Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Aujourd'hui, quand la prise de conscience du changement climatique fait passer les climats au singulier...

Du 7 au 18 novembre prochain se tiendra à Marrakech la COP22. Mais un an après la signature de l’Accord de Paris, qui devait permettre d’atteindre la fin du siècle en limitant le réchauffement climatique à +2°, tous les pays signataires sont loin d’avoir ratifié le texte.

Pourtant, on est face à l’un des rares problèmes qui concerne vraiment tout le monde. D’ailleurs, le vocabulaire le dit bien : qui parle encore DES climats au pluriel ? Tout le monde a accepté le passage au singulier, et tout le monde, jusqu’à Leonardo di Caprio, s’inquiète pour LE climat. Un singulier très symbolique, puisqu’il désigne directement l’interdépendance de nos écosystèmes. Pas de planète B, pas de retour en arrière quand les transformations se seront accélérées. Et si le terme est ancien, l’idée – elle – est nouvelle.

 

Quand le climat, c’était chacun pour soi

 

À l’origine, le terme de climat renvoyait exactement à l’idée inverse : il signifiait le découpage et la fragmentation de la terre en zones distinctes, tel que l’imaginaient les géographes grecs de l’Antiquité. Pour eux, au centre du monde se trouvait une bande aride, réputée inhabitable en raison de la chaleur. Puis vers le Nord comme vers le Sud se suivaient des bandes climatiques alignées parallèlement, habitables, mais de plus en plus froides, jusqu’aux zones inhabitables à l’extrême nord et à l’extrême sud. C’est, sous une forme différente, ce que nous avons appris à l’école, avec des cartes divisées en climat équatorial, tempéré, polaire…

Or ces climats pluriels donnent vite naissance à une hypothèse très déterministe : on postule que les différences atmosphériques entraineraient des différences chez les populations qui les habitent, aussi bien de physique que de caractère. Montesquieu n’invente donc rien avec sa théorie des climats, il renouvelle plutôt un paradigme antique que le Moyen Âge a véhiculé et élaboré.

 

La théorie des climats et la hiérarchie des peuples

 

Car au Moyen Âge les climats sont une catégorie qui sert à classer les peuples, voire même à les ordonner selon une hiérarchie supposée. Ainsi, les climats doux et tempérés seraient le berceau de la vertu et la cause d’une apparence harmonieuse, tandis que les marges des cartes voient proliférer toutes sortes de barbares au physique plus ou moins monstrueux et à l’attitude agressive. C’est une constante que l’on retrouve dans la géographie médiévale latine comme arabe.

Mais ce qui est intéressant, c’est que chacun voit midi à sa porte, et imagine vivre au cœur du climat le plus tempéré. Ainsi chez Ibn Khaldun, philosophe maghrébin du XIVe siècle, les peuples policés vivent dans la zone idéale, de l’Irak à la Syrie. Au contraire, au nord, là où le soleil n’atteint jamais le zénith, le froid engendre une série de transformation des populations : « les yeux deviennent bleus, la peau montre des taches de rousseur et les cheveux deviennent roux. » 

Evidemment, au nord de la Méditerranée, les Latins ne s’inquiètent pas particulièrement de leurs tâches de rousseur : ils tendent à placer les conditions idéales en Europe… à moins que la géographie religieuse ne l’emporte sur la géographie vécue, et que la Terre Sainte ne soit désignée, sainteté oblige, comme le lieu du climat le plus propice. Peu importe, finalement, où l’on place le centre. Ce qui compte, c’est que le monde soit ordonné en zones différentes.

Et là-dessus, tout le monde est d’accord : le terme grec kimata se retrouve chez les Latins sous la forme de climat, chez les Arabes transformé en Iklim : l’important est que chacun perçoit sa zone comme isolée, presque étanche.

 

Et l’homme créa le climat

La pluralité des climats médiévaux exprime donc une vision de la terre compartimentée, hiérarchique, et centrée sur l’homme. Car si les climats sont ainsi organisés et découpés, c’est bien sûr pour l’homme, au centre de la création.

Or aujourd’hui le déterminisme s’inverse : ce ne sont plus les climats qui régissent nos caractères, mais plutôt nous qui transformons les conditions atmosphériques. Les scientifiques considèrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle de l’Anthropocène, où l’activité humaine est le premier agent de modification du climat.

L’histoire environnementale s’attaque déjà à ces nouvelles questions, en tentant de faire une histoire des sociétés qui fasse une place plus grande aux facteurs naturels. La grammaire a été encore plus rapide : elle a fait passer les climats au singulier.

Le terme même qui signifiait la séparation du globe signifie maintenant l’interdépendance des espaces. Mettre le climat au singulier, ce serait donc déjà une prise de conscience, qui appelle une prise de position. 

Pour aller plus loin :

 

- Patrick Gauthier Dalché (dir.), La Terre. Connaissance, représentations, mesure au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2013.

- Henri Bresc et Emmanuelle Tixier du Mesnil (dir.), Géographes et voyageurs au Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010.

- Jean Marc Besse, Les Grandeurs de la terre : aspects du savoir géographique à la Renaissance, Lyon, ENS Edition, 2003.

- Le film Before the Flood, réalisé par Fisher Stevens et co-produit par Leonardo di Caprio pour National Geographic, est en ligne gratuitement jusqu’au 6 novembre… pour peser sur ces derniers jours de campagne américaine.

- Timothy Mitchell, Carbon democracy, le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.

 

 

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