À l'occasion de Monkey money, donné à la Maison des Métallos à Paris, nous sommes allés rencontrer Carole Thibaut. Elle revient sur les détails de sa pratique théâtrale d'autrice, metteuse en scène et actrice, sur son expérience de directrice de CDN et retrace le cheminement créatif qui a précédé Monkey Money. Elle évoque son engagement militant et son idée de l'art, des artistes, et du théâtre.

 

Carole Thibaut

 

Nonfiction : Carole Thibaut, après avoir été actrice et metteuse en scène, vous commencez en 2007 à écrire vos propres spectacles. Comment en êtes-vous venue à l’écriture ?

C.T. : Depuis que je sais écrire, j’écris. J’écris des nouvelles, de la poésie, des essais de romans. J’ai commencé à écrire pour le théâtre en passant par des adaptations de romans que je portais à la scène. C’était déjà une forme de travail dramaturgique. Dans l’écriture d’une adaptation, je poursuivais mon expérience de metteuse en scène. Et comme je suis venue au théâtre à partir de l’œuvre littéraire et de la lecture, je poursuivais donc cette ligne. Petit à petit, j’ai commencé à écrire des œuvres théâtrales originales, et non plus adaptées, que je confiais à d’autres metteurs en scènes. Jusqu’au jour où l’on m’a dit que je devrais mettre en scène moi-même mes propres œuvres, car c’était le prolongement de mon travail autour de l’écriture théâtrale.
Ce sont des évidences qui s’imposent peu à peu. J’ai besoin de temps pour comprendre vers où j’avance. Il m’a fallu plusieurs années pour voir que le jeu, l’écriture et la mise en scène ne faisaient qu’un pour moi.

Nonfiction : Vous dirigez le Centre Dramatique National de Montluçon depuis janvier 2016, est-ce que cela a changé votre façon de travailler en tant que metteuse en scène, actrice, autrice ?

CT : Il est difficile de m’en rendre compte aujourd’hui, parce que j’ai consacré les six premiers mois à la reprise du lieu. Il s’agissait de prendre la direction de cette institution. Actuellement, je suis en plein travail de plateau, et je n’ai pas l’impression que cela ait changé quelque chose. Bien sûr, c’est une activité très dense, une responsabilité très lourde. Il ne faut pas se laisser avaler par la fonction. Il faut continuer à oser prendre des risques, à oser se mettre en péril et continuer à sortir de ses propres limites. Ne pas avoir peur de se tromper, ne pas craindre l’échec, même si la fonction de directrice de CDN peut rendre la situation plus angoissante. Sur le plan symbolique et institutionnel, la fonction est pesante, alors que le directeur ou la directrice d’un CDN est avant tout un artiste. Or, un artiste est quelqu’un qui est en fragilité. Il cherche, il avance à tâtons, dans l’obscurité. C’est ça qu’il ne faut pas perdre. Il ne faut pas se laisser avaler par la dimension paralysante, sur le plan symbolique, de la fonction, et il faut absolument préserver la création artistique. Le risque, en effet, est de se laisser complètement absorber par la gestion d’une maison.

Nonfiction : Ne pas laisser l’institution dévorer la création ?

CT :  L’institution en tant que telle bien sûr, mais aussi le temps que prennent les tâches simplement nécessaires : la direction, l’administration, la gestion. Je le voyais déjà quand je dirigeais ma compagnie. La gestion et la recherche de production prenaient parfois le pas sur le travail artistique. Au CDN, c’est la même chose. Protéger ce lieu pour lui conserver, dans toute leur fragilité, des espaces-temps propices à la création artistique.

 

 

Nonfiction :  Dans vos pièces de théâtre, que ce soit L’enfant – drame rural, Fantaisies ou Monkey Money, on vous sent très engagée. L’art est-il – doit-il – être politique ?

CT :  L’art en lui-même n’a pas nécessairement à être politique. C’est simplement une obsession personnelle. Je pense que tout artiste tisse son œuvre autour d’une ligne obsessionnelle, et mes obsessions profondes sont liées au monde qui m’entoure. La question du politique se pose alors naturellement. Certaines formes d’injustice, la question du collectif et de l’individu, le rapport de ce dernier à la domination, l’obéissance tacite, aveugle sont des sujets qui m’obsèdent. Chez les artistes, tout est toujours lié à leur rapport au monde. Ce n’est donc pas l’art qui doit être politique, mais ce sont les artistes qui parfois le rendent politique lorsqu’il s’agit de leur obsession.
Certains ont défendu l’art pour l’art. Mais mettre en avant l’art pour l’art était à une certaine époque profondément politique. Ainsi, même si je ne lis pas le monde uniquement de ce point de vue, il reste que les œuvres qui me touchent ont cette dimension. À mes yeux, Baudelaire est un poète politique.

Nonfiction :  Vous êtes co-fondatrice de HF Île-de-France   . Votre engagement passe aussi par l’utilisation revendiquée du mot « autrice » à la place de « auteur » ou  « auteure ».  Comment expliquez-vous ce mot et son importance ?

CT : Ce mot s’explique par son histoire, histoire pour le coup éminemment politique. Le fait de l’employer aujourd’hui est une affirmation politique, un acte de résistance. C’est un mot qui existe depuis l'antiquité, il est dérivé de auctrix, féminin latin de auctor. Il a été censuré et enlevé de la langue française quand l’idéologie au pouvoir a voulu que les femmes ne puissent pas être « autrice », c’est-à-dire qu’elles ne puissent pas créer. On a, en revanche, inventé le mot actrice, qui renvoie au fait non pas de créer, mais d’acter quelque chose qui est créé par un autre. L’histoire du mot autrice est extrêmement politique. Je ne suis d’ailleurs pas la première à le revendiquer. En tout temps des autrices ont revendiqué ce mot, c’est une forme de résistance politique. Je crois infiniment au pouvoir des mots et à leur pouvoir symbolique ! Les endroits où ils prennent racine sont nos mémoires culturelles, nos mémoires inconscientes collectives. Ce sont donc des choses extrêmement puissantes. Les mots sont importants, il faut faire attention à ce qu’on dit et à ce que les mots qu’on veut nous faire utiliser disent. Ce n’est pas anodin d’effacer un mot et d’en mettre un autre à la place. 

Nonfiction : Autrice, contrairement à auteure, rend aussi audible la créatrice ?

CT : En réalité, je serais heureuse qu’on n’ait pas besoin de rendre audible le caractère féminin de la fonction créatrice. J’aimerais bien qu’il y ait un mot qui raconte le caractère profondément universel de l’acte créateur. Si la question du sexe n’avait plus d’importance, ça me serait égal qu’on dise de moi que je suis une auteur femme ou un auteur humain, ou même un auteur homme. Je serais la première heureuse de voir que la désignation sexuelle n’a plus d’importance. Mais à l’heure actuelle, l’humanité, en tous cas en France, n’en est pas encore là. Quelqu’un qui est « auteur », est forcément un homme. La femme est toujours perçue comme une exception. Il faut donc créer le mot, ou plutôt redonner ses lettres de noblesse au mot « autrice », pour ainsi rendre sa dignité à la femme auteur, afin que celle-ci finisse par rentrer complètement dans une forme d’inconscient collectif. À terme, il sera indifférent (socialement, professionnellement, idéologiquement) qu’un auteur soit une femme ou un homme. Nous n’en sommes pas encore là. C’est pourquoi nous sommes obligées de revendiquer la fonction créatrice et la dénomination « autrice ». 

 

Dans cette vidéo du Théâtre du Nord, où Monkey Money a été créée, Carole Thibaut présente l'argument de la pièce et raconte comment elle l'a écrite."

 

Nonfiction : Vous avez écrit votre dernier spectacle, Monkey Money, suite à une journée passée dans une entreprise de vente de crédits. Du plateau « openspace » au plateau de théâtre, quelque chose semble s’être joué dans le langage – de quoi s’agissait-il ?

CT : Le vocabulaire de l’entreprise, son discours, m’a beaucoup frappée, mais aussi amusée. Je l’entends aussi ailleurs, y compris dans le milieu du théâtre, il se répand partout. Il est étonnant de voir à quel point on peut manipuler, subtiliser des mots et les vider totalement de leur sens. Comment se peut-il faire que quelqu’un qui fait tout simplement commerce de l’argent – une entreprise de vente de crédits – puisse en même temps revendiquer les mots de « solidarité » , « partenariat », « fraternité », « humanité » ? Comment peut-on se servir de la chanson Imagine, de John Lennon, pour en faire la publicité d’une banque ? C’est tellement énorme qu’on finit par en rire. Mais ce qui est grave, c’est qu’on finit par oublier l’absurdité de cela, et trouver cela normal. 

Ainsi, une fois qu’on commence à regarder ce genre de chose de plus près, ça devient vraiment très étonnant. J’en suis amusée, et en même temps, cela m'énerve. Prenez par exemple le discours du directeur dans Monkey Money : quand on ne sait pas que c’est un directeur de banque, on peut penser que c’est un grand humaniste qui parle, bouleversé par le devoir humanitaire qui lui incombe. Mais en réalité il s’agit d’un jeune directeur de banque qui vend du crédit à la consommation. Je n’ai rien inventé, je n’ai pas même exagéré les choses, ce genre de discours existe vraiment dans les banques. Quant aux publicités, nous en sommes nécessairement victimes. Celles du Crédit Agricole sont extrêmement drôles. Certains vont vraiment très loin dans le genre. 

Mais ce qui est particulièrement choquant, c’est de voir comment des gens tout-à-fait ordinaires, tout-à-fait sympathiques, des gens comme vous et moi, peuvent assassiner économiquement et socialement d’autres gens, en se disant simplement que ça ne les concerne pas. Et que ce qui compte, c’est de récupérer l'argent : si leur métier consiste à courir après des gens qui ne peuvent plus rembourser leur emprunt, et qui sont au bord d’être jetés à la rue avec leurs enfants, ils le font, car c’est leur métier. Il n’est pas question pour moi de les juger, mais d’essayer de comprendre cette mécanique qui nous saisit tous. Ce ne sont pas de méchants tueurs, mais juste des gens qui obéissent à un ordre établi, l’ordre de l’entreprise et l’ordre d’une société qui ne repose plus que sur des règles d’échanges économiques et commerciaux. Voilà ce qui est hallucinant, cette banalité de l’indifférence, et j’ai tenté de la représenter.

Nous savons bien que nous appartenons à une société capitaliste, baignée d’une idéologie néo-libérale. Pour autant, comment la responsabilité de chacun et la solidarité peuvent-elles s’y dissoudre à ce point ?  Tout à coup me voilà dédouanée de toute forme d’empathie vis-à-vis de l’autre, parce que moi-même je suis inscrite dans une structure, dans une entreprise, et que ce qui se passe en dehors ne me concerne pas. Je fais mon boulot, j’obéis. Cette obéissance structurelle me bouleverse profondément. Elle me bouleverse parce que personne n’y échappe. Tous autant que nous sommes, nous nous inscrivons dans une structure d’obéissance. Nous obéissons à des injonctions, en permanence, sans même en prendre conscience.

Actuellement, les propos terribles qu’on entend au sujet des réfugiés et sur les politiques d’immigration, relèvent de la même analyse. Les gens ne sont pas des bourreaux horribles. Ils avalent juste, avec une parfaite obéissance, tout ce qu’on leur fait croire, toutes les images qu’on leur montre. C’est bien plus facile que de réfléchir. Je trouve que notre capacité à obéir aux injonctions est effrayante.

Nonfiction : Dans Monkey Money, quand le jeune directeur fait un discours aux employés de la banque, il est étonnant de voir à quel point le public s’identifie aux employés, et à quel point il est séduit, embarqué, comme s’il entrait en complicité, sans aucun état d’âme. Est-ce que la relation au public représente un enjeu théâtral particulier pour vous ?

CT : A partir du moment où l’on fait du théâtre, on se pose évidemment la question du rapport au public et de la manière dont on veut le toucher. Cela ne veut  pourtant pas dire qu’on va programmer de manière machiavélique une certaine forme de réaction. Ce qui me plaît, au contraire, c’est tout ce qui m’échappe. J’aime que les gens soient pris dans un rapport critique à ce qui se produit sur la scène. Le public est libre de s’approprier ou non l’histoire, d’en être touché ou non. C’est cette aventure singulière de la rencontre qui m’intéresse.

Mais, effectivement, j’ai été étonnée de voir à quel point les gens réagissent à ce passage de la pièce. Il y a une ambiance de fête, le jeune directeur est très sympathique, et puis on distribue à boire au public. Ce n’était vraiment pas du tout voulu dans un but machiavélique, mais seulement pour instaurer l’atmosphère de cette soirée dans l’entreprise. Pendant les représentations je me suis rendu compte que le public réagissait et s’identifiait sans mesure. Les gens vont au théâtre un soir et tout d’un coup il y a de la musique à fond, il y a à boire, il y a un cynique plutôt sympathique qui fait des cabrioles, il y a des paillettes qui tombent du plafond, c’est cool, c’est la fête. Tout ce côté festif et drôle, tellement plaisant, nous anéantit. C’est lui qui nous écrase le système cérébral à longueur de temps. Non qu’il ne faille jamais faire la fête. Il ne s’agit pas d’être triste tout le temps. L’idée, c’est que des idéologues et des entreprises nous font accepter des opinions et des actes dangereux, en nous faisant croire qu’il s’agit simplement d’amusements. Il faut rester vigilant et en éveil.
Mais la scène festive de la pièce n’était pas conçue pour tromper le public. Le résultat est étonnant et il révèle de manière inattendue une vérité de ce qui est en question dans ce spectacle.

Nonfiction : Certains personnages de l’entreprise ont leur double dans le monde de la cité, d’autres au contraire passent d’un monde à l’autre. Pourquoi ce jeu de vrais-faux miroirs ? 

CT : L’histoire du double m’est d’abord venue parce que le Calderón   de Pasolini me tournait dans la tête au moment où j’ai commencé l’écriture de la pièce. C’était donc mon premier fil, qui s’est perdu ensuite. Mais il en est resté cette question du double. L’histoire de cette jeune fille, chez Pasolini, qui se réveille chaque fois dans des milieux totalement différents, tout en se retrouvant toujours face aux mêmes personnes, m’intéressait. En effet, les identités des personnes ont des résonances différentes en fonction de leur milieu. Une sœur est aussi une prostituée. Une mère est aussi une très grande bourgeoise. J’ai beaucoup réfléchi à ces variations en fonction du milieu : comment mes personnages se retrouvent, passant d’un milieu à un autre, avec en face d'eux des gens qui leurs sont proches et qui leur ressemblent ou ressemblent à leurs proches. 

 

 

Une autre source d’inspiration a été une femme que j’ai interviewée. Elle travaillait en entreprise et avait successivement fait deux « burn-out ». Et cependant, à chaque fois, elle était revenue travailler au sein de cette même entreprise, un fait assez rare. Elle m’a raconté que son état lui avait causé une crise hallucinatoire. Les gens qu’elle croisait dans la rue avaient le visage de ses proches, et notamment le visage d’un frère qu’elle s’était inventée – elle n’en avait pas en réalité. Elle donnait aussi des chèques aux sans-abris qu’elle voyait dans la rue, en croyant que c’était son frère qui s’était ainsi déguisé. C’était profondément effarant d’imaginer cette femme dans cet état mental, car c’était une personne plutôt froide, qui avait adopté une démarche très carriériste. Elle était très dure avec les gens qu’elle avait sous sa responsabilité. Or, d’un seul coup, sa carapace s’était brisée. Elle avait basculée de l’autre côté, s’était soudainement ouverte aux autres et apercevait son “frère” partout.
 
Quand K, la fille du « grand vieux directeur de tout », dans Monkey Money traverse le mur et se retrouve dans le monde des pauvres, après avoir été dans le monde des riches, on ne sait plus si on est dans la réalité ou si ça se passe dans sa tête. Quand elle voit le vieil homme en train de mourir dans la rue, est-ce vraiment son père ? Ou se l’imagine-t-elle ? Cette limite-là m’intéresse. Quel effet cela produirait-il sur nous si le jeune homme qui vend de l’eau dans la rue, ou le réfugié soudanais, avait le visage de notre père ou de notre frère ? Comment réagirait-t-on ? 

Nonfiction : Comment réagir quand certaines frontières deviennent poreuses ?

CT : C’est la question de l’empathie. Il est toujours facile de rejeter l’autre quand cet autre reste l’autre. C’est un étranger, peu importe. Il n’est pas de mon milieu, que vient-il faire là ?  Mais quand l’autre n’est plus l’autre, quand l’autre devient une part de moi-même ? Voilà pourquoi l’on est très sensible aux enfants : n’importe quel enfant nous touche comme si ça pouvait être le nôtre. D’où la puissance des photographies de presse, celle du petit Aylan sur la plage, ou celle du petit garçon qui a traversé un bombardement. On n’a moins d’instinct de protection vis à vis des adultes, donc au fond moins d’empathie. Mais si, en revanche, ces personnes qui meurent dans la Méditerranée avaient les visages de nos pères ou de nos mères, quelque chose d’extrêmement fort se produirait en nous. 

Nonfiction : Pensez-vous que la création, aujourd’hui, est à la mesure de la gravité du monde qui nous entoure ? 

CT : Le ressort de la création et de l’expression artistique se trouve généralement dans la résistance, et dans une pensée qui contredit la pensée consensuelle. Je reconnais qu’il y a là un paradoxe apparent, dans la mesure où je dirige une maison institutionnelle. C’est la difficulté de l’exercice, puisque nous recevons des subventions et survivons grâce à l’argent public. Sans ce modèle économique, je ne sais pas comment la création pourrait exister. Et cependant, la création s’inscrit en lutte contre tout appareil idéologique. Il faut lutter contre quelque chose en nous  et continuer à être artiste.

En ce sens, le service public du théâtre, en France, est magnifique, puisqu’il rend possible le financement de l’activité créatrice d’artistes qui ne seront pas dans le consensus faussement démocratique. Ces artistes portent des voix dissonantes, et la liberté d’expression de ces voix dissonantes est garante de la démocratie.

Bien sûr, je ne crois pas que les artistes soient à eux seuls les gardiens de la démocratie.  Mais c’est parce qu’on réfléchit en marge, contre, en opposition, c’est parce qu’on fait les choses un peu de biais, c’est grâce à ces regards-là, à la singularité de ces regards d’artistes, qu’on interroge réellement nos sociétés. Si on se met tous à penser dans le même sens, on n’interroge plus rien du tout. Le totalitarisme est là. S’il n’y a plus de liberté de pensée ni plus aucune possibilité d’avancer intellectuellement, il n’y a plus rien. 

Je ne suis donc ni optimiste, ni pessimiste. Je pense que l’artiste est et sera toujours là, dans n’importe quelles conditions. Ces conditions peuvent être extrêmement difficiles. Actuellement, elles se dégradent. Elles se dégradent sur le plan financier, mais aussi sur le plan politique. Il y a des responsables politiques qui n'ont plus envie de ce regard singulier, de ce pas de côté qui est pourtant l’endroit où la société s’oxygène. Certains politiques aimeraient plutôt écraser tout. Sortir un bon rouleau compresseur de type totalitariste. Notre univers actuel est un totalitarisme qui ne dit pas son nom. Il n’y a pas que l’extrême droite et les fascistes, cette pensée totalitaire est partout, dans les médias comme au sein de certains partis politiques. 

Je crois donc qu’il est compliqué pour les artistes aujourd’hui de survivre, mais qu’en même temps ils n’ont jamais eu autant à faire et à créer qu’en ce moment, et qu’il est grand temps qu’ils se réveillent.

 

 

Nonfiction : Avez-vous des projets en cours actuellement ? 

CT : Oui, j'en ai beaucoup, je suis une hyperactive, j'ai énormément de projets ! En premier lieu, l’animation du CDN. Cette maison est à mes yeux, elle aussi, un objet de création. On y a créé une bibliothèque, un espace intérieur où les gens peuvent venir toute la journée se poser. C’est chaleureux, les enfants y sont bienvenus, il y a de grandes tablées, des garderies. C’est une maison en évolution constante.

D’un point de vue artistique, accompagner les projets des autres créateurs fait aussi partie de ma démarche de création. Ces rencontres-là me nourrissent profondément en tant qu’artiste. La maison abrite d’autres voies, d’autres pensées, d’autres univers qu’elle aide à éclore. 

En ce qui me concerne, j’ai bien sûr des projets personnels. Avec une jeune troupe de comédiens en voie de professionnalisation, je travaille actuellement autour d’une variation contemporaine d’On ne badine pas avec l’amour, de Musset. Ce nouveau texte, qui s’appelle Les Variations amoureuses, traite de la découverte de l’amour, des interrogations des amants, du devenir de notre personnalité à l'approche de l’âge adulte. Pour l’écrire et le construire, nous irons dans la ville, sur le territoire, interroger les gens sur leur vision de l’amour aujourd’hui, comme l’a fait Pasolini dans les années 60 en Italie – ce qui a donné lieu a un documentaire   si drôle et si généreux. Il voulait faire un portrait sociologique de l’Italie à travers ces interviews de gens extrêmement différents qu’il interrogeait sur l’amour, le divorce et la vie.  Nous allons faire ici la même chose, à notre mesure. C’est un territoire passionnant : il y a des gens qui viennent de tous les horizons, de tous pays, de la ruralité, de l’industrie, de la post-industrie. Il y a plein de choses à inventer la dessus avec des gens très engagés. On va travailler sur le territoire comme je l’avais déjà fait pour L’enfant, autour de la mémoire, et de l’identité.

 

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