Un livre hommage où se dessine une poétique humaniste à travers une lecture des œuvres et de la trajectoire de René Depestre.

René Depestre est un écrivain majeur de la littérature haïtienne. Comme beaucoup d’autres poètes et intellectuels, comme beaucoup d’autres Haïtiens en général, il a été contraint à l’exil pendant la dictature de Papa Doc (François Duvalier) : écrivain diasporique, il a développé une œuvre singulière, toujours en lien cependant avec un pluriel, un groupe. L’ouvrage dirigé par Marie Joqueviel-Bourjea et Béatrice Bonhomme explore cette tension et le rapport de l’individu au collectif dans la création littéraire semble bien la ligne directrice qui traverse les différents articles.

Le livre est né d’un colloque organisé en mai 2014 à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, alors que cette institution venait d’acquérir le fonds René Depestre, qui nous est présenté à la fin de l’ouvrage par Chantal de Grandpré. Pourtant le livre ne propose pas encore un travail sur ces archives, qui donneront certainement lieu à des publications ultérieures. René Depestre. Le Soleil devant s’attache plutôt à décrire la poétique de l’écrivain. C’est aussi un livre d’hommage. Ainsi, l’essayiste et poète Jean-Luc Steinmetz signe un texte introductif qui entre explicitement dans cette logique. Le cœur de l’ouvrage donne la parole à d’autres écrivains qui témoignent, en vers, en prose poétique ou sous la forme de l’essai, de leur attachement à René Depestre, de la résonance que son œuvre a dans leur parcours. Enfin, le livre s’ouvre et se clôt, d’une certaine manière, sur deux textes de René Depestre lui-même, qui sonnent moins comme une manière d’encadrer la lecture que l’on fait de son œuvre que de tisser des liens avec son parcours ou avec l’actualité.

L’ouvrage est cependant pour sa majeure partie constitué d’études sur l’œuvre de l’écrivain, dont la diversité est prise en compte : les contributions analysent aussi bien la poésie que les romans et nouvelles, ainsi que les essais. De manière assez fine et convaincante, les différentes contributions concilient les deux « images » qui sont attachées à René Depestre. L’article d’Éric Dazzan est intitulé « Eros politique / Eros poétique » : plutôt que de voir dans l’œuvre de Depestre la juxtaposition du poète engagé et du poète érotique, il montre en quoi l’érotique est ce qui permet de suivre Depestre dans son parcours politique en ce que l’érotique est une affirmation de la liberté individuelle face aux injonctions oppressantes des groupes. Une « politique de la littérature » – pour reprendre un terme du philosophe Jacques Rancière, que cite dans l’ouvrage Michael G. Kelly – se dessine ainsi chez Depestre. Et les contributeurs en explorent différentes facettes : Rémi Guittet étudie la temporalité induite par cette articulation ; Thierry Ozwald se penche quant à lui sur l’espace ; Ilda Thomas s’arrête sur la thématique de la nature tandis qu’Arnaud Beaujeu réfléchit sur la musicalité des textes. Les articles s’attachent à la lettre des textes et montrent en quoi la sensibilité et la sensualité qui rythment les poèmes et les récits depestriens actualisent une vision du monde et du rapport à l’autre.

Marie Joqueviel-Bourjea, dans une belle lecture de la poésie depestrienne, nomme cette attitude de l’écrivain par rapport au monde : elle parle de « tendresse », terme qu’elle emprunte d’ailleurs à l’œuvre du poète haïtien. La tendresse permet de désigner une posture à la fois thématique et énonciative dans les textes, elle implique un rapport au monde dans son ensemble. Loin d’être paradoxale appliquée à celui qui prône par ailleurs sa « rage de vivre   , elle permet au contraire de mettre en avant l’humanisme qui baigne l’ensemble de son œuvre. Michael Brophy emploie le terme de « candeur », à travers une étude sur le thème de la lumière, de manière assez proche. Béatrice Bonhomme va dans le même sens lorsqu’elle décrit la poésie de Depestre comme « une fête paradoxale, une fête carnavalesque ».

Cependant, ces études thématiques ou strictement poétiques de l’œuvre sont complétées dans l’ouvrage par des articles qui situent les positions de René Depestre et la singularité de son parcours. En revenant principalement sur ses essais, Jean-Luc Bonniol étudie les distances prises par l’écrivain haïtien par rapport à la négritude et, plus généralement, par rapport au concept de « race ». Une manière d’éclairer sous une autre perspective l’humanisme de Depestre. Yanick Lahens, dans son texte d’hommage, retrace le parcours de Depestre en le situant au sein de l’histoire littéraire haïtienne récente. Ainsi, situer Depestre dans l’histoire semble bien revenir à le situer par rapport à d’autres écrivains. C’est ce que fait Ronnie Scharfman qui s’arrête sur le différend qui l’a un temps opposé à Césaire, dans une étude très serrée de poèmes des deux auteurs. C’est aussi la démarche adoptée par Serge Bourjea qui brosse un portrait de Depestre en franc-tireur politique en revenant sur son compagnonnage avec le grand écrivain brésilien Jorge Amado : à la camaraderie politique se substitue un autre modèle, celui de l’amitié littéraire.

L’ouvrage présente différents aspects de l’œuvre de Depestre qu’il approche, au fil des contributions, avec des méthodes différentes, qui se rejoignent malgré tout dans la description d’un geste d’écriture qui construit un humanisme poétique où l’érotisme valorise la singularité des corps face aux oppressions politiques