Focus sur la ville : des acteurs privés et publics à l’origine des inégalités ?

Avec La ségrégation urbaine, les sociologues Marco Oberti et Edmond Préteceille proposent une étude très stimulante et synthétique sur un phénomène aux facettes multiples, qui occupe plusieurs branches des sciences sociales, et qui est devenu un enjeu majeur des politiques publiques.

Tous deux membres de l’Observatoire sociologique du changement (lié à Sciences Po et au CNRS), ils présentent en trois parties (caractéristiques, causes et effets de la ségrégation) une réalité dont les implications engagent en réalité toute la société, puisque la ségrégation urbaine est d’abord la manifestation dans l’espace – essentiellement urbain – des différences, des inégalités et des discriminations sociales entre des individus d’un territoire. Ils s’appuient sur la France mais également sur des comparaisons internationales et notamment américaines, en particulier en faisant référence aux travaux précurseurs de l’Ecole de Chicago, distinguée par ses chercheurs spécialistes de sociologie urbaine.

 

Des logiques économiques et sociales en œuvre

Les origines de cette ségrégation ne peuvent se comprendre qu’au moyen d’un détour préalable par les caractéristiques économiques de la ville, ou de sa région. Une dominante d’activités industrielles ou de tertiaire, par exemple, peut avoir une influence sur la composition d’une ville et les interactions sociales qui peuvent exister.

Par ailleurs, l’importance du rôle de la qualité des transports, des services et équipements publics est également mis en avant dans ce processus. L’accent est notamment mis sur l’environnement scolaire à l’échelon local, avec par exemple la réputation d’une école, les formations qu’elle propose… qui peuvent avoir un impact sur les stratégies familiales des différentes classes sociales, et en particulier des classes favorisées.

Enfin, comment parler de ségrégation urbaine sans évoquer la gentrification ? L’action des promoteurs immobiliers accompagne ce phénomène par lequel un espace urbain, qui au départ était relativement hétérogène socialement, commence à voir s’imposer des classes moyennes et/ou supérieures dans le cœur ou certains quartiers d’une ville. Dans l’opinion commune, ce phénomène relève d’un certain « embourgeoisement » cultivé par la recherche de l’entre-soi, qui se révèle dans divers domaines plus ou moins visibles (scolaire, de l’habitat…)

Des effets et enjeux sur la société

Les constats des inégalités au sein du territoire posent la question des politiques publiques mises en œuvre afin d’y remédier. Marco Oberti et Edmond Préteceille évoquent dés lors une série de mesures, selon un ordre chronologique démarrant dans les années 1960-1970 en France. Elles concernent par exemple les politiques relatives au logement, au développement des services publics et à l’enseignement.

L’enjeu de ces politiques est d’autant plus important que cette ségrégation engendre des inégalités en termes de conditions de vie, de performances scolaires, et même de citoyenneté (puisque la ségrégation urbaine se révèle aussi dans les écarts de taux de participation politique des habitants d’une même ville, par exemple).

Enfin, les auteurs insistent sur une dimension décisive pour la compréhension des enjeux de ce phénomène : à la ségrégation subie par les classes populaires s’oppose une ségrégation choisie, celle de la grande bourgeoisie étudiée par les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot.