs de rickshaws - véhicules à trois roues - ou de taxis, les coolies (porteurs de bagages) travaillant dans les gares de l’Etat se devaient de faire quotidiennement don d’une petite somme (pour eux, précieuse) à un fonds destiné à cet effet. En cas de maladie ou d’accident, ils pouvaient cependant escompter d’une maigre aide financière jusqu’à une reprise toutefois rapide de leur activité professionnelle. Quant aux contributions d’adhérents aux syndicats issus des partis de gauche, elles restent importantes.

A noter que le Parti communiste indien (marxiste), formation dominante du Front des Gauches, fut sans nul doute le plus grand bénéficiaire de l’argent récolté durant le long règne de cette tendance politique. A son arrivée au pouvoir à l’issue des élections législatives de 2011, l’All-India Trinamool Congress (AITC) a repris ce système tentaculaire auquel nul au Bengale occidental - vraisemblablement - n’échappe. Il semblerait, au demeurant, que les formations politiques, en Inde, s’adonnent volontiers - dans les zones où elles sont dominantes - à ce que nous nommerions sous nos cieux un système de racket qui leur permet, par ailleurs, d’alimenter une clientèle d’électeurs.

En tout état de cause, le Premier ministre Narendra Modi et les nationalistes hindous se sont, au lendemain des seizièmes élections générales (7 avril-12 mai 2014), prévalus d’une majorité absolue à la Chambre basse (le Lok Sabha, la Chambre du Peuple) du Parlement. Un récent sondage publié par India Today, hebdomadaire il est vrai favorable au Sangh Parivar   , saluait la popularité du Premier ministre indien   . Aroon Purie, premier rédacteur, écrivait :

« Tous les hommes politiques accèdent au pouvoir en promettant l’espoir, que ce soit Barak Obama et son slogan du « pouvoir faire » (« Yes we can »), Donald Trump qui entend « Rendre à l’Amérique sa grandeur » (« Make America Great Again ») ou Narendra Modi et son « achhe din » [en fait, Achhe din aane waale hain (Les bons jours viendront tout bientôt)]. Cependant, tenir ses promesses […] exige de la conviction, de l’audace et du courage. Les personnes qui ont répondu à L’Humeur de la Nation [Mood of the Nation], enquête que nous conduisons deux fois par an, ont estimé que de telles qualités sont celles qui caractérisaient le mieux le Premier ministre. Pour preuve, les frappes chirurgicales contre le Pakistan et la démonétisation.   Bonne nouvelle pour Modi : il est considéré comme le meilleur Premier ministre [que le pays ait jamais eu], supplantant Indira Gandhi   et A.B. Vajpayee   ; les deux tiers des personnes interrogées estiment qu’il [Modi] est le plus apte à diriger la nation. En outre, le pourcentage que la coalition au pouvoir, la NDA   , obtiendrait si des élections avaient lieu aujourd’hui, est de 42%, ce qui lui permettrait potentiellement de bénéficier de 360 sièges [au Lok Sabha], un résultat qui est au-dessus de celui qui l’a autorisée à une éclatante victoire [en 2014] ».  

Certes, les personnes interrogées ont émis de grandes réserves quant à la piètre mise en œuvre de la politique de démonétisation   . Toutefois,

« Le Premier ministre (alors qu’il est à peine à mi-mandat) a incontestablement su nouer un rapport direct avec la population, un lien éminemment affectif, l’appelant parfois à son secours publiquement lorsqu’il se trouvait en difficulté et en d’autres occasions lui rappelant son statut d’outsider, de « fakir » qui pouvait d’une minute à l’autre renoncer au pouvoir. Il a convaincu les Indiens de sa volonté de mettre en œuvre une politique d’« ashawadi » (d’espoir) qui permettra l’avènement d’une Inde réinventée ».

Cette analyse s’adresse, de toute évidence, aux sceptiques.   Elle omet les consultations électorales de l’année 2017 (en particulier celle d’Uttar Pradesh, Etat le plus peuplé de l’Inde   ) qui décideront de la pérennité de la prédominance politique des nationalistes hindous, en particulier à New Delhi. Mais il est vrai que le gouvernement Modi a tenté deux coups de maître qui ont visé à emporter l’argument : des frappes chirurgicales le 29 septembre 2016 en réponse à l’attentat du 18 septembre précédent dans la région d’Uri (Vallée du Cachemire indien).   ; et ce que l’Inde a nommé une démonétisation entamée le 8 novembre   .

 

Un Premier ministre indien, soucieux de l’opinion pakistanaise

Saluant le sacrifice des soldats décédés au lendemain des événements de septembre 2016, le Président de la République, Pranab Mukherjee, a déclaré :

« L’Inde ne cédera pas à la peur. Nous déjouerons les desseins maléfiques des terroristes et de leur commanditaire [le Pakistan] ».   .

S’exprimant de l’île de Margarita (Venezuela) qui accueillait le dix-septième sommet des pays non-alignés (17-18 septembre 2016), le ministre d’Etat aux affaires extérieures Mobashar Jawed Akbar a dénoncé « la volonté pakistanaise d’user de « poison » plutôt que d’avoir recours au dialogue ».   . Et Akbar de blâmer devant cette instance le soutien d’Islamabad « à la terreur ».   Le Pakistan s’était « réduit de lui-même à un statut d’Etat paria ».   L’Inde, quant à elle, ne consentirait jamais à ce que « l’utilisation de la brutalité » constitue « un instrument » permettant la résolution d’enjeux internationaux.  

New Delhi a semblé - un temps - s’attacher à faire montre de modération. L’option militaire parut écartée. Cependant, le gouvernement Modi a volontiers cédé à la tentation de la provocation. Sans mentionner nommément le Pakistan (préférant l’expression de pays voisin), le Premier ministre a - le 24 septembre - lancé :

« Vous, les dirigeants [pakistanais], parlez de combattre l’Inde durant un millier d’années. Aujourd’hui, il y a à New Delhi un gouvernement capable d’accepter votre défi. A vous peuple pakistanais, je veux vous dire que l’Inde est prête à vous combattre ».   .

Modi, cherchant à parer aux voix qui ne manqueraient pas de blâmer son ton belliqueux, a néanmoins précisé la nature du conflit qu’il envisageait. S’adressant une nouvelle fois au Pakistan, il a déclaré :

« Joignez-vous à moi si vous en avez le courage ; combattons la pauvreté… le chômage… l’analphabétisme. Voyons qui de nous deux sera capable de mettre un terme à la pauvreté le premier ».  

Ainsi le Premier ministre s’est-il de nouveau paré de l’image d’un homme d’Etat, soucieux de favoriser la paix, source de progrès social. Il s’est saisi d’un thème cher aux sociétés civiles des deux pays, lesquelles déplorent le budget alloué à la défense, tandis que de nombre d’enjeux sociaux pourtant urgents demeurent irrésolus. Puis, Narendra Modi s’est adressé directement au peuple pakistanais, lui indiquant que « ses dirigeants l’induisaient en erreur lorsqu’ils évoquaient un conflit d’une durée de 1000 ans qui porterait sur le Cachemire, une allusion […] à une déclaration de l’ancien Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto.   Le Premier ministre a ajouté que « bientôt » les Pakistanais en viendraient « à combattre la politique » de leurs dirigeants, laquelle « nourrissait le phénomène terroriste ».  

 

L’Inde, initiatrice d’une coalition contre la terreur

Le 26 septembre 2016, l’Inde, s’exprimant à la tribune de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, a enjoint - par la voix de son ministre des affaires extérieures Sushma Swaraj   - au Pakistan de renoncer à son rêve de s’emparer du Cachemire.   . Swaraj, répondant à Nawaz Sharif qui s’était exprimé précédemment, appelait Islamabad à examiner « les abus flagrants [les violations des droits humains] au Baloutchistan [Etat de la fédération pakistanaise qui réclame l’indépendance] au lieu de lancer des accusations sans fondement à l’encontre de l’Inde. Et la ministre de souligner la tentative de son gouvernement d’inaugurer une politique d’amitié avec le Pakistan, lequel avait rétorqué par des attentats tel celui d’Uri. Faisant allusion à demi-mot aux bons et mauvais terroristes   , Sushma Swaraj a appelé « la communauté mondiale » à définir « une stratégie efficace » qui conduirait à l’éradication de cette « menace ».   . Tout Etat qui refuserait de se plier à la politique ainsi définie serait « isolé ». Et la ministre des affaires extérieures d’enfoncer le clou, soulignant :

« En notre sein, il y a des nations qui parlent encore le langage du terrorisme qui le nourrissent… et l’exportent. […] Nous devons les identifier et les en tenir comptable. »  

Ce même jour (le 26 septembre 2016), l’Inde a demandé à la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies « de presser le Pakistan à consentir à une honnête introspection », examinant la nécessité « de prendre des mesures à l’encontre des responsables des attaques terroristes qui avaient visé - de son territoire - ses voisins ».   . L’Inde a alors condamné le Pakistan l’assimilant à un Etat-voyou ; elle a insisté sur le fait qu’elle n’était pas la seule à souffrir du terrorisme exercé par l’Etat pakistanais ; « d’autres pays de l’Asie du Sud » en faisaient désormais la triste expérience.

 

De la définition de mesures de rétorsion

La diplomatie indienne s’est flattée d’une première victoire : l’annulation du sommet de l’Association de l'Asie du Sud pour la Coopération Régionale (South Asian Association for Regional Cooperation, SAARC)   qui devait se tenir, le 9 et 10 novembre 2016, à Islamabad. Quatre des pays-membres (l’Afghanistan, le Bhutan, le Bangladesh, enfin le Sri-Lanka) ont annoncé, à l’instar de l’Inde, qu’ils ne se rendraient pas au Pakistan.

New-Delhi a examiné deux autres mesures de rétorsion qui étaient cependant difficilement applicables, puisqu’il souhaitait se montrer respectueux de ses engagements internationaux. Il a ainsi contemplé un temps l’abrogation d’un accord que les deux adversaires avaient conclu en septembre 1960, suite à la médiation de la Banque Mondiale : le Traité sur les eaux de l’Indus (Indus Water Treaty) et de ses affluents. De même le gouvernement Modi a envisagé l’annulation de la clause de la nation la plus favorisée que l’Inde avait, suite à son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce, accordé (en 1996) au Pakistan. Celui-ci n’avait guère consenti à exercer une réciprocité que l’Inde jugeait pourtant nécessaire  

L’Inde, multipliant les gestes diplomatiques, envisageait parallèlement l’option armée. Du moins la presse nationale débattait-elle de l’utilité de mettre un terme à l’impunité dont jouissait le Pakistan, alors que ce dernier frappait son voisin sans craindre de représailles en son sol. New Delhi avait, en fait, mené plusieurs opérations de représailles en Azad Jammu and Kashmir (territoire sous administration pakistanaise), comme on l’apprendrait au lendemain du 29 septembre 2016. Mais il ne s’en était jamais vanté, car il voulait éviter l’escalade. Les deux pays, faut-il le rappeler, sont détenteurs de l’arme nucléaire, tandis que leurs dirigeants - notamment lorsqu’ils se trouvent en difficulté sur la scène nationale - réveillent volontiers le démon d’un antagonisme qui débuta suite à la partition du sous-continent indien.

 

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